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Economie

La Tunisie en Afrique : moins d’arrogance, plus de présence

  • Publiéjuin 13, 2018

La Tunisie cherche à s’implanter durablement en Afrique. Un objectif loin d’être naturel pour un pays davantage tourné vers la Méditerranée. Le premier Forum économique africain qui s’est tenu à Tunis, en avril, devait permettre de rattraper le retard.

Par Mathieu Galtier

L’Afrique est courtisée par le monde entier, de par ses courbes affriolantes : un Terrien sur quatre sera Africain d’ici 2050 ; six des dix pays à plus fortes croissances seront continentaux en 2018 selon les prévisions de la Banque mondiale ; les investissements directs étrangers (49 milliards de dollars) représentent le double du montant de l’aide internationale dans la région. Où en est la Tunisie dans ce bal des prétendants ? Loin, très loin. Trop loin selon les autorités qui ont décidé d’agir avant d’être définitivement rejetées par la belle.

Le gouvernement, sous l’impulsion du ministère du Commerce, a organisé un Forum économique africain (24-25 avril) à Tunis, qui a réuni 38 pays du continent et près de mille participants. Surtout, l’organisation a été confiée Radhi Meddeb, dirigeant du cabinet en ingénierie Comete Engineering, l’une des rares sociétés tunisiennes à réaliser plus de 80 % de son chiffre d’affaires sur le continent. « Aujourd’hui, plus que jamais, la Tunisie réaffirme sa vocation africaine, affirme le dirigeant. Dans la construction, l’enseignement supérieur, la santé, les TIC et l’agroalimentaire, les entreprises tunisiennes doivent arriver à conclure des partenariats équilibrés en Afrique grâce à leurs expériences et leur savoir-faire. » Encore faut-il le faire savoir.

« Les sociétés tunisiennes ont des atouts notamment dans l’industrialisation mais elles se vendent mal. Les businessmen se comportent comme des Européens. Ils se déplacent pour quelques jours seulement. Ils veulent signer les contrats et repartir. Les entrepreneurs tunisiens manquent d’humilité », se désole Diop Mbareck, membre du Conseil national du patronat sénégalais.

Pour le militaire de carrière, cette suffisance est aussi présente au niveau politique. Il met en parallèle les trois pays (Niger, Burkina Faso et Mali) visités en quatre jours par le Premier ministre tunisien, Youssef Chahed, en 2017, et les sept jours passés au Sénégal par le roi du Maroc, Mohammed VI, en 2015. « Avec le Maroc, nous avons conclu un partenariat précis sur onze secteurs d’activité. Ces engagements nécessitent de passer du temps sur place », conseille Diop Mbareck, présent lors du Forum économique africain.

Membre depuis avril de la Comesa, zone de libre-échange qui regroupe vingt pays d’Afrique de l’Est et du Sud ; membre observateur de la Cedeao, pendant de la Comesa dans l’Ouest de l’Afrique et pays signataire de la Zone de libre-échange continental (ZLEC) : la diplomatie africaine de la Tunisie n’a pourtant pas chômé ces derniers mois. « La Tunisie a donné son nom à l’Afrique [« Ifriqiya » désignait en arabe la Tunisie actuelle], rappelle Omar Béhi, le ministre du Commerce. Le xxie siècle sera celui du développement économique africain. Il s’agit d’établir d’étroites relations entre la Tunisie et le continent.»

Une ligne maritime Accra-Tunis

De nouvelles ambassades verront le jour en Afrique subsaharienne. Le Cepex, en charge de la promotion des exportations, ouvrira deux nouveaux bureaux, à Kinshasa et à Douala.

Sur le terrain des échanges économiques, cette politique se traduