Les défis d’une banque aux ambitions continentales

Amine Bouabid, directeur général du groupe Bank of Africa, décrit comment la banque réussit à récolter des fruits de sa nouvelle organisation, malgré l’adversité. Il décrypte la stratégie post-Covid du groupe, dans un contexte de taux d’intérêt élevé.
Au titre du premier semestre 2023, tout comme en 2022, la BOA affiche des résultats solides, avec des indicateurs tels que le produit net bancaire, les actifs et le capital de catégorie 1 qui progressent. Amine Bouabid dirige les opérations de la BMCE hors Maroc du groupe ; adepte du franc-parler, le dirigeant travaille au sein du groupe marocain depuis plus de vingt ans. Lorsque nous lui demandons comment la banque est parvenue à afficher une croissance positive dans des conditions économiques difficiles, y compris des dévaluations et des renégociations de la dette sur certains marchés clés comme le Ghana et le Kenya, il répond que c’est le résultat d’une anticipation et d’une action précoce.
« Nous avons travaillé dur pendant la période Covid, au cours de laquelle nous avons délibérément « fermé les robinets ». Tout notre plan de développement stratégique a été mis en suspens et nous avons essentiellement travaillé avec le capital existant. Nous avons compris que la situation nécessiterait davantage d’importations, les pays essayant de répondre à la demande locale de denrées alimentaires ; nous nous sommes donc positionnés sur le financement du commerce et avons également travaillé à l’augmentation des dépôts », explique-t-il.
La banque a également adopté une approche sectorielle pour déterminer les domaines présentant le moins de risques, une démarche qui a été critiquée par certains clients, se souvient Amine Bouabid, mais qui, selon lui, était essentielle pour disposer d’un portefeuille de prêts sain. Alors que beaucoup s’attendaient à une forte croissance avec le recul de la maladie et la réouverture des pays et des industries, les équipes de gestion de la banque surveillaient de près les hausses d’intérêt à venir en raison de l’augmentation de l’inflation et ajustaient leurs positions en conséquence, à l’avance. « Neuf mois avant que les banques centrales ne prennent leurs décisions, nous savions que les taux d’intérêt allaient augmenter. Nous avons donc immédiatement adapté notre portefeuille à des échéances couvertes à 90 %, voire 95 %, plutôt que de conserver des positions spéculatives plus sensibles aux chocs de taux d’intérêt. C’est pourquoi nous avons été épargnés par les chocs que d’autres banques ont dû subir. »
Soutien aux PME
Les « dieux du Forex » ont également aidé : « La rareté des devises fortes sur les marchés locaux nous a donné l’occasion d’acheter ces devises sur les marchés internationaux, avec des marges beaucoup plus attrayantes. Cela a augmenté nos revenus provenant des marchés monétaires et des taux d’intérêt. »
Le domaine des PME présente une opportunité commerciale évidente et que la banque a, selon Amine Bouabid, la responsabilité morale de soutenir. La banque a augmenté le volume des prêts et le total des décaissements en faveur des PME en travaillant en partenariat avec des fonds de garantie. Alors que les nuages économiques se dissipent progressivement, Bank of Africa se concentrera davantage sur les PME, qui, selon son dirigeant, peuvent contribuer à l’effort d’industrialisation de l’Afrique. Cette stratégie repose également sur la diversification des risques de son portefeuille.
