La ministre des Affaires étrangères de la République centrafricaine, Sylvie Baïpo Temon, aborde sans détour les priorités de son pays – critiqué pour avoir fait appel aux ”instructeurs russes” –, sur la question sécuritaire. Elle revient sur les initiatives en matière économique, ainsi que sur les relations avec la France, ainsi que sur la place de son pays à l’international.
La question sécuritaire et politique et surtout géopolitique sont des enjeux cruciaux pour la Centrafrique, comment se positionne le pays face à ces différentes urgences ?
Oui en effet, c’est le nœud de la guerre. Le pays reste constant et en quête de cet idéal qu’est la paix qui de manière très légitime est l’aspiration du peuple centrafricain. Le pays se bat pour faire entendre la vérité et la réalité du terrain. Comme vous le savez, les défis sécuritaires en Centrafrique ne reflètent que les convoitises liées aux richesses de son sous-sol, et de ce fait, le pays est condamné à la merci des décisions des autres. Si nous n’avions pas tant de richesses nous n’aurions pas tant de problèmes !
« Si un évènement arrive, vous pouvez être sûr que cela devait se passer comme ainsi », disait Franklin Delano Roosevelt. Rien n’est hasard, tout n’est que duperie. Le sort de l’Afrique et de la Centrafrique en particulier est scellé depuis 1885 année du traité de Berlin.
Depuis 2013, la Centrafrique est proie à des attaques ciblées et répétées commises par des groupes rebelles, quelles sont les actions prises par les autorités centrafricaines ?
Comme je l’ai dit, le gouvernement se bat comme il peut avec les moyens qui sont les siens. Avec beaucoup de difficultés et de conseils, bons ou mauvais ; ces conseils n’ont jusqu’à aujourd’hui trouvé de solutions concrètes et de réponses favorables à la population. Laquelle, bien entendu, est au centre des propagandes médiatiques sur les principes d’humanité, des droits humains…
Le problème sécuritaire date de plusieurs décennies, la violence est cyclique en Centrafrique : les groupes armés changent de nom, de mouvement, selon la saison et selon le politique qui les soutient ou qui espère de manière illusoire à devenir le prochain roi de la jungle.
Auparavant, la Centrafrique n’était connue qu’en référence à l’Empereur Bokassa ; aujourd’hui, même si l’image est parfois écorchée à dessein, le pays est de plus en plus connu et de mieux en mieux apprécié.
Ce qui est curieux, c’est que face à la violence imposée par les extrémistes ailleurs on les combat, on forme même des coalitions, des alliances solidaires mais en Centrafrique, on recommande de dialoguer avec les bourreaux de cinq millions de personnes. Certainement parce qu’ils ne sont pas jugés semblables. On dépense des millions et milliards pour résoudre une crise que l’on entretient pour gagner des millions et milliards. C’est là où on comprend le sens de la phrase du Dalaï-Lama « On court toute notre vie en usant notre santé pour gagner de l’argent pour au final dépenser cet argent gagné pour retrouver la santé que nous avons perdu en courant après l’argent. »
En 2021, le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian, fustigeait la présence de Wagner qui selon lui « est une société de mercenaire qui fait la guerre par procuration », il dit aussi que : « Les mercenaires russes se substituent à l’autorité de l’État centrafricain… ». Que répondez-vous à ces affirmations ?
La Russie est en Centrafrique depuis l’Indépendance, la relation de coopération s’est accentuée de par la nature qui a horreur du vide. Vous citez des assertions auxquelles j’ai déjà répondu et sur lesquelles il est inutile de s’attarder. Notre grand Madiba avait déjà magistralement répondu : « Pourquoi voulez-vous que votre ennemi soit notre ennemi, dès lors qu’il partage notre cause et notre lutte ? »
Dans ce monde qui peut prétendre être meilleur médecin si ce n’est celui qui aura prescrit ou administré le meilleur remède. Soyons clairs, qui osera se lever pour prétendre n’avoir jamais été à la cause de violations de droits humains que ce soit en multilatéral ou bilatéral ? Par conséquent, nul ne peut se positionner en donneur de leçon. Un médecin ne rejette pas le malade lépreux…
Les relations entre la France et la Centrafrique ne se sont toujours pas apaisées, avez-vous l’espoir d’une décrispation entre deux pays qui ont une longue histoire commune ?
Bangui n’a aucune crispation vis-à-vis de Paris, c’est à Paris qu’il faut poser la question car depuis deux ans, son désintéressement est palpable. Des suspensions d’accords, notamment l’accord de coopération militaire, des restrictions drastiques dans les appuis auparavant alloués que ce soit l’appui budgétaire, des programmes culturels ou d’ordre social ou sanitaire.
