Le Cameroun résiste aux vents contraires

Après une année 2019 en demi-teinte, l’économie camerounaise semble faire preuve de résilience, face aux soubresauts de la région. L’activité reste soutenue et le pays continue de préparer l’avenir. Un nouveau plan d’action avec le FMI serait imminent.
Par Laurent Soucaille
La BAD (Banque africaine de développement) a dans son rapport Perspectives économiques, fait état d’une croissance économique estimée à 4,1% pour 2019, au Cameroun.
La Banque salue « le dynamisme » du secteur tertiaire et la croissance de la consommation et des investissements. Ce, en dépit des chocs exogènes et de la crise sécuritaire.
Certes, la BAD a aussi qualifié de « médiocres » les progrès du Cameroun en matière de développement humain : si le classement selon l’IDH place le Cameroun au 21e rang africain, le taux de pauvreté a légèrement reculé, passant, selon les dernières données, à 37,5%, contre 39,9% en 2007 ; néanmoins, l’objectif de 28,7 % en 2020 est hors de portée.
Les prix ont augmenté de 2,4% en 2019 contre +1,1 % en 2018, ce qui n’est d’ailleurs pas une mauvaise nouvelle : une inflation modérée réduit mécaniquement l’endettement des ménages, des entreprises, et de l’État – à fin 2019, la dette publique représentait 38,3% du PIB. Quoi qu’il en soit, l’inflation reste en deçà de l’objectif Cemac de 3 % maximum.
L’économie camerounaise sortira « renforcée » de la mise en œuvre d’importants projets de chaînes de valeurs dans les filières agro-sylvo-pastorales et halieutiques, selon la Banque africaine de développement.
Face aux craintes du FMI, qui redoute un surendettement du pays, et qui lui conseille depuis un an de renoncer à de grands emprunts, le Comité national de la dette publique fait remarquer que la dette du pays est bien inférieure à celle des voisins d’Afrique centrale (Cemac), 70% en moyenne. La dette est donc « viable » et « soutenable », selon l’organisme public. À ce propos, le FMI et l’État du Cameroun devraient annoncer prochainement un nouveau plan conjoint de développement, destiné à favoriser l’inclusion des populations.
Un pays clé en Afrique centrale
Le déficit budgétaire est en baisse (de 3,8 % du PIB en 2017 à 2,3 % deux ans plus tard) grâce à la consolidation budgétaire opérée dans le cadre du programme triennal qui vient de s’achever.
Le déficit du compte courant s’est maintenu à 3,7% du PIB, selon les premières estimations, et devrait décroître à 2,6 % en 2020, revenant à son niveau de 2017. Selon la BAD, la croissance devrait se maintenir autour de 4% en 2020 mais pourrait connaître un ralentissement en 2021, à 3,4 %.
Le Cameroun joue un rôle central dans la Cemac, dont il détient près de 40% de la masse monétaire. Sur la période 2014–2017, sa part du total des échanges intracommunautaires a atteint 24,7 %, grâce à la relative diversification de son économie et de l’exploitation des corridors routiers avec tous les pays de la Cemac et le Nigeria.
La ratification de l’accord sur la ZLEC (Zone de libre-échange continentale africaine) par le pays en juin 2019 « s’inscrit dans cette perspective », se félicite la BAD.
La fusion en 2020 des deux Bourses de valeurs (Cameroun et Gabon) devrait renforcer davantage l’intégration financière de la zone Cemac. De plus, l’économie camerounaise sortira « renforcée » de la mise en œuvre d’importants projets de chaînes de valeurs dans les filières agro-sylvo-pastorales et halieutiques, selon la BAD.
Les bons chiffres de Kribi
Bien sûr, la persistance de crises sécuritaires, à savoir l’activisme de Boko Haram dans l’Extrême-Nord et les troubles sociopolitiques dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, affecte la situation économique. Face à la crise politique, le gouvernement ne reste pas inerte : le « Dialogue national » entamé en septembre 2019 pour mettre fin à la crise se poursuit.
L’acquisition de compétences de haut niveau et la formation d’une main-d’œuvre hautement qualifiée demeurent l’un des grands défis du pays. La mise en œuvre du DSCE (Document de stratégie pour la croissance et l’emploi) 2010–2019 a conduit à la réalisation d’infrastructures financées en grande partie par des emprunts du secteur public.
L’un des grands défis du gouvernement, ces prochains mois, sera de restaurer la situation des entreprises publiques, dont la majorité est déficitaire et marquée par « un endettement important », selon la Commission technique de réhabilitation des entreprises du secteur public et parapublic (CTR).
L’industrie portuaire reste l’un des fleurons du pays. Ainsi, le port de Kribi a enregistré une hausse de 20% de son activité l’an passé, accueillant quelque
Le port de Kribi révèle que le trafic avec la Centrafrique a bondi de près de 70% en 2019, à la faveur de l’activité du terminal à conteneurs.
Ajustement des objectifs
Afin d’encourager le trafic, le Cameroun vient de consentir une importante réduction tarifaire aux opérateurs centrafricains. Le partenaire le plus actif à Kribi étant le Tchad (68% du trafic). Voilà qui vient compenser les difficultés organisationnelles du port de Douala, victime d’un certain engorgement et qui devra être relancé en 2020 avec le ou les successeurs du groupe Bolloré.
Sur le plan national, le gouvernement entend ne pas rester inactif. Ainsi, vient-il de confirmer que le Plan directeur d’industrialisation (PDI), dont la première version date de 2016, est en cours d’actualisation. « Des groupes techniques stratégiques sont à l’œuvre et examinent les contributions des administrations publiques, le secteur privé et la société civile », a confirmé le ministre des Mines, de l’industrie et d développement technologique, Gabriel Dodo Ndoke.
Les travaux d’actualisation en cours sont structurés autour des trois sanctuaires industriels nationaux (l’agro-industrie, l’énergie et le numérique) et les piliers industriels structurants (coton, les mines, la chimie pharmacie, les forêts et les hydrocarbures).
Le Cameroun entend toujours devenir un pays émergent à horizon 2035, ce qui suppose une plus grande contribution de l’industrie à la richesse produite ; elle pourrait passer, à cette échéance, de 13% à 24% du PIB.
ENCADRE
Le Cameroun taxe les transactions électroniques
Afin de financer son plan stratégique de développement de l’économie numérique, le Cameroun va « prélever un pourcentage à déterminer sur toutes les transactions électroniques effectuées au moyen de plateformes technologiques innovantes », indique le gouvernement.
Une fois ce plan mis en œuvre, ces prélèvements ne vont pas s’arrêter. « À terme, les prélèvements opérés sur les plateformes innovantes serviront à alimenter le Fonds de développement du numérique. »
Le Cameroun s’active, avec l’aide de la BEAC (Banque des États de l’Afrique centrale) à la réalisation des opérations de règlement et de compensation des transactions générées par une plateforme unifiée des communications électroniques.
Elle vise à garantir des conditions équitables d’interconnexion, à réduire les coûts des transactions financières mobiles et à favoriser l’inclusion financière. Le plan stratégique vise à porter la contribution de l’économie numérique au PIB de 5% en 2016 à 10% en 2020.