« Nous avons examiné notre portefeuille de prêts et constaté que nous étions trop exposés aux grandes entreprises alors que les PME ne représentaint que 10 % de nos actifs, il était donc naturel de concentrer nos efforts en leur direction. » Les choix de la banque sont ancrés dans l’idée que l’activité économique sur le continent doit être axée sur la valeur ajoutée. « Je ne veux pas financer des importations, je veux financer la personne qui va extraire le coton, mais surtout la personne qui va créer une filature, avant de le revendre. Je veux financer une chocolaterie, pas quelqu’un qui exporte du cacao. »
Une partie de l’approche consiste à aider les PME à surmonter certains des obstacles structurels qui ont entravé leur accès au financement. « Nous devons apprendre aux entreprises que plus elles sont transparentes, plus elles auront accès à des financements importants. En adoptant cette approche, nous avons réalisé un grand nombre de petites transactions, toujours dans le but de créer de la valeur ajoutée. Nous, banquiers, devons jouer le rôle moteur que les puissances étrangères n’ont pas joué. » Cette distinction entre les rôles que jouent les entités locales et étrangères dans l’économie africaine est à l’origine de la tentative de la banque de reprendre les actifs de la Société Générale et de BNP Paribas lorsqu’elles ont quitté le continent. Cependant, ses efforts au Sénégal et en Côte d’Ivoire n’ont pas été couronnés de succès, les gouvernements de ces deux pays ayant opté pour des banques locales. BO reste ouverte à de nouvelles opportunités, mais le jeu en vaut-il la chandelle ?
Éviter de créer une bulle
« Au Sénégal, par exemple, il y a cinq banques sur le marché, et les autres ont beaucoup de mal à exister. Devons-nous nous donner beaucoup de mal pour acquérir des petits bilans que nous pourrons reconstituer nous-mêmes en trois mois ? »
Comment la BOA a-t-elle été exposée aux récentes difficultés de certaines économies, comme la restructuration de la dette du Ghana ? « Moins que d’autres banques, mais nous avons été touchés par le défaut de paiement du gouvernement et par la dévaluation de la monnaie. C’est pour cette raison que, malgré tous les arguments que l’on peut opposer au franc CFA et à sa dépendance à l’égard d’une ancienne puissance coloniale, la stabilité qu’il offre a aidé les petites économies d’Afrique de l’Ouest en leur apportant une certaine rigueur et une certaine stabilité. »
Amine Bouabid s’inquiète toutefois de la manière dont les politiques fiscales et monétaires ont été menées dans certains pays face aux crises de Covid-19, de l’hyperinflation et de la guerre en Ukraine. Le recours à la planche à billets pour combler les déficits de financement des gouvernements n’a pas été une évolution saine, estime-t-il. « Pour illustrer, avant la crise de la Covid, nos marchés de l’UEMOA représentaient 5 000 milliards de F.CFA émis par la Banque centrale en contrepartie du refinancement des obligations. Avec la crise, en l’espace de deux ans, deux ans et demi, le montant a été porté à 8 000 de F.CFA ! La Banque centrale a décidé d’imprimer de la monnaie. On a créé une masse monétaire sans aucune contrepartie dans la réalité. Avec la guerre en Ukraine et les craintes d’inflation, on a soudain, en trois mois, ramené le montant à 6 000 milliards F.CFA. On a appris aux banques à présenter des bilans artificiellement gonflés qui ne voulaient rien dire. »
« Nous devons apprendre aux entreprises que plus elles sont transparentes, plus elles auront accès à des financements importants. »
Cependant, on peut dire que cela était nécessaire, étant donné le besoin de répondre à la pandémie. « Le retour à une certaine discipline financière est donc normal, sinon nous devons dévaluer. Il faut revenir progressivement aux normes d’avant la crise, car les niveaux actuels risquent encore de créer une bulle artificielle », reconnaît Amine Bouabid.
Les dettes africaines sont mal évaluées
Lorsqu’on lui demande son avis sur les récentes déclarations de l’Union africaine concernant la création d’une agence de notation de crédit africaine, il invite à la prudence, car cette agence doit être crédible aux yeux des investisseurs internationaux, faute de quoi elle n’aura pas d’impact sur les taux exigés. Il critique toutefois la manière dont l’OCDE, par exemple, considère la dette africaine comme une dette de pacotille, alors que peu de pays ont fait défaut. Cette mauvaise évaluation a un impact, y compris pour une banque bien capitalisée comme la sienne, qui dispose d’une puissance de feu considérable grâce au soutien de sa maison mère au Maroc.
Il estime que les banques jusqu’à 200 points de base de plus qu’elles ne devraient probablement sur la dette qu’ils parviennent à lever sur les marchés de capitaux internationaux, ce qui a finalement un impact sur le coût du capital pour les entreprises africaines.
OBY, avec LS
@ABanker