Les infrastructures africaines sont rentables !

Les investisseurs ne devraient pas attendre des conditions et des prix parfaits pour se tourner vers des projets d’infrastructure en Afrique, affirme Alain Ebobissé, directeur général d’Africa50.
Alain Ebobissé a rejoint Africa50 en tant que directeur général en 2016. Il était auparavant responsable mondial du Fonds mondial de développement de projets d’infrastructure du Groupe de la Banque mondiale (« IFC InfraVentures »), où il a dirigé le développement de plusieurs projets d’infrastructure en Afrique, en Asie, en Europe et en Amérique latine. Il a également occupé le poste de directeur des investissements au sein du département des infrastructures mondiales et des ressources naturelles de la Société financière internationale.
Africa50 tiendra son assemblée générale des actionnaires le 4 juillet. Le forum Infra-structure for Africa, qui précédera l’assemblée générale, réunira les principaux acteurs et financiers du secteur des infrastructures.
Alain Ebobissé, qui sillonne constamment le continent, est difficile à cerner, mais j’ai réussi à l’attraper à son retour d’Inde, où il étudiait divers projets d’infrastructure et cherchait de nouveaux partenaires pour catalyser les investissements. « S’il y a une leçon que nous pouvons tirer du sous-continent c’est sa rapidité d’exécution », explique-t-il. C’est dans ce but qu’Africa50, l’institution dirigée par Ebobissé, a été créée : augmenter et accélérer les investissements dans les infrastructures. Elle est devenue opérationnelle en 2016 pour aider à combler le déficit de financement des infrastructures en Afrique en investissant et en mobilisant des investissements privés dans les infrastructures sur le continent.
Sa fonction première est de réunir des co-investisseurs, des promoteurs de projets, des gouvernements africains et des institutions financières d’Afrique et d’outre-mer pour investir dans les infrastructures africaines. Africa50 est tout à fait disposée à investir pendant la phase la plus risquée d’un projet, à savoir sa phase initiale, et à le mener jusqu’à son achèvement. Elle investit également dans l’expansion des projets développés.
En un peu plus de six ans, elle a déployé des capitaux dans vingt pays, permettant des investissements d’une valeur de plus de 5 milliards de dollars. Selon Alain Ebobissé, cette première phase a consisté à faire la preuve du concept et l’institution souhaite maintenant passer à la vitesse supérieure. « De grandes annonces sont à venir », promet-il avec enthousiasme.
Les besoins de financement des infrastructures en Afrique sont estimés entre 130 et 170 milliards de dollars par an, ce qui laisse un déficit annuel estimé entre 68 et 108 milliards $. En 2018, sur les 100 milliards investis dans les infrastructures africaines, seuls 2 % étaient destinés à des projets régionaux.
Ce chiffre est probablement sous-estimé. Le Nigeria à lui seul a estimé qu’il devrait dépenser 100 milliards $ par an au cours des trente prochaines années pour combler son retard.
Et la CEA calcule que 70 milliards $ supplémentaires sont nécessaires si l’on tient compte de la résilience climatique. Le succès ou l’échec de la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine) et d’autres mesures incitatives continentales dépendent de l’existence d’infrastructures appropriées pour faciliter le commerce, la communication, l’innovation et la croissance.
Combler le fossé
Le mandat d’Africa50 est de contribuer à combler ce déficit d’infrastructures en canalisant les investissements publics et privés directs à cette fin. L’accent est mis sur les projets de moyenne et grande envergure qui ont le potentiel d’offrir un bon rendement aux investisseurs.
« Le fossé est énorme, mais nous progressons », affirme Alain Ebobissé. S’il existe de nombreux projets potentiellement bancables sur le continent et une multitude de capitaux à la recherche de ces projets, tout dépend de la manière dont ils sont structurés.
« Parfois, lorsque vous avez des risques que le secteur privé ne peut pas ou ne veut pas prendre, vous devez disposer d’instruments d’atténuation des risques afin d’avoir un projet bancable. »
Il précise : « En un sens, il s’agit de rassurer les investisseurs et les prêteurs pour qu’ils puissent récupérer leur capital et obtenir un rendement décent. » Africa50 a pour but de développer des projets d’infrastructure bancables en Afrique afin d’attirer les investisseurs privés.
