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Entretien

La multimillionnaire qui change des vies

La multimillionnaire qui change des vies
  • Publiénovembre 3, 2023

Aider les enfants africains émigrés au Royaume-Uni est devenu une activité lucrative pour Nyasha Gwatidzo. Pourtant, elle désespère de la dérive qui se poursuit dans son pays, le Zimbabwe. Retour sur un parcours.

 

Malgré les difficultés persistantes de son pays d’origine, Nyasha Gwatidzo, multimillionnaire basée à Guernesey, est la preuve vivante que les Zimbabwéens expatriés peuvent réussir n’importe où.

Sa vie d’entrepreneure dans le domaine de l’aide sociale a été marquée par une alternance de risques et de récompenses. En 1992, elle a transformé 800 livres sterling (915 euros) de prime de licenciement en un chiffre d’affaires actuel de 150 millions de livres (170 millions d’euros), avec une entreprise qui s’est occupée de milliers d’enfants vulnérables et traumatisés, tant en Afrique qu’au Royaume-Uni.

« Le Zimbabwe dispose de ressources extraordinaires. Il n’y a pas eu d’investissement, et c’est ce dont le Zimbabwe a besoin : déterrer ces ressources et les distribuer équitablement aux masses, et non à quelques élus qui se trouvent être des politiciens ou des hommes d’affaires. »

Gwatidzo a consacré sa vie à s’occuper d’enfants depuis le jour où un bébé a été attaché sur son dos dans le village des montagnes près d’Inyanga, sur les hauts plateaux occidentaux de Zimbabwe, non loin de la frontière avec le Mozambique. Elle n’était pas beaucoup plus grande que le bébé, mais elle avait le sentiment qu’il s’agissait de son avenir.

En écoutant Nyasha Gwatidzo, on ressent cette chaleur, à la limite de la nostalgie, d’une époque perdue faite d’espoir et de confiance. C’est ainsi que de nombreux Zimbabwéens attachés à leurs principes parlaient avec affection de leur pays indépendant.

Nyasha Gwatidzo est un enfant de la lutte contre la minorité blanche. En 1975, son père, Basil, directeur d’école, a aidé le futur président Robert Mugabe à franchir la frontière avec le Mozambique à l’arrière de sa voiture. Enfant, elle a rencontré Mugabe un matin au petit-déjeuner, mais n’a réalisé qui il était que lorsqu’il a été élu à la tête du Zimbabwe en 1980.

Sa mère Lucy est rentrée d’Angleterre en avril de cette année-là pour faire campagne pour le parti ZANU de Mugabe lors des premières élections libres du pays, aux côtés de la future vice-présidente Joice Mujuru. Elle a été arrêtée et presque tuée par des soldats lors de cette élection mouvementée.

Elle disait : « Qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai laissé mes enfants en Angleterre. C’étaient des pionniers – ils ont vraiment risqué leur vie », raconte Nyasha Gwatidzo.

Ses parents avaient déménagé à Sheffield, dans le nord de l’Angleterre, peu de temps après que son père eut fait passer la frontière à Mugabe, emmenant leurs enfants. Ils ont travaillé dans les chemins de fer pendant leurs études, Basil en tant qu’aiguilleur et Lucy en tant que responsable d’une gare.

 

Le sort des enfants

La jeune Nyasha a suivi des études poussées en travail social à l’université de Reading, où elle s’est épanouie. Elle se spécialise comme psychothérapeute, s’occupant d’enfants vulnérables ayant des difficultés émotionnelles.

Elle a ensuite travaillé comme thérapeute au conseil municipal de Camden, à Londres. Puis la récession de 1992 est arrivée et le conseil a licencié Nyasha Gwatidzo, avec une indemnité de 800 livres sterling.

Elle rêvait d’être la première à créer un centre thérapeutique privé. Au début des années 1990, le manque de prise en charge des enfants en difficulté se fait de plus en plus sentir. Les autorités locales ne disposaient ni des ressources ni des capacités nécessaires pour y remédier.

À l’époque, il était encore possible pour les familles qui se trouvaient au cœur d’un conflit en Afrique de rassembler quelques dollars pour mettre leur enfant dans un avion pour Heathrow, ou un bateau pour Southampton, dans l’espoir que quelqu’un s’occupe de lui. C’était l’époque où les restrictions de voyage n’étaient pas encore très strictes. Nyasha Gwatidzo a eu connaissance de ces cas dans le cadre de son travail.

 

« Il s’agissait de mineurs non accompagnés – des enfants, vraiment traumatisés venant de zones de guerre. Nous avons eu un garçon soldat du Rwanda, un enfant de huit ans qui est arrivé par bateau d’Afrique du Sud et une autre fille du Zaïre qui est arrivée au Royaume-Uni à l’âge de quatre ou cinq ans avec quelqu’un qui faisait partie d’un réseau de pédophiles », explique-t-elle. Nyasha Gwatidzo voulait ouvrir un foyer pour ces enfants et s’est rendu compte que les autorités locales étaient prêtes à payer cher pour que quelqu’un prenne en charge un problème difficile. Elle a obtenu un prêt communautaire de 1 000 livres sterling (1 150 euros), qui s’ajoutait aux indemnités de licenciement, et s’est mise à la recherche de locaux à Londres.

