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Entretien

« Pour l’avenir de Madagascar, je mise sur la jeunesse »

« Pour l’avenir de Madagascar, je mise sur la jeunesse »
  • Publiénovembre 25, 2023

Selon des résultats qui doivent être validés par la Cour constitutionnelle de Madagascar, Andry Rajoelina a été réélu Président du pays, avec 58,95% des voix. La participation serait de 46% des inscrits. Retrouvez l’entretien qu’il a accordé au Magazine de l’Afrique, quelques jours avant le scrutin.  

                                                               

Dans quel état d’esprit abordez-vous l’élection présidentielle ?

Madagascar a cumulé du retard en matière de développement. L’essor tant attendu par la population n’est pas au rendez-vous. C’est pour cette raison que je me représente pour un deuxième mandat. J’ai tout fait pour rattraper ce retard de développement à travers la construction des infrastructures dont la population a besoin.

Je vais juste prendre quelques exemples. Beaucoup d’enfants – pas seulement à Madagascar, mais en Afrique en général –, marchent pendant plusieurs heures pour trouver un endroit où étudier. À Madagascar, nous affrontons cette réalité. J’ai bâti avec mon gouvernement 4 198 salles de classe pour scolariser plus de 220 000 écoliers et étudiants.

J’ai proposé que la Commission de l’Union africaine puisse prendre une décision condamnant les militaires qui prennent le pouvoir par la force. Ces militaires devraient être traduits devant la Cour pénale internationale.

C’est un record, y compris à l’échelle du continent ! Imaginez-vous un grand pays comme Madagascar, avec 25 millions d’habitants, depuis 1891 jusqu’en 2019, nous n’avons que 18 centres hospitaliers de référence. Durant mon mandat j’ai construit 28 centres hospitaliers avec des blocs opératoires, des maternités, des générateurs d’oxygène…

 

Certes, le pays revient de loin, mais a de tels besoins… De quels moyens dispose-t-il pour y répondre ?

Justement, c’est pour cette raison que durant mon premier mandat, j’ai essayé de construire et de bâtir. Sur les 119 districts, depuis l’Indépendance jusqu’à maintenant, nous ne comptions que 42 tribunaux. Même pour obtenir un acte juridique comme un extrait de casier judiciaire, les gens étaient obligés de se déplacer, traverser la mer, de l’autre côté de leur ville, à l’instar de Sainte-Marie par exemple. Nous avons construit des tribunaux et des hôpitaux pour faciliter et accompagner les besoins de la population au quotidien.

Toujours dans le même ordre, j’ai construit la première autoroute de Madagascar. Aujourd’hui, on va d’Antananarivo au grand port de Tamatave, sur 360 kilomètres, en dix ou douze heures. Avec la nouvelle autoroute, le trajet ne prendra que 2 h 30 ! C’est le développement de ces projets que je voudrais poursuivre. Dans le sud de mon pays, on parle toujours de la famine face à la sécheresse qui frappe cette région. Nous avons construit le plus grand pipeline pour alimenter en eau plus de 60 communes sur 97 kilomètres.

Je suis franc avec vous, certes la pauvreté persiste, mais c’est pour cette raison que durant les cinq prochaines années de mon deuxième mandat – je suis confiant pour gagner ces élections –, je vais surtout m’occuper de la population pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, me concentrer sur les plus faibles et accompagner des jeunes pour les sortir du chômage.

 

Vous souhaitez incarner ce « président social » qui veut améliorer le développement humain de son pays. Comment vous allez vous y prendre justement au regard de l’ampleur des défis ?

Orienter les priorités. Jusqu’à présent, on a œuvré dans l’amélioration des infrastructures, maintenant, on va se centrer sur le capital humain, valoriser la formation, mettre en œuvre des programmes d’industrialisation, décider de mesures incitatives. Les réformes que nous avons engagées démontrent – la Banque mondiale le confirme –, que cette action pourra amener Madagascar à atteindre 4 points de plus de croissance.

 

Encore une fois, comment comptez-vous mettre à niveau ce pays et le sortir de la pauvreté extrême ?

L’idée, c’est que chaque citoyen devrait être utile pour sa famille et pour son pays. Pour ce faire, en tant que leader, le programme que je vais mettre en action, c’est l’industrialisation du pays pour créer de l’emploi. Il y aura des mesures incitatives…

 

Quel visage aura l’industrialisation que vous évoquez, dans un pays à vocation agricole à 80% ?

Nous sommes en train de structurer tout ce qui est titre vert, nous menons des opérations en ce qui concerne l’octroi des terrains pour les paysans. Nous avons distribué à ce jour jusqu’à 2 millions de certificats fonciers. Cela va faciliter l’accès aux terres. Je citerai le programme CAJEF (Conseil africain des jeunes entrepreneurs francophones) que nous avons développé avec la Banque mondiale ; il est un appui aux agriculteurs et comporte des mesures incitatives. Un cap : tout ce que les Malgaches produisent devrait être transformé à Madagascar même !

 

Nous voyons votre ambition pour le pays. Pouvez-vous nous donner d’autres exemples concrets ?