Nous voyons clairement un désengagement ; le dernier en date est celui de la mission de détachement militaire, devenue une simple mission logistique qui s’achèvera bientôt, elle aussi.
La RCA le répète, elle reste ouverte à toute coopération qui se veut gagnant-gagnant. C’est un minimum à revendiquer aujourd’hui. Je conclurai sur cette question en disant que tout n’est qu’une question de choix, le choix de ce que l’on souhaite léguer à la génération future car il ne faut pas oublier que nous ne sommes que des mortels et l’histoire du monde nous apprend que le monde se souvient que de ceux et celles qui ont construit et non de ceux et celles qui ont défait ou détruit.
Dans le domaine économique, le gouvernement centrafricain a surpris, – surtout au niveau continental où la question du franc CFA passionne –, avec le projet du président Faustin Archange Touadéra de cryptomonnaie, le Sango. Pourquoi cette démarche est apparue nécessaire, pour quels enjeux ?
Je pense qu’il y a eu beaucoup de bruit sur ce sujet pour rien. Il n’a jamais été question d’une nouvelle monnaie, et aucun texte n’a parlé de nouvelle monnaie. Nous proposons de légiférer sur un moyen de transaction potentiel. ce débat sur le Sango a été une belle cacophonie, né de la peur de ce que l’on ne connaît pas.
Je reconnais que cela touche un point sensible : un système monétaire et financier doit être conçu à bon escient. Comprenons simplement qu’aujourd’hui, il existe le marché réglementé, contrôlé par un régulateur et le marché non réglementé, dit « marché libre ». Celui-ci est tout aussi réglementé mais avec des règles, notamment d’admissions plus souples que le premier marché.
Dans le cas du Sango et donc de la cryptomonnaie qui n’est aujourd’hui contrôlé par aucun régulateur, nous observons juste une certaine panique de ne pouvoir maîtriser ou contrôler, pour être franche, la peur du boom de la Centrafrique sans aucun moyen de contrôle ou de pilotage.
Bref, comprenons simplement que mobiliser pour la Centrafrique à base de slogans axés sur les potentialités du pays est désormais à bannir.
Comment définiriez-vous la place de la Centrafrique sur le plan international ?
Une place qui doit se consolider dans l’avenir. Si l’avenir du monde, d’un point de vue économique, d’ailleurs toutes guerres de crises ne sont que des guerres économiques, alors la Centrafrique doit affirmer sa place, le pays en a le potentiel et il en détient le potentiel. Rester à la traîne nous condamnerait à la soumission ou la servitude volontaire.
Outre la Russie, la Centrafrique compte-t-elle s’ouvrir à d’autres pays comme l’Inde, la Turquie ou l’Allemagne, par exemple ? Et pourquoi est-il important pour les autorités centrafricaines de diversifier leurs partenaires ?
Cela est indispensable du fait de la mondialisation. Et de plus, c’est une question d’équilibre car les défis de la Centrafrique sont nombreux et aucun pays aujourd’hui, face aux difficultés du monde ne peut se vanter d’être seul en capacité de répondre seul à ses attentes et à ses défis.
Bien entendu, nous souhaitons développer des relations de coopération avec d’autres pays tels que la Turquie, l’Inde, l’Allemagne,… La RCA est ouverte à toute coopération qui contribuera à sa stabilité et sa prospérité. Le monde est aujourd’hui planétaire et le pays n’a volé son territoire à qui que ce soit !
Quelles relations entretenez-vous avec des instances sous régionales comme l’Union africaine ?
Nous entretenons de bonnes relations avec les instances sous-régionales et même continentales. Elles sont d’ailleurs très engagées sur les sujets de sécurité. Et sont les premières concernées par la situation préoccupante, qui constitue un risque pour la sous-région.
Nous réalisons aujourd’hui combien la revendication d’une Afrique unie, d’une Afrique centrale indivisible, étaient de réelles visions à long terme. Car nos difficultés résident en nos disparités. Comme l’avait préconisé notre Père fondateur, Barthélémy Boganda, seuls les grands espaces peuvent résister aux fluctuations du monde. Pendant qu’on nous divisait ou que nous nous divisions nous-mêmes, d’autres ensembles se créaient. À nous d’en tirer leçon aujourd’hui.
La crise en Ukraine a des répercussions partout dans le monde. Du fait de votre relation de coopération avec la Russie, la Centrafrique subit-elle des pressions ?
La crise en Ukraine n’a épargné personne, notamment en ce qui concerne les poussées inflationnistes. Bien entendu, cette crise crée des tensions et pressions supplémentaires du fait de la polarisation qui tente de s’installer.