Cinquante-quatre propriétaires la rejettent. Elle arrive enfin à Herne Hill, dans le sud de Londres, en désespoir de cause. Un vicaire bienveillant lui ouvre la porte d’entrée.

Il lui explique que sa femme et lui vivent dans le presbytère voisin et qu’ils louent leur maison. Il lui a accordé un délai de grâce de trois mois sur le loyer.

Fin juillet, six enfants se sont installés dans la nouvelle maison de Herne Hill. Le problème suivant était de recruter une équipe de thérapeutes qualifiés pour s’occuper de ces enfants 24 heures sur 24, ce qui signifiait une équipe de 25 à 30 spécialistes.

 

« J’ai vendu mon âme »

Malgré des difficultés financières, Gwatidzo a tenu bon. Les banques n’étaient pas disposées à lui ouvrir un compte. Elle a donc dû faire des compromis sur ses principes. Depuis qu’elle est étudiante, elle boycotte la Barclays pour ses activités en Afrique du Sud du temps de l’apartheid. C’est vers cette banque qu’elle a été contrainte de se tourner dans le besoin.

« Ils m’ont donné une condition : vous ne pouvez pas être à découvert d’une seule livre. Cinq livres tirées de ma poche ont ouvert le compte. J’étais ravie. Aujourd’hui, je réalise un chiffre d’affaires de 150 millions de livres sterling et ils refusent toujours de me donner un découvert », relate-t-elle.

« J’ai vendu mon âme… J’étais tellement déterminée à aider les enfants. Je veux toujours revenir à la raison impérieuse pour laquelle je l’ai fait. J’ai vraiment compromis mes valeurs. »

Pourtant, les affaires ont souri après ce compromis. Les contrats avec les autorités locales sont arrivés et Gwatidzo a pu verser ses premiers salaires en novembre de la même année.

« En décembre, je tournais à un million de livres. Nous étions toujours pleins. Il y avait un besoin de petites maisons. Les concurrents avaient de grandes maisons, mais leurs ressources n’étaient pas adaptées. »

Nyasha Gwatidzo a connu de nombreux dénouements heureux. Peu de temps après le lancement, trois frères sont arrivés par avion, fuyant le conflit entre l’Éthiopie et l’Érythrée. Elle leur a offert un foyer d’accueil dans sa propre maison. Neuf mois plus tard, leur mère est venue les chercher à Heathrow depuis l’Éthiopie et les a ramenés chez eux.

« C’était une fin heureuse pour eux, mais ils me manquaient. »

 

Les difficultés du Zimbabwe

Nyasha Gwatidzo est restée en contact avec la plupart des enfants dont elle s’est occupée. Quelques-uns l’ont suivie dans le travail social et un autre est acteur dans la série télévisée britannique Waterloo Road.

En 1994, elle a créé l’agence de placement familial Banya, qui place les enfants dans des familles d’accueil. En 2003, elle a fondé le Vana Trust, qui a aidé des milliers d’enfants au Royaume-Uni et au Zimbabwe, en leur offrant une éducation et une formation. Le Vana Trust possède également une ferme dans l’Oxfordshire, où les enfants trouvent une thérapie en nourrissant et en s’occupant des animaux.

Nyasha Gwatidzo laisse rarement l’herbe pousser sous ses pieds. Elle se tourne vers l’avenir et la lutte des femmes entrepreneures en Afrique.

« Je lance un fonds d’investissement d’un milliard de dollars pour les femmes de la région. J’y travaille depuis des années – j’ai perdu neuf membres de ma famille – mais je m’y remets. Ce fonds va aider des milliers de femmes dans la région. Comme vous le savez, en Afrique, l’effet multiplicateur est important : aider une femme permet d’aider 20 à 30 personnes. En Afrique, le dollar va loin et l’impact est énorme », explique-t-elle. Plus de 10 000 femmes ont posé leur candidature avant même que le fonds ne soit lancé.

« Il y a une grande demande. Je suis une femme noire et je demande aux gens d’investir en Afrique, ce qui est encore considéré comme un risque élevé… Lorsque vous commencez et vous dites que vous voulez investir en Afrique, les gens pensent que l’argent va aller en Afrique et n’en ressortira jamais ; la conversation est très difficile ! » 

Nyasha Gwatidzo gère deux entreprises au Zimbabwe, un stand de marché et une ferme. Les coupures d’électricité et l’inflation galopante continuent de compromettre leurs perspectives. Elle estime que le Zimbabwe a laissé passer tellement d’opportunités depuis son indépendance en 1980.

« Le Zimbabwe dispose de ressources extraordinaires. Elles sont toujours là. La plupart sont encore dans le sol. Il n’y a pas eu d’investissement, et c’est ce dont le Zimbabwe a besoin : déterrer ces ressources et les distribuer équitablement aux masses, et non à quelques élus qui se trouvent être des politiciens ou des hommes d’affaires », juge-t-elle.

« Nous avons besoin de gens pour s’occuper de ce merveilleux pays qui est le nôtre et de ses ressources », poursuit-elle avec une pointe de tristesse. Les millions de Zimbabwéens qui vivent dans le monde entier, qui réussissent et gagnent de l’argent, sont nombreux à penser la même chose.

@NA

 

Écrit par
Chris Bishop

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