x
Close
Entretien

Questions à… Michel Bauza, directeur Afrique du Nord BusinessFrance

Questions à… Michel Bauza, directeur Afrique du Nord BusinessFrance
  • Publiéjuillet 24, 2023

En charge de la Tunisie et de la Libye de BusinessFrance Afrique du Nord, Michel Bauza multiplie les actions entre la France et ses partenaires. Il explique sa méthode et dresse un tableau de cette coopération.

 

Quelle est la cartographie de la coopération économique France-Tunisie, en matière, par exemple, de volume des échanges, d’implantation d’entreprises, de secteurs d’activité, transfert d’expertise… ?

Michel Bauza
Michel Bauza

La relation entrepreneuriale entre la France et la Tunisie est exceptionnellement dense et diversifiée, basée sur la confiance et l’investissement de long terme. Grâce à ses avantages comparatifs que sont le capital humain et sa localisation entre l’Europe et l’Afrique, la Tunisie a su attirer depuis les années 1980 de nombreux investisseurs étrangers, français, italiens, allemands, japonais ou américains, qui contribuent encore aujourd’hui fortement à la croissance économique.

La révolution de 2011 a freiné la dynamique des nouveaux investissements, dont une partie s’est orientée vers le Maroc, mais sans l’arrêter et on constate le renforcement notable des investisseurs déjà installés. Depuis la crise Covid et la recomposition des chaînes de valeurs mondiales, la demande européenne de production industrielle et technologique en near shoring pousse les entreprises tunisiennes à moderniser et étendre leurs capacités de production.

Ce contexte se retrouve dans les chiffres de notre relation bilatérale. La France reste le premier partenaire économique de la Tunisie.

Le plus grand nombre d’investissements étrangers : 1500 filiales d’entreprises françaises, majoritairement des PME, employant 150 000 personnes, soit le premier rang en termes d’IDE. Ces investissements concernent le marché intérieur, tels qu’Orange, Carrefour, Totalenergies, Accor, Air Liquide, Groupama, Suez, Décathlon, le producteur d’électricité Qair. Et surtout l’offshoring industriel et de services avec des centaines d’entreprises dans l’industrie automobile Actia, Valeo, Faurecia, Bontaz, Joubert, l’aéronautique Safran, Figeac, Corse Composite, Stelia, Zodiac ; l’électronique Sagemcom, Asteelflash, Lacroix ; la plasturgie avec Plastivaloire, Huchinson, Acaplast.

Citons le textile Chomarat, Etam, DMD ; et la mécanique avec Cotherm, Socomeg, Somfy en particulier, ainsi que les services et le numérique, la formation : Sofrecom, Segula Technologies, Inetum, Soprahr, Mantu, Teleperformance Numeryx, Dauphine PSL… Au-delà de la production, on constate le développement des activités de R&D depuis une dizaine d’années avec des laboratoires d’entreprises à Tunis, Sousse, Sfax, en proximité des écoles d’ingénieurs et des technopoles.

Entre la Tunisie et la France, le volume d’échanges est très dynamique : 8,8 milliards d’euros en 2022 (+21%) un niveau supérieur de 1 milliard à celui de 2019 ante-Covid (7,8 milliards d’euros). Ces échanges se répartissent entre 3,7 milliards d’euros d’exportations françaises (+24% ; 3,3 milliards d’euros en 2019) et 5 milliards d’euros d’importations françaises (+19% ; 4,5 milliards en 2019), avec un déficit de 1,2 milliard d’euros en faveur de la Tunisie (déficit de 1,1 en 2019).

 

Nous sommes dans une situation d’échanges supérieurs à celle de 2019, avec une stabilité du solde, miroir des exportations des filiales françaises en Tunisie. Ces chiffres démontrent bien les stratégies de codéveloppement sur le long terme engagé par les entreprises françaises en Tunisie, ainsi que leur résilience.

La Tunisie – faut-il le signaler aussi – est le premier pays africain investisseur en France en nombre de projets (le Maroc est leader en nombre d’emplois générés), avec beaucoup d’entrepreneurs innovants qui souhaitent s’implanter en Europe, pour se rapprocher de leurs clients, des centres de R&D et de financement. Nous les accompagnons pour développer leurs activités en codéveloppement Tunisie-France vers l’Europe et dans le monde, une stratégie commune, mais inversée à celle des entrepreneurs français en Tunisie.

 

Vous organisez le 22 septembre 2023, en marge FITA2023, une journée Tunisie ; la troisième rencontre du genre. Pourquoi vouloir ainsi dynamiser le business entre les deux pays ?

Le Forum FITA organisé par notre partenaire le TABC à Tunis est un grand rendez-vous africain. Nous avons choisi cette année d’y adosser des rencontres entre les entreprises françaises et les opérateurs électriques de six pays africains, afin de valoriser le forum et contribuer à son succès en mode gagnant-gagnant. La Tunisie est un hub régional de compétences très intéressant pour toucher plusieurs pays d’Afrique et nous organisons chaque année deux ou trois opérations d’envergure africaine en Tunisie pour les entrepreneurs français (Forum Afrique-France de Tunis sur la transition énergétique et écologique & rencontres EDTECH de Djerba en 2022).