Je pense qu’il y a beaucoup d’amalgames et une volonté de ne pas comprendre le contexte mondial. Aujourd’hui, il n’est plus question d’alignement ou non. C’est davantage une question de mémoire : l’Afrique a pris du recul et elle revendique sa place. Elle ne peut plus fonctionner aux pressions, intimidations et autres, elle revendique un droit de décider par elle-même, ce qui est légitime et juste selon elle.
Ce qui est curieux, c’est que face à la violence imposée par les extrémistes ailleurs on les combat, on forme même des coalitions, des alliances solidaires mais en Centrafrique, on recommande de dialoguer avec les bourreaux de cinq millions de personnes.
Nous avons un devoir de mémoire qui nous oblige, à aujourd’hui, à être mesuré et en cohérence avec nos propres enjeux. L’Afrique a tiré leçon d’un passé et a compris que peu importe la courtoisie qu’elle observera, elle restera le continent des non-semblables, elle en a pris acte d’une solidarité mondiale sélective.
De ce fait, face à tant de décennies de crises et de violences, elle a l’obligation vis-à-vis de sa population, au regard de ses propres défis, comme on dit en Afrique, de devoir balayer d’abord devant sa porte avant d’aller balayer chez le voisin.
Le 14 décembre 2018, vous remplacez Charles Armel Doubane au poste de Ministre des Affaires étrangères. Comment avez-vous reçu cette nomination ?
À vrai dire, je ne sais plus exactement, surprise oui car je ne m’y attendais pas. Du fait de la situation chaotique au pays, j’étais active sur les colloques et auprès des associations pour les orphelins pour aider. Et parfois, je prenais ma plume pour rédiger des tribunes mais très personnelles et sans le vouloir et sans me rendre compte j’ai surfé sur le terrain politique et je suis tombée dedans !
J’ai trouvé un ministère de l’ancienne époque, du fait des nombreuses crises connues par le pays. Un ministère laissé-pour-compte et non pas à l’air du temps et des enjeux et défis de la République centrafricaine.
À votre arrivée à ce poste, quelles furent vos priorités immédiates pour la Centrafrique ?
Elles étaient nombreuses relativement à la situation chaotique du pays. La première était de répondre à la volonté du président de la République de ramener la Centrafrique dans le concert des Nations. Il a fallu travailler pour relever le pays de ces cendres et l’ouvrir au monde par une diversification des coopérations au regard des nombreux défis à relever et donc des nombreux besoins ici et là.
Auparavant, la Centrafrique n’était connue qu’en référence à l’Empereur Bokassa ; aujourd’hui, même si l’image est parfois écorchée à dessein, le pays est de plus en plus connu et de mieux en mieux apprécié.
Quel est le message que la Centrafrique voudrait envoyer à ses alliés mais également à la communauté internationale ?
Il n’y a pas plus belles réalisations que l’œuvre humaine, ensemble choisissant de construire la paix et de préserver notre humanité. C’est un devoir pour lequel nous serons comptables tôt ou tard.
Bio express
Sylvie Baïpo Temon est issue d’une famille modeste de huit enfants, quatre filles et quatre garçons. Elle est aujourd’hui mère de deux enfants. Elle a une formation universitaire en Économie et finance, après un Bac scientifique. Elle a acquis vingt d’expériences professionnelles en France, au sein du groupe Banque Populaire, du cabinet Deloitte et surtout chez BNP Paribas.
Elle a appris tôt à être une personne responsable, de par son statut d’ainée : « Chez nous les ainées s’occupaient des plus petits, entre moi et mon dernier frère, nous avons douze ans de différence. Je m’occupais de lui, toilettes, repas et je le déposais à la crèche avant d’aller au collège…. Et dans les activités extra-scolaires, j’emmenais ma petite tribu avec moi qui faisait office de mon fan club. J’ai été sportive plus jeune, j’ai fait du handball en compétition, avec quelques sélections à mon actif, mais tout cela est bien loin désormais ! » Sylvie Baïpo Temon se décrit comme « une femme de principes, à cheval sur les valeurs essentielles de respect, de fierté ».
C’est donc fin 2018 que Sylvie Baïpo Temon accède au poste de ministre des Affaires Étrangères de la République centrafricaine, nommée par le président Faustin Archange Touadera. Depuis 2011, le pays est en pleine crise sécuritaire, après le renversement de l’ancien président François Bozizé. La Centrafrique devient la cible d’attaques répétées commises par des factions rebelles. L’urgence est de sécuriser le pays afin de permettre aux citoyens centrafricains de reprendre leur vie sociale mais surtout économique.
@NA