Or, l’Afrique est extrêmement « bancable ». En fait, les données de Moody’s indiquent que le taux de défaillance sur les infrastructures est le deuxième plus bas au monde. Mais il faut parler de ce que l’Afrique a à offrir afin de changer le discours souvent négatif sur l’investissement en Afrique.
Certes, « on relève des différences en matière de climat d’investissement chez les différents pays africains », reconnaît Alain Ebobissé, « mais il reste beaucoup d’exemples de réussite sur le terrain, dont certaines dans lesquelles nous avons été impliqués. Nous devons parler de ces réussites, de ces projets qui ont un bon impact et des rendements décents ».
Retournement rapide des projets
Actuellement, Africa50 participe à une vingtaine de projets de ce type sur le continent. Il s’agit notamment de centrales électriques en Égypte, au Sénégal, au Nigeria, au Cameroun, à Madagascar et au Mozambique ; de postes frontières communs en Côte d’Ivoire ; de centres de données au Ghana et au Kenya ; d’un pont en RD Congo ; de la Cité de l’innovation de Kigali au Rwanda ; et de lignes de transport d’électricité et d’infrastructures au Kenya.
Selon Alain Ebobissé, ces projets montrent que l’entreprise est capable de réaliser des projets à grande vitesse. Le défi consiste maintenant à démontrer qu’elle peut le faire à grande échelle – elle doit être en mesure de réaliser des projets de grande envergure afin d’avoir un impact significatif.
Ce qui est unique dans l’approche d’Africa50, c’est qu’elle a choisi de s’impliquer au stade du développement du projet. Alain Ebobissé admet que l’aventure est risquée, mais insiste sur le fait que cela lui permet d’amener plus de projets au stade de la bancabilité beaucoup plus rapidement et de générer un bon rendement.
Cela est conforme à son caractère d’entité commerciale. « Nous pensons que l’Afrique est attrayante. Même s’il y a des défis à relever, nous pouvons les surmonter pour investir dans des projets qui ont un impact et qui sont rentables. Et il n’y a rien de mal à gagner de l’argent tant que l’on a un impact positif. »
L’Afrique doit présenter des projets « bancables »
La vertu de cette approche a été démontrée dans le projet de centrale électrique de Malicounda au Sénégal, qu’Africa50 a été chargé de structurer et de rendre attractif pour les investisseurs. Alain Ebobissé se souvient : « Nous avons pu le faire assez rapidement, mais surtout, nous avons pu investir nos fonds propres dans le projet avant que les prêteurs ne soient prêts à le financer. » Ce faisant, « nous avons amélioré le calendrier de mise en œuvre du projet et nous avons pu le mettre en œuvre plus rapidement que si nous avions procédé de manière traditionnelle, c’est-à-dire en attendant que les prêteurs soient prêts à financer le projet avant de commencer la construction ».
La coordination entre les gouvernements africains et le secteur privé est également importante pour combler le déficit d’infrastructures. En structurant les projets et en répartissant les risques de manière proportionnée, les gouvernements sont encouragés à mener à bien les projets nécessaires. « D’après mon expérience, lorsque les gouvernements se sentent à l’aise, ils sont capables d’agir plus rapidement. C’est le rôle que nous jouons à Africa50 : mettre les gouvernements et le secteur privé à l’aise pour que nous puissions mettre en œuvre les projets le plus rapidement possible. »
Initiatives de collecte de fonds
Avec seulement un milliard de dollars de capital engagé par ses actionnaires gouvernementaux, Africa50 a besoin de lever beaucoup plus de capitaux pour avoir un plus grand impact. L’objectif est désormais de lever davantage de fonds auprès d’investisseurs institutionnels et d’un nouvel instrument, Africa50 Infrastructure Acceleration Fund (fonds d’accélération de l’infrastructure).
La nécessité d’avoir plus d’impact est également la raison pour laquelle Africa50 a choisi les fonds propres plutôt que les instruments de dette. Selon Alain Ebobissé, les fonds propres peuvent permettre à Africa50 de catalyser davantage d’investissements privés que la dette.
Selon lui, les investisseurs institutionnels africains disposent d’environ 2 milliards $ d’actifs, dont une partie pourrait être affectée à l’investissement dans les infrastructures. Il est convaincu que l’investissement dans les infrastructures, y compris par le biais des instruments d’Africa50, constituerait une proposition rentable et fiable pour ces fonds.
L’une de ces catégories d’investisseurs, les fonds de pension, pourrait toutefois nécessiter des changements réglementaires pour permettre aux gestionnaires de fonds d’investir dans des fonds d’infrastructure. Malgré cela, Africa50 a connu un certain succès avec les fonds de pension à travers l’Afrique.
« Je comprends que les gouvernements soient prudents car l’argent des fonds de pension doit être géré de manière très sûre. Nous allons plaider pour que les gouvernements assouplissent certaines de ces réglementations afin de permettre aux fonds de pension d’investir une partie de leurs avoirs dans les infrastructures africaines. Nous serons en mesure de montrer que cela peut être fait de manière prudente et que cela produira des rendements ainsi qu’un impact. »
Une intervention dont il est particulièrement satisfait est l’initiative « Room2Run », mise en œuvre de concert avec la BAD et la banque japonaise Mizuho, qui a été la toute première titrisation de portefeuille conclue entre une banque multilatérale de développement et des investisseurs du secteur privé.
Elle transfère le risque de crédit mezzanine sur un portefeuille de 47 prêts non souverains de la BAD dans les secteurs de l’électricité, du transport, de la finance et de l’industrie manufacturière à travers l’Afrique. Africa50 a investi dans Room2Run aux côtés de Mariner Investment Group, une société d’investissement américaine.
Cette opération a permis de libérer 1 milliard $ sur le bilan de la BAD, qui peut désormais l’utiliser pour d’autres projets, tout en offrant des retours sur investissement aux investisseurs, y compris à Africa50.
Selon Alain Ebobissé, le recyclage des actifs est un autre moyen de financer le déficit d’infrastructures. « Nous le recommandons à nos actionnaires gouvernementaux. En clair, une fois qu’ils ont des actifs qui produisent des revenus, ils peuvent les recycler pour lever des fonds qu’ils pourront ensuite investir dans de nouveaux projets. » Pour les pays en proie à une crise de l’endettement provoquée par diverses crises mondiales, il s’agit d’une intervention bienvenue qui susciterait beaucoup d’intérêt.
Pas le temps d’attendre la perfection
Les défis actuels amènent également les gouvernements à rechercher des moyens de financement non traditionnels et Alain Ebobissé prévoit que les partenariats public-privé se multiplieront en conséquence. Par exemple, des services publics et des régimes tarifaires plus crédibles dans le secteur de l’électricité signifieraient que les producteurs d’électricité indépendants n’auraient pas besoin d’obtenir des garanties souveraines pour leurs investissements.
« Il existe des réserves de capitaux considérables, y compris en Afrique. Il est important de les exploiter et d’attirer ces investisseurs institutionnels vers les investissements dans les infrastructures africaines. » Il est donc impératif que les investisseurs n’attendent pas le projet parfait ou les conditions idéales. Trop souvent sur le continent, les investisseurs, les promoteurs et les financiers sont à la recherche d’un projet en or, de conditions et de prix parfaits.

« La culture d’Africa50 est que si le projet est suffisamment bon, nous le faisons. » La vitesse d’exécution est importante. Nous ne recherchons pas des conditions parfaites avant d’investir ; « nous ne pouvons pas être performants dans l’environnement imparfait dans lequel nous nous trouvons ». Nous devons nous concentrer sur les fondamentaux et sur ce qui est important. Une fois cette étape franchie, il est possible d’évoluer et de rectifier le tir au fur et à mesure de l’avancement du projet.
« Il est impératif d’agir rapidement. Nous ne pouvons pas faire de compromis sur les risques de réputation ou sur les exigences des principes environnementaux, sociaux et de gouvernance, mais nous ne pouvons pas non plus attendre que le projet soit parfait pour aller de l’avant. Le coût des retards est trop élevé », affirme-t-il.
« Les infrastructures africaines sont rentables et nous avons de nombreux exemples de personnes qui gagnent bien leur vie et qui peuvent contribuer au projet. Notre défi est maintenant d’essayer de réaliser un plus grand nombre de ces projets, plus rapidement et à plus grande échelle. C’est notre défi pour les prochaines années », conclut Alain Ebobissé.
@ABanker