 

Au second semestre 2023, nous organiserons aussi à Paris le Forum Ambition Africa (54 pays africains) en octobre, un French Tech Tour avec l’Algérie, puis une rencontre à Tunis avec les postes africaines de sept pays au mois de novembre. Sur la douzaine d’actions collectives organisées chaque année par Business France Tunisie, la stratégie suivie est celle du soutien des entrepreneurs français et tunisiens pour générer de l’emploi, de la valeur ajoutée et des projets communs entre les deux rives de la Méditerranée.

 

La Tunisie traverse une crise financière et économique. Comment faites-vous pour en réduire ses effets sur les 1 500 entreprises ou filiales françaises travaillant dans le pays ?

La crise Covid et les conséquences de la guerre en Ukraine rendent la situation macroéconomique de la Tunisie complexe. Les entreprises françaises en Tunisie restent confiantes – une enquête récente du Service économique régional et des Conseillers du commerce extérieurs en Tunisie le confirme, avec des embauches, des projets d’investissements à deux trois ans et la croissance du chiffre d’affaires, notamment pour la grande majorité d’entre elles travaillant dans l’offshoring industriel et de services.

Notre action, qui s’inscrit dans le cadre de l’équipe économique France en Tunisie, avec aussi le groupe AFD (Expertise France, Proparco, Digital Africa), la Chambre de commerce et d’industrie tuniso-française et la French Tech Tunis, consiste à informer et accompagner les transitions nécessaires au développement des entrepreneurs en Tunisie.

Par exemple, avec les Rencontres Tunisie à Paris ou les forums d’affaires en Tunisie pour engager la décarbonation de la production, renforcer la sobriété énergétique, soutenir les dynamiques d’innovation et la Tech, la formation et la digitalisation. Nous le faisons de manière très opérationnelle en connectant les entrepreneurs et en poussant les opportunités d’affaires pour les entreprises françaises.

Nous avons aussi un programme spécifique « Codev Afrique du Nord » pour aider les projets de codéveloppement français vers la Tunisie, une ambition portée par le nouveau Fonds Maghreb. Celui-ci, lancé par le président de la République lors du Forum des mondes méditerranéen de Marseille en février 2022 et qui devrait démarrer cet automne piloté par notre partenaire Bpifrance. Le programme du V.I.E est aussi déployé en Tunisie pour renforcer les équipes locales avec de jeunes talents européens, qui peuvent découvrir une entreprise et se former aux Softs Skill de manière optimale dans ce pays.

Enfin, je signale l’existence d’une ligne de crédit de 30 millions d’euros pour les PME tunisiennes de la Direction générale du Trésor, le fonds Fasep pour financer des démonstrateurs, la ligne de crédit Sunref de l’AFD pour la transition énergétique et tous les programmes financés pour l’aide publique au développement en Tunisie (assainissement, formation, incubateurs, santé) qui représente 1,2 milliard d’euros depuis 2014 et soutiennent les populations en Tunisie.

Nous partageons ces dynamiques sur notre compte LinkedIn Business France Tunisie ; j’invite vos lecteurs à suivre ce compte pour rester connecté avec l’équipe.

 

En plus de la Tunisie, vous êtes en charge de la Libye. On parle beaucoup de la triangulation économique France-Tunisie-Afrique. Quelle forme prend-elle ?

La Libye est confrontée à une transition politique et des enjeux colossaux de reconstruction après des années de guerre. Les besoins sont importants et les entreprises françaises disposent de technologies très pertinentes pour y répondre, les entrepreneurs libyens apprécient le savoir-faire tricolore et sont demandeurs de plus de relations avec leurs homologues français. La Tunisie dispose de son côté et depuis longtemps de fortes relations économiques avec son voisin libyen, au-delà des liens humains et culturels.

La triangulation entre les entreprises des trois pays apparaît dans ce cadre comme une opportunité intéressante à explorer, c’était d’ailleurs une des conclusions du dernier Haut Conseil de Coopération (HCC) 2021 à Tunis. Sans être une obligation, loin de là, elle constitue une opportunité qu’il faut analyser au cas par cas en fonction des avantages comparatifs des partenaires.

Les entrepreneurs libyens souhaitent avoir des contacts directs avec les entreprises françaises, mais souvent, des équipes ou des managers en charge du marché libyen peuvent être basées en Tunisie, pour des raisons de sécurité ou d’effet d’échelle (Sanofi, Danone, Stelantis, Expertise France), parfois des accords sont opportuns pour déployer des équipes tunisiennes en appui de projets en Libye (ingénierie, construction, formation) ou encore la possibilité de travailler avec un grand acteur tunisien couvrant le marché libyen.

Sanofi Tunisie lance une caravane mobile de sensibilisation

Contribuer à cette triangulation demande de l’expertise filière et la confiance des opérateurs. Business France Tunisie y contribue en lien avec notre ambassade à Tripoli, et les organisations sectorielles, en organisant des actions en France dans le cadre du nouveau programme l’export commence en France.

Nous avons par exemple invité des acteurs libyens sur les salons Expo Santé et Vivatech à Paris ; ou encore en Tunisie et en Libye, rassemblant des partenaires potentiels des trois pays. Un référent Libye a été nommé au sein du bureau de Tunis pour renforcer ce volet. Dernièrement, nous avons par exemple organisé des rencontres sécurité civile à Tripoli et Tunis avec vingt entreprises françaises et des dizaines d’acteurs de la rive sud, nous ferons de même sur la conférence Fita en septembre avec la compagnie libyenne Gecol.

Une centrale solaire flottante installée par Qair en Tunisie.

@AB

Écrit par
Hichem Ben Yaïche

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *