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Guinée : Une éducation de qualité en jeu

Guinée : Une éducation de qualité en jeu
  • Publiéoctobre 30, 2018

L’année scolaire 2018-2019 n’échappe pas aux récurrentes crises qui affectent la performance de l’éducation guinéenne depuis plus d’une décennie. Les enseignants exigent une revalorisation de leurs salaires ; les politiques temporisent.

Conakry, Tokpanan Doré

Le gouvernement n’a pas pu empêcher la nouvelle grève du Syndicat libre des enseignants et chercheurs de Guinée (SLECG). Pourtant, la menace était brandie plusieurs semaines avant la rentrée scolaire du 3 octobre. La crise de l’année scolaire précédente se reproduit. Sous la pression sociale, le gouvernement avait réussi à suspendre le mouvement en trouvant un accord avec les syndicats.

Que ce soit avec les vacataires ou avec les titulaires, l’enseignement guinéen reste confronté à un problème de qualité et d’équité.

Il ouvrait un couloir de négociations sur l’un des points de revendications les plus importants : la fixation du salaire de base des enseignants à 8 millions de francs guinéens (763 euros). Sept mois après cet accord, Aboubacar Soumah, le secrétaire général du SLECG, accuse le gouvernement de refuser de négocier sur ces 8 millions.

De son côté, le gouvernement estime que l’État n’a pas aujourd’hui les moyens de payer un enseignant à huit millions. « Nous n’accepterons pas les revendications fantaisistes… Si vous comparez le PIB de la France à celui de la Guinée, et que vous comparez les salaires des enseignants des deux pays, vous serez surpris », a déclaré Alpha Condé, face à des journalistes, le 9 octobre dernier. Selon le Président, la première grève du SLECG avait coûté très cher au budget de l’État.

Suite à l’augmentation de 40 % des salaires de tous les enseignants (avec effet rétroactif), intervenue en février et mars 2018, un enseignant de la hiérarchie A gagne un salaire mensuel de 2 270 000 francs guinéens (216,50 euros). Avec l’ancienneté, les enseignants les mieux payés touchent plus de 3 millions de francs guinéens (près de 300 euros).

Face à la nouvelle crise, le gouvernement a su profiter de la pluralité des syndicats des enseignants. En effet, si le SLECG est le plus connu des organisations syndicales de l’éducation, il cohabite avec le naissant SNE (Syndicat national de l’éducation). Perçu par certains comme un syndicat favorisé par le pouvoir, le SNE n’a pas respecté le mot d’ordre de grève lancé par son rival.

Pépé Balamou, le secrétaire général du SNE, estime que « la manière de porter les revendications du SLECG ressemble beaucoup plus à la manière politique qu’à celle syndicale ». Il estime que les enseignants devraient plutôt centrer leurs revendications sur les primes de craie et de correction, les primes de documentation, les logements pour les enseignants, l’assurance-maladie, et la formation des enseignants.

En réalité, le SNE espère profiter des résultats de l’opération d’assainissement du fichier du personnel enseignant. Cette opération a consisté à recenser les enseignants…

ENCADRE 

Insuffisant, selon la Banque mondiale – En Guinée, le taux d’alphabétisation est de 30 %, l’un des plus bas au monde. Les taux de scolarisation et de réussite sont relativement bas, comparativement à la moyenne de l’Afrique subsaharienne. L’insuffisance des financements, la concentration des enseignants à Conakry, le manque de compétences des enseignants, la détérioration des infrastructures et le manque de planification figurent parmi les contraintes qui pèsent sur le système éducatif guinéen. Le total des dépenses publiques pour l’éducation s’élevait à 2,6 % en 2014, ce qui correspond quasiment à la moitié de la moyenne de l’Afrique subsaharienne (4,6 %) et des pays à faible revenu (4,2 %). Extrait du rapport Les défis de l’urbanisation en Afrique de l’Ouest (publié au printemps 2018), cinquième volet d’une série de rapports traitant de questions de développement essentielles au Tchad, au Niger, au Mali et en Guinée.

…en situation de classe et les encadreurs préfectoraux et régionaux. À la fin de l’opération, les enquêteurs ont signalé que sur un effectif de 28 627 enseignants, 7 244 restent introuvables ! Selon Bano Barry, conseiller du président Alpha Condé en charge de l’Enseignement, l’État va économiser 173,8 milliards de francs guinéens (16,6 millions d’euros) si ses enseignants restaient introuvables. « Nous avons décidé de collaborer avec l’État pour mener un recensement exhaustif… Cette somme-là, pourra s’ajouter aux salaires des enseignants », espère Pépé Balamou.

Ni qualité, ni quantité

En tout cas, le gouvernement s’est appuyé sur les enseignants du SNE pour minimiser les actions du SLECG. À Conakry, les élèves se sont abstenus d’aller à l’école de peur d’être victimes des violences qui accompagnent souvent les grèves. Pour sauver l’année scolaire, l’État remplace des enseignants grévistes par des vacataires.

Appréciée par certains et désapprouvée par d’autres, cette stratégie suscite la polémique. Sydia Touré, ancien Premier ministre devenu opposant, considère : « La finalité de l’éducation, c’est la qualité. Ce n’est pas en envoyant des milliers de vacataires pour remplacer les enseignants formés depuis des années que nous allons y parvenir. » Quoi qu’il en soit, les ressources humaines ne manquent pas, en Guinée. Depuis plus d’une décennie, le nombre d’enseignants vacataires n’a cessé de progresser. En 2017, on les estimait à plus de 2 200 personnes. « Et des milliers de jeunes chômeurs sauteraient sur l’occasion si le gouvernement décidait de recruter de nouveaux enseignants pour remplacer les grévistes ! », estime Abdoulaye Traoré, sociologue. Qui s’interroge : « Mais pour quelle qualité ? »

Que ce soit avec les vacataires ou avec les titulaires, l’enseignement reste confronté à un problème de qualité et d’équité. C’est pour l’amélioration de cette qualité que le président Alpha Condé avait décidé d’approcher de lui l’enseignant-chercheur Bano Barry. L’école guinéenne, Barry la connaît bien.

Cet expert explique que si la Guinée a réussi depuis une dizaine d’années à améliorer substantiellement l’offre éducative – de 54 % de taux de scolarisation entre 1996 et 1997 (la Guinée est aujourd’hui à 85 %), il reste à améliorer la qualité de l’éducation. « Toutes les évaluations qui ont été faites sur le corps éducatif, des enseignants du primaire, du secondaire jusqu’au niveau de qualification des enseignants du supérieur, de l’enseignement technique, arrivent à la même conclusion. Le personnel enseignant en situation de classe est mal formé », indique Bano Barry. Dans l’enseignement supérieur, la dernière évaluation nationale a révélé que près de 51 % du personnel enseignant ont un diplôme de licence, 31 % avec un diplôme de master et 18 % sont titulaires d’un doctorat.

Redoutables manifestations

Quoi qu’il en soit, s’exprime toujours le besoin d’enseignants. Entre 2008 et 2016, la Guinée a recruté quelque 35 000 enseignants dont 25 000 sous le présent régime. Sauf que 3 000 à 6 000 postes d’enseignants restent à pouvoir dans les écoles publiques. « L’éducation est considérée comme une porte d’entrée dans la fonction publique. Comme l’éducation est le secteur qui recrute le plus, on passe par elle pour arriver au ministère de son choix », explique Bano Barry.

Peut mieux faire

Selon le rapport Africa’s Pulse (octobre 2017) de la Banque mondiale, la Guinée a récemment réalisé des progrès très significatifs en matière de scolarisation. Mais la Guinée est aussi l’un des pays, avec le Burundi, le Niger, le Mozambique et le Burkina Faso, où moins de 50 % des élèves achèvent leurs études primaires. Le rapport indique que le faible taux d’achèvement des études est dû à une combinaison de plusieurs facteurs : accès physique insuffisant, redoublement, revenu familial limité et normes sociales biaisées préjudiciables aux filles.

Lors de la grève générale de 2007, la Guinée avait frôlé une année blanche. Ce n’était que le début des violentes manifestations dont les conséquences n’ont jamais épargné l’école. Des semaines de cours perdues, chaque année, les manifestations politiques et les remous sociaux (souvent liés à la réclamation d’électricité ou d’eau potable)… coûtent cher à l’éducation. Ils sont devenus récurrents depuis l’arrivée au pouvoir d’Alpha Condé en 2010 et le début des revendications de l’opposition.

Cette année encore, alors que le gouvernement se démenait pour faire face aux enseignants grévistes, Cellou Dalein et ses alliés appelaient à la reprise des manifestations pour courant octobre. Pendant ce temps, les élèves restent chez eux.

En 2018, le très faible taux de réussite au baccalauréat (26,04 %), s’expliquait aussi par ces manifestations politiques couplées à la grève des enseignants. Qu’en sera-t-il cette année ?

Écrit par
Tokpanan Doré

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