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Entretien

L’Afrique peut-elle envisager des « villes à charte » ?

L’Afrique peut-elle envisager des « villes à charte » ?
  • Publiémai 15, 2023

Le modèle des villes modernes autonomes des États est controversé, mais compte tenu de l’urbanisation rapide et de la forte augmentation prévue de la population africaine, Kurtis Lockhart, du Charter Cities Institute, estime que leur heure est venue.

 

Qu’est-ce que le Charter Cities Institute (CCI) ?

Nous sommes un groupe de réflexion à but non lucratif situé aux États-Unis. Nous comptons également l’Institut de la Charte des Villes en Zambie, qui dirige nos travaux en Afrique, où se déroulent la plupart de nos projets. La vision de l’ICC est de donner aux villes nouvelles les moyens d’une meilleure gouvernance afin de sortir des dizaines de millions de personnes de la pauvreté.

La réduction de la pauvreté est au cœur de nos préoccupations et les villes à charte permettent de relever deux défis majeurs auxquels les villes et les pays du Sud sont confrontés au cours du XXe siècle. Le premier est une urbanisation d’une rapidité sans précédent. Cette urbanisation est combinée à une faible capacité de l’État et à un faible niveau de gouvernance dans ces régions pour faire face de manière adéquate à cette urbanisation rapide.

 

Qu’est-ce qu’une « ville à charte » ?

Il n’est pas surprenant qu’avec une nouvelle idée comme celle des villes à charte, plusieurs définitions différentes circulent.

Paul Romer a inventé le terme Charter cities lors d’une conférence Ted en 2009. En gros, un pays à hauts revenus et bien gouverné comme le Canada viendrait s’installer dans un pays à faibles revenus et mal gouverné. L’exemple qu’il a utilisé est celui du Honduras.

Le Honduras accepterait de céder une parcelle de terre à l’échelle d’une ville au Canada, qui importerait ses bonnes institutions sur cette parcelle de terre. Ces meilleures institutions et cette gouvernance améliorée donneraient un coup de fouet à l’investissement et à la création d’entreprises, ce qui créerait des emplois et permettrait d’obtenir un cycle durable de croissance économique.

Il s’agit là d’une version simplifiée du modèle de Romer. Il a reçu beaucoup de critiques à ce sujet. Certains y voyaient un modèle néocolonial.

Notre version des villes à charte est différente. Nous envisageons un PPP (Partenariat public-privé) entre un pays d’accueil et un promoteur urbain. La raison pour laquelle nous voulions nous éloigner du modèle de Romer est que nous le considérions comme politiquement irréalisable, car les États ne sont pas prêts à porter atteinte à leur propre souveraineté.

L’objectif de la Coalition des 50 prochaines villes d’Afrique est de rassembler et de mobiliser les principaux acteurs et partenaires impliqués dans la conception, le financement, la construction et l’exploitation de ces nouvelles villes et de mobiliser des ressources.

C’est un sujet très émotif et chargé, non seulement pour le gouvernement hôte, mais aussi pour les citoyens qui ont placé ces gouvernements en position de pouvoir. Et ce n’est pas souhaitable à long terme, parce que vous voulez que le gouvernement local, le gouvernement d’accueil, apprenne avec le temps.

C’est souvent en faisant qu’on apprend ces choses. Et si l’on externalise complètement au Canada, on court-circuite ce processus d’apprentissage en matière de gouvernance. Nous nous sommes donc éloignés de ce modèle qui porte atteinte à la souveraineté et nous nous sommes concentrés sur un partenariat public-privé entre le pays d’accueil et un promoteur urbain.

Nous considérons que c’est tout à fait faisable. En fait, c’est très courant. Les PPP sont utilisés dans le monde entier dans divers secteurs, des infrastructures à l’éducation. Les gouvernements y sont donc habitués. Il existe déjà des accords de construction, d’exploitation et de transfert (BOT) dans lesquels le gouvernement a ce but ou cet objectif politique à l’esprit.

 

Il conclut un BOT avec une entité du secteur privé, qui construit l’infrastructure, l’exploite pendant les premières années, puis la transfère au terme d’une période convenue. C’est exactement ce dont nous parlons ici. C’est la première chose à faire.

Deuxièmement, nous pensons que ce modèle est meilleur pour les villes à charte parce qu’il suppose un mécanisme d’autofinancement et qu’il oriente mieux les incitations. Pourquoi ? Parce que lorsqu’un promoteur est en place, sa motivation, son incitation est de maximiser ses profits. Il s’agit d’une entité du secteur privé.

Les promoteurs y parviennent en maximisant la valeur des terrains. Comment maximiser la valeur des terrains ? En rendant l’endroit aussi attrayant que possible pour les entreprises et les résidents.

Pour ce faire, il faut créer une grande ville, une ville prospère, dotée d’excellents équipements et d’un environnement commercial propice à la prospérité des entreprises qui s’y installent.

 

Quels sont les problèmes spécifiques à l’Afrique que les villes à charte peuvent résoudre ?

Le XXe siècle verra 5 milliards de nouveaux citadins s’installer. Je tiens à mettre ce chiffre en perspective, car il s’agit d’un nombre sans précédent.

Dans les moins de trente ans qui nous séparent de 2050, 2,5 milliards de personnes viendront s’ajouter aux villes ; or, 95% de ce phénomène se produit dans les pays à revenu faible ou moyen du Sud. Pour ce qui est du manque de capacité et de gouvernance, beaucoup de ces pays ne sont pas en mesure de faire face à cet afflux de population, à ce tsunami d’êtres humains.

Je divise cela en trois défis particuliers. Le premier est d’ordre juridique. Dans beaucoup de ces pays, les villes en tant qu’unité n’ont pas l’autorité juridique sur les différentes politiques dont elles ont besoin. Certaines villes n’ont pas d’autorité politique en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme.

Comment une ville peut-elle faire face à une croissance de 4 % à 6 % par an si elle n’a pas d’autorité politique dans ces domaines ? Il suffit de leur donner l’ensemble approprié d’autorités sur le bon ensemble de politiques.

Deuxièmement, ces villes sont confrontées à des contraintes financières. Seuls trois des 54 pays africains ont le pouvoir légal d’émettre des obligations municipales, inscrit dans leur Constitution.

Il n’y a donc pratiquement pas de marché pour les obligations municipales sur le continent. C’est une réalité absurde dans la région qui connaît l’urbanisation la plus rapide de la planète. En effet, les obligations municipales sont le principal moyen utilisé par les villes européennes et les villes nord-américaines du monde désormais riche pour financer leur croissance urbaine.

La troisième grande contrainte est que, même si ces villes à faibles revenus avaient les pouvoirs juridiques et la capacité financière d’émettre des emprunts municipaux, si ces deux éléments ne peuvent être canalisés vers la capacité technique de construire les infrastructures, de construire les routes, d’installer les égouts, de construire l’électricité, alors tout ne va pas bien.

Il faut ces trois éléments et la plupart des villes du Sud en sont dépourvues. Les Charter cities sont un moyen d’augmenter rapidement les capacités dans ces trois domaines, juridique, financier et technique.

 

Les Charter cities ne risquent-elles pas d’aggraver les inégalités en créant des enclaves urbaines d’élite ?

Il existe des centaines de projets de villes nouvelles à travers le monde. Beaucoup d’entre elles sont des enclaves ou finissent par devenir des enclaves pour les segments à revenus élevés. Cela a donc, vous avez raison, un effet exacerbant sur les inégalités.

L’une des choses sur lesquelles je me concentre est d’essayer de trouver des moyens d’inciter certains de ces centaines de promoteurs de villes nouvelles qui sont déjà en cours à travers le monde à la manière d’intégrer davantage les ménages à faibles et moyens revenus dans leur réflexion. En effet, les villes peuvent être de formidables vecteurs d’opportunités et de mobilité ascendante, mais seulement si l’on garde à l’esprit qu’il faut fournir des logements et des équipements à un prix abordable pour l’ensemble de la répartition des revenus.

Beaucoup de ces nouveaux développements urbains ne sont souvent abordables ou accessibles qu’aux segments de revenus supérieurs. Nous essayons de remédier à cette situation et nous travaillons avec plusieurs de nos projets de villes nouvelles pour y parvenir.

 

Vous vous concentrez sur une Coalition pour les villes africaines. Quels sont ses objectifs ?

À l’ICC, voici quelques années, nous avons eu des discussions préliminaires avec des gouvernements, et ces discussions allaient bon train, et le gouvernement demandait inévitablement : « Qui d’autre fait cela ? »

Et nous n’avions pas vraiment de bonne réponse parce qu’il n’y avait que nous et quelques autres organisations basées à San Francisco.

C’est ainsi qu’est née la Coalition des 50 prochaines villes d’Afrique (NXT50). Son objectif est de rassembler et de mobiliser les principaux acteurs et partenaires impliqués dans la conception, le financement, la construction et l’exploitation de ces nouvelles villes de manière efficace et de mobiliser des ressources en leur nom.

Plusieurs projets de villes nouvelles sont membres de la coalition. Les gouvernements de la Zambie, du Kenya, de l’Ouganda, de la Tanzanie et d’autres pays y participent. Des organisations comme la nôtre, l’African School of Economics et quelques autres instituts universitaires y participent également.

 

Sans oublier les organisations financières. Il s’agit d’une excellente plateforme d’échange de bonnes pratiques entre ces villes nouvelles. La nouvelle ville naissante n’a pas à répéter les mêmes erreurs que celles commises par la ville plus ancienne et mieux établie.

Nous avons également lancé le premier ensemble mondial de données exhaustives sur les villes nouvelles. Depuis un an et demi, avec le partenaire de collecte de données appelé Adrian Opal Group, nous recueillons des données sur des centaines de nouveaux développements à travers le monde. Il ne s’agit pas seulement de caractéristiques superficielles telles que l’emplacement, mais aussi de caractéristiques plus profondes, telles que les structures de gouvernance de ces nouvelles villes. Disposent-elles d’une autorité déléguée pour prélever des impôts et générer des recettes propres, etc. ? Cet ensemble de données sera rendu public le 30 mai.

 

Aller plus loin : entretien audio (en anglais) sur notre podcast

@AB

 

Écrit par
Desnié Masie

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