Vous savez, Madagascar est un grand pays. Mais notre potentiel, à part de tout ce qui est ressources naturelles, c’est surtout le capital humain. La population est jeune ; elle a besoin d’un leader qui trace le chemin et fixe les jalons du développement. Ils sont de plus en plus nombreux à adhérer à ma vision et mon programme. Ils viennent se réunir chaque jour : 5000 personnes par jour, à partir de 3 heures du matin. Nous n’avons jamais vu autant de soutiens et d’adhésions dans le pays. Ils savent que je suis patriote et j’aime mon pays. Les populations ont confiance en moi et adhèrent à mon projet de société.

 

Certes, mais parmi les treize candidats en lice, onze dénoncent une inégalité de traitement des pouvoirs publics et des dépassements de toute sorte. On observe aussi une atmosphère assez tendue qui risque de basculer dans la violence. Comment réagissez-vous à tout cela ?

La population malgache a beaucoup gagné en maturité politique. Ceux qui sont candidats aujourd’hui contre moi, face à moi, sont d’anciens présidents qui ont déjà dirigé ce pays et montré leurs limites dans la gestion des affaires publiques. Parmi eux, il y a un candidat sortant en 2018, qui n’a récolté que 8% des suffrages, les autres ont récolté 1%. C’est pour toutes ces raisons qu’ils manœuvrent pour que les élections ne se déroulent pas. Mais je condamne fermement les manœuvres dilatoires de l’opposition, des candidats surtout.

Hichem Ben Yaïche et le président Andry Rajoelina.
Hichem Ben Yaïche et le président Andry Rajoelina.

 

Pourtant, ils reprochent aux pouvoirs publics d’utiliser des moyens pour les empêcher de bien mener leurs campagnes électorales et de bien s’organiser ?

Nous ne les empêchons pas. Ils ont le droit aujourd’hui, de partir en campagne mais ils ne partent pas en campagne. Ils veulent descendre dans la rue pour semer des troubles, saper le processus électoral… Ils ont peur du verdict des urnes.

 

Vous avez souvent évoqué la stabilité comme facteur clé pour gouverner. Aujourd’hui on voit dans le monde qu’entre démocratie et autocratie, le chemin est très court. Où placez-vous le curseur dans votre approche de la stabilité ?

On ne peut pas développer un pays sans paix, stabilité et surtout continuité. Aujourd’hui, les autres candidats sont en train de bloquer le développement de Madagascar. Ils sont les ennemis du pays. Puisque Madagascar n’a plus besoin d’une nouvelle crise. Le pays a besoin de quelqu’un qui peut rassembler les populations et les régions, fédérer les forces armées, quelqu’un qui a une vision patriotique et qui est prêt à tout faire pour redresser et développer ce pays. Désormais, il n’y a qu’un seul homme dont le peuple sait qu’il a les capacités, le talent et l’expérience, surtout en matière de gestion de crises et gestion de ce pays. C’est lui que la population va plébisciter lors des élections.

 

Une crise électorale se dessine en prélude de ces élections. On observe la montée des tensions.

On n’a jamais vu dans le monde, d’anciens chefs d’État candidats aux élections présidentielles qui amènent illégalement les gens dans les rues et qui ne font pas la campagne électorale. Ils ont l’autorisation de faire campagne dans des stades. Mais ils persistent à vouloir descendre dans les rues parce qu’ils ne trouvent pas beaucoup de gens pour les suivre. C’est ce que je condamne fermement. Des actions qui confisquent la démocratie et la voix de la majorité pour s’exprimer à travers les élections.

 

Comment pensez-vous apaiser aujourd’hui le pays ?

La démocratie, c’est la voix de la majorité. La démocratie, c’est quand la majorité parle, c’est quand la majorité décide. Et comme on le dit, la voix du peuple, c’est la voix de Dieu. Et moi, je me fie justement au choix du peuple.

 

Revenons aux questions économiques. Sur la voie de l’émergence, comment faire entrer Madagascar dans une phase d’industrialisation ?

Madagascar doit devenir le grenier rizicole de l’océan Indien et en Afrique. Tout d’abord, nous allons appuyer les paysans, renforcer la formation des jeunes pour que chaque citoyen devienne utile et crée de l’emploi, nous allons construire, bâtir et donner des logements décents à la majorité des populations qui en ont besoin.

 

Comment mobiliser les bailleurs de fonds pour le financement de ces programmes et projets sans perdre le contrôle de vos choix ?

Ce qui a beaucoup changé avec la Banque mondiale ces dernières années, c’est nous, c’est-à-dire l’État, qui fixe le programme, la vision. De son côté, la Banque mondiale soutient tout ce qui est prioritaire, par rapport à nos choix. Par exemple, dans les projets d’infrastructure, la BM a une enveloppe. Nous lui proposons de désenclaver les zones agricoles. C’est pour cela qu’elle a financé la route nationale 44, qui était enclavée auparavant. Aujourd’hui, le prix du transport des denrées alimentaires au terme de ce projet a diminué et cela a permis aux agriculteurs d’évacuer leur production. Nous avons donc priorisé l’ensemble de ces programmes qui ont été validés en grande partie à travers le financement de la BM. Parallèlement, nous allons surtout travailler avec le secteur privé.

 

Vous avez souvent reproché aux bailleurs de fonds de se mêler des affaires intérieures du pays. Le dialogue fonctionne-t-il normalement entre vos partenaires et vous ?

En ce qui concerne la gestion du pays, nous avons un programme, un plan qui s’appelle le plan Émergence Madagascar. Il s’articule autour de 13 points. Nos équipes sont en phase de finalisation et de continuité également. Avec la communauté internationale, il y a des incompréhensions sur l’appréciation de la situation politique nationale quelquefois. Et là, nous appelons fortement à une très grande retenue et au respect de la souveraineté nationale.

 

Comment pensez-vous développer l’esprit d’entreprendre dans le pays et donner les moyens pour plus de dynamisme économique ?

J’ai évoqué les mesures incitatives décidées pour encourager le secteur privé, les groupes nationaux et internationaux afin de faciliter leurs investissements et accompagner le développement économique de Madagascar.

 

Au chapitre diplomatique, vous avez montré votre proximité avec l’Afrique, en y voyageant, bien davantage que vos prédécesseurs. Comment comptez-vous renforcer les relations pour engager des synergies ?

Le continent africain ne devrait plus être perçu comme un continent à problèmes. Il devrait être perçu comme un continent à solutions. C’est pour cette raison qu’il faut continuer à renforcer les échanges, la coopération et surtout l’unité de l’ensemble des pays pour pouvoir avoir une force par rapport aux autres pays.

 

Pourtant, le continent est affecté par des crises, comme au Sahel… Cela vous inquiète-t-il ?

Ce qui inquiète actuellement par rapport à la situation en Afrique, c’est l’instabilité qui règne à travers les coups d’État militaires. J’en ai parlé aux responsables de l’Union africaine et des Nations unies. Je pense qu’il faut prendre des dispositions pour sécuriser la démocratie ou les élus du peuple. J’ai proposé que la Commission de l’Union africaine puisse prendre une décision condamnant les militaires qui prennent le pouvoir par la force. Ces militaires devraient être traduits devant la Cour pénale internationale. Aujourd’hui, c’est inconcevable que ceux qui ont fait les coups d’État militaires fassent leurs discours devant la tribune des Nations unies, acclamés par leurs populations qui renforcent l’instabilité et incite les autres pays à faire la même chose. C’est un problème à régler.

 

Les coups d’État peuvent aussi masquer des problèmes structurels plus profonds. Dans certains pays, des raisons spécifiques poussent la prise du pouvoir par les militaires.

Vous savez, on ne règle jamais les problèmes par la force, il faut faire régner la démocratie.

 

Pour vous, Madagascar doit compter sur l’échiquier politique mondial. On voit que la guerre en Ukraine a fracturé le monde, aiguisé les rivalités géopolitiques entre notamment les États-Unis, la Russie et Chine. Comment éviter d’être entraîné dans ce jeu de rivalités, porteur de tensions et de conflits ?

En ce qui concerne la guerre en Ukraine, notre position a toujours été claire. Une guerre se termine toujours par le dialogue, autour d’une table. Nous avons toujours exhorté les parties prenantes à trouver une solution. Cette guerre, ce n’est pas nous qui l’avons cherchée. Notre pays, le Madagascar, est dans la lignée des nations non-alignées dans ce conflit. Nous ne sommes ni pour ni contre. Par contre, on condamne l’utilisation de la force contre les civils. Nous condamnons l’usage de la force, mais Madagascar reste non-alignée.

Le président malgache. Les élections présidentielles ont été repoussées au 16 novembre 2023.
Les élections présidentielles ont été repoussées au 16 novembre 2023.

 

L’Afrique est devenue le champ clos de rivalités entre les grandes puissances. Craignez-vous cette évolution ?

Cela nous inquiète, bien évidemment.

 

Entre le Madagascar et la France, est-ce que les choses se sont apaisées quant à vos revendications sur les îles Éparses ? Avez-vous trouvé un terrain d’entente ?

Dans ce dossier, notre position est celle déjà adoptée par les Nations unies. Ces îles appartiennent à Madagascar. Cela dit, la souveraineté de ces îles pose un problème également. C’est pour cette raison que nous avons créé une commission mixte pour pouvoir trouver une issue. Donc oui, nous sommes en phase de trouver une solution durable en ce qui concerne les îles Éparses.

Certes la pauvreté persiste, mais c’est pour cette raison que durant les cinq prochaines années, je vais surtout m’occuper de la population pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, me concentrer sur les plus faibles et accompagner des jeunes pour les sortir du chômage.

La position géostratégique de Madagascar pousse-t-elle certains pays à vous solliciter pour l’implantation de bases militaires ?

Non, et cela est hors de question ! Ce n’est pas du tout notre objectif de créer de bases militaires sur notre territoire. Nous, ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est le développement économique et non pas le développement militaire ou la création de bases militaires.

 

Entretien réalisé à Madagascar par Hichem Ben Yaïche, le 20 octobre 2023.

 

@NA

 

 

 

 

 

 

Écrit par
Hichem Ben Yaïche

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