Nous voulons faire du Ghana le centre numérique de l’Afrique

Mahamudu Bawumia est bien placé pour devenir le leader de son parti, puis de son pays, le Ghana. Il revient sur son bilan politique et ses ambitions en matière de technologies numériques, d’éducation, et d’inclusion par les nouvelles technologies.
Le vice-président Mahamudu Bawumia sera probablement le candidat du parti NPP aux élections présidentielles de 2024, auxquelles le président sortant Nana Akufo-Addo ne participera pas après deux mandats. Ancien gouverneur adjoint de la Banque centrale du Ghana, il a fait partie de l’équipe qui a mis en œuvre la redénomination de la monnaie et un programme de lutte contre l’inflation.
En tant que vice-président depuis 2017, Mahamudu Bawumia s’est surtout consacré au programme de transformation numérique, supervisant de plusieurs projets de numérisation.
Comment avez-vous conduit la transformation numérique ?
L’Afrique a raté la première, la deuxième et la troisième révolution industrielle et nous ne voulions pas que l’Afrique et le Ghana ratent également la quatrième. Nous sommes arrivés à la conclusion que la numérisation était le meilleur moyen de favoriser l’inclusion dans la société et que nous pouvions tirer parti de la technologie pour résoudre de nombreux problèmes.
Nous pouvons améliorer l’efficacité des services publics, réduire la corruption et accroître l’accès des plus pauvres à la numérisation. Historiquement, les élites ont généralement été les bénéficiaires des inefficacités qui sont apparues depuis l’indépendance. Pour moi et pour nous, la numérisation est un moyen d’aider les pauvres à participer pleinement à la société.
Si l’intelligence artificielle obtient toutes ces données, il est possible de trouver des solutions à des maladies qui, compte tenu de l’ADN de l’Afrique, peuvent être très différentes de celles d’autres régions.
Il suffit de penser à la situation dans laquelle de nombreuses personnes n’avaient pas de carte d’identité nationale. Elles n’étaient pas comptabilisées comme faisant partie de la société. La plupart des gens n’ont pas de compte bancaire et sont financièrement exclus.
Nous avons introduit l’interopérabilité de l’argent mobile. Nous avons rendu interopérables les comptes d’argent mobile et les comptes bancaires.
Aujourd’hui, au Ghana, toute personne possédant une carte d’identité nationale peut ouvrir un compte bancaire depuis son domicile. Il n’a pas besoin de remplir un formulaire, il lui suffit d’entrer un code USSD [sur un téléphone portable], de saisir son numéro de carte d’identité nationale – et c’est tout : son compte bancaire est ouvert et il peut commencer à effectuer des transactions.
Cela aide vraiment beaucoup de gens, dans les villages, dans les zones rurales, qui n’auraient normalement pas pu aller demander un compte bancaire. Le simple fait d’entrer dans une banque les intimide.
Nous pensons que la numérisation, sous tous ses aspects, aide vraiment les pauvres. Elle contribue à l’efficacité de la prestation de services. Elle constitue un pilier majeur pour le pays. C’est dans cette direction que nous allons. Nous voulons mettre la technologie au service de la croissance économique et de l’inclusion.
L’administration actuelle a-t-elle rendu les choses plus efficaces ?
Oui, vraiment. Si vous voulez dédouaner vos marchandises au port, le processus était auparavant très laborieux ; nous l’avons numérisé. Même assis chez vous, vous pouvez suivre le processus de dédouanement. Même à l’étranger, vous pouvez utiliser le processus de dédouanement de votre conteneur.
Si vous essayez de demander un permis de conduire, nous avons numérisé l’ensemble du processus. Le service offert pour l’obtention d’un permis de conduire au Ghana est même meilleur qu’au Royaume-Uni ou aux États-Unis.
J’ai regroupé tous les services gouvernementaux sur un seul portail, ghana.gov. Vous pouvez y accéder et obtenir le service que vous recherchez. Aujourd’hui, vous pouvez payer vos impôts en ligne, ce qui n’était pas le cas auparavant. Grâce à la numérisation, nous avons élargi le filet fiscal.
Lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, seuls 4 % de la population adulte possédaient un numéro d’identification fiscale. Aujourd’hui, nous avons délivré la carte d’identité nationale à tout le monde ; et nous avons eu l’idée d’associer ce numéro au numéro d’identification fiscale pour tout le monde.
Désormais, 85% de la population adulte possède un numéro d’identification fiscale. Ils peuvent déclarer leurs impôts en ligne, sur leur téléphone portable, et ils peuvent payer en ligne grâce à l’interopérabilité mobile. Aujourd’hui, quiconque veut acheter de l’électricité n’a pas besoin d’attendre et de se rendre à l’agence. Il peut acheter à tout moment de l’électricité sur son téléphone portable. De même, il est maintenant facile d’obtenir sa carte nationale d’assurance maladie ; auparavant, il s’agissait d’un processus laborieux.

Depuis août, nous attribuons un numéro d’identification national à tous les nouveau-nés, de sorte que nous pourrons commencer à collecter des données dès leur naissance. Ce numéro nous permettra de les suivre tout au long de leur vie. Ce numéro d’identification national est aussi leur numéro de sécurité sociale. C’est également leur numéro fiscal et leur numéro d’éducation. Nous avons relié toutes les données.
En ce qui concerne la délivrance des passeports, nous avons aussi numérisé le processus. En conséquence, le nombre de passeports issus a augmenté. Avant la numérisation, le bureau des passeports générait un revenu de 1 million de cedis (89 000 dollars) par an. Depuis la numérisation, il génère 56 millions de cedis (4,9 millions $) par an.
Nous avons numérisé les collectes de la compagnie d’électricité Auparavant, les recettes étaient de 450 millions de cedis (40 millions $) par mois. Aujourd’hui, elles sont de 1,2 milliard par mois (106 millions $).
L’ensemble de l’initiative de numérisation nous aide vraiment à réduire la corruption, à accroître l’efficacité et à renforcer l’inclusion. Les objectifs sont atteints et nous voulons approfondir le processus.
Certains critiquent vos ambitions en matière de scolarisation, jugeant qu’il s’agit d’un fardeau pour les finances publiques. Où en êtes-vous avec vos projets ?
Pour le président Akufo-Addo et pour notre gouvernement, l’éducation est la clé de la transformation de la société. Toutes les recherches dont nous disposons montrent que le capital humain est le facteur déterminant de la transformation d’un pays. L’amélioration de l’accès à l’éducation et de la qualité de l’enseignement était la clé de la transformation du Ghana. Nous avons trop d’enfants qui abandonnent l’école parce que leurs parents ne peuvent pas payer les frais de scolarité pour l’enseignement secondaire. Nous avons décidé d’instaurer la gratuité de l’enseignement secondaire de deuxième cycle afin d’intégrer un grand nombre de personnes qui ne l’étaient pas.
Certes, c’est une décision audacieuse et coûteuse ; nous avons donc dû veiller à budgétiser la gratuité de l’enseignement secondaire de deuxième cycle, qui coûte environ 1 milliard de cedis (88 millions $) par an. Il y avait aussi le problème du manque d’infrastructures adéquates pour les étudiants en termes de salles de classe.
Deux choses qui m’ont beaucoup impressionné depuis la gratuité de l’enseignement secondaire. Tout d’abord, les effectifs ont augmenté de 75 % en six ans, passant de 800 000 à 1,4 million d’élèves.
Ce qui est également très intéressant, c’est que de plus en plus de filles vont à l’école ; nous avons atteint, il y a une parité entre les garçons et les filles.
La deuxième chose qui m’a vraiment impressionné, c’est que les résultats des élèves aux examens du West African Senior School Certificate ont également dépassé nos attentes. Nous étions inquiets, car normalement, lorsque l’on augmente l’accès, il y a un problème de baisse des performances ; mais ce qui s’est passé, c’est que les performances se sont plutôt améliorées dans les six matières principales. Nous sommes passés d’un taux de réussite de 41 % à 64 %. Nous sommes sur la bonne voie. Ce n’est pas donné, mais nous sommes convaincus que l’investissement dans l’éducation est très rentable. Il est nécessaire pour que les Ghanéens participent pleinement à l’économie mondiale.
Parlez-nous de la prochaine étape de votre programme d’éducation : « Un enfant, un ordinateur portable. »
Lorsque nous étions enfants, en tout cas pour moi qui ai grandi dans le nord du pays, il était difficile d’obtenir des manuels scolaires pour lire. Aujourd’hui, les manuels scolaires sont plus nombreux et disponibles partout. Nous trouvons presque deux fois plus de bibliothèques publiques dans le pays. Et aujourd’hui, il y a une pléthore d’informations sur l’internet pour les étudiants.
Voyons le monde qui va de l’avant, l’importance des études en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM), de la robotique, et de l’intelligence artificielle… , c’est vers cela que le Ghana se dirige.
L’accès aux ordinateurs portables et au wifi dans les écoles permet à nos enfants d’avoir accès à toutes ces connaissances et d’être compétitifs par rapport aux enfants des pays développés.
Pour moi, ce n’est pas du tout un luxe : un ordinateur portable pour chaque enfant en dernière année de lycée est en fait une nécessité absolue pour nous à ce stade de notre développement, afin que nous ne soyons pas laissés-pour-compte.
La première chose que nous avons faite a été de nous assurer que nous avions le wifi dans les lycées. Nous avons fait la même chose pour les bureaux d’éducation de district, car les enseignants et les responsables doivent aussi pouvoir être en ligne. Dans les treize universités publiques, nous avons aussi fourni le wifi. Il ne s’agit pas seulement de l’école secondaire supérieure ; nous envisageons l’ensemble de l’engagement à travers les différents niveaux du système éducatif.
Nous apportons maintenant les ordinateurs portables. Les élèves auront accès à un tout nouveau monde de connaissances ainsi que des vidéos. Dans une école de village éloignée, vous pourrez recevoir les meilleurs enseignements. Les enseignants et les étudiants peuvent également voir ce qui est enseigné dans les meilleures écoles du pays et comment ces cours sont dispensés.

Cette initiative permet de combler le fossé entre les écoles les moins bien loties et celles qui le sont beaucoup plus. Toutes ces écoles sont financées par des fonds publics. Nous devrions permettre une fertilisation croisée des idées. Les cours devraient être accessibles à tous, s’ils sont les meilleurs du pays. Nous faisons cela pour donner à nos étudiants un grand coup de pouce pour être compétitifs au niveau mondial. Aujourd’hui, dans de nombreux pays développés, même les élèves de la maternelle utilisent des ordinateurs portables : c’est la direction que prend le monde.
Ce qui est également important à cet égard, c’est le budget. Nous pensons que nous allons faire des économies grâce à cela.
Comment les méthodes d’enseignement évoluent-elles ?
Si l’on veut que le pays se dote d’un système éducatif prêt pour la quatrième révolution industrielle, il est important de ne pas conserver les mêmes méthodes d’enseignement.
Les enseignants sont formés dans de nombreux nouveaux domaines et acquièrent de meilleures méthodes d’enseignement. Nous mettons l’accent sur la robotique et les STIM. Nous avons créé dix écoles STIM modèles. Je me réjouis du désir de la part des élèves de participer dans ce domaine : technologie, numérique, STIM, et robotique. Cette attitude a permis à deux lycées de remporter le concours mondial de robotique aux États-Unis ! L’une était une école de filles et l’autre une école de garçons, et elles ont remporté le concours mondial de robotique… en provenance du Ghana ; qui l’aurait cru ?
Si l’on donne aux enfants la possibilité de s’épanouir, ils deviendront des leaders mondiaux dans bon nombre de ces domaines. Ce qui leur manque, c’est l’opportunité. Ces ordinateurs portables, cet accès, donnent à nos enfants cette opportunité.
Quels sont les enseignements que vous tirez de cette politique ?
L’une des premières choses que j’ai faites en tant que vice-président a été de créer un département de contrôle qui a joué un rôle clé ces six dernières années en veillant à ce que les projets soient menés à bien. Beaucoup de gens sont surpris de voir tout ce que nous avons fait, mais je crois très clairement que tous les travaux de numérisation que nous avons réalisés et d’autres choses encore sont en grande partie dus à l’unité de mise en œuvre qui nous permet de rassembler efficacement tous les ministères et de bien diriger les différents projets. Nous devrions continuer à mettre l’accent sur l’éducation, car les retombées sont très importantes à l’avenir.
Quel est le principe essentiel de votre campagne, dans ces primaires ?
Il y a plusieurs domaines. La numérisation et l’utilisation de la technologie pour une croissance économique inclusive en sont un. Nous voulons faire du Ghana le centre numérique de l’Afrique. Le monde entier s’intéresse aujourd’hui aux systèmes de données, à l’intelligence artificielle et à tout ce qui s’y rapporte. Nous pouvons les utiliser pour améliorer la productivité agricole, les soins de santé et l’éducation. Ce sont pour moi les trois grands domaines. Malgré toutes les inquiétudes suscitées par l’intelligence artificielle et les données, il est très important d’en tirer le meilleur parti pour l’Afrique.
Nous devons nous lancer dans l’agriculture prédictive. Aujourd’hui, au Ghana, des drones livrent des médicaments et des vaccins. Nous mettons en réseau tous les hôpitaux pour que les dossiers soient centralisés. Nous avons lancé la première pharmacie électronique d’Afrique à l’échelle nationale, de sorte que lorsque vous avez une ordonnance, vous pouvez aller en ligne et trouver la pharmacie la plus proche de chez vous.
Si l’intelligence artificielle obtient toutes ces données, il est possible de trouver des solutions à des maladies qui, compte tenu de l’ADN de l’Afrique, peuvent être très différentes de celles d’autres régions. Nous devons obtenir des résultats en matière de soins de santé qui nous conviennent, c’est pourquoi nous devons développer notre propre recherche.
La sécurité alimentaire est un autre domaine sur lequel je souhaite me concentrer. Je veux instaurer ce que j’appelle un âge d’or de la maximisation des bénéfices de nos ressources naturelles : l’or, le lithium et l’enrichissement domestique. J’ai récemment introduit une nouvelle politique, l’or contre le pétrole, dans laquelle nous utilisons l’or comme levier pour payer le pétrole, sans aller chercher des dollars rares que nous n’avons pas.
Il y a aussi la transition énergétique, qui met l’accent sur les énergies renouvelables. Il s’agit également de libérer le secteur privé, y compris dans le domaine des infrastructures. Le gouvernement ne peut pas tout faire.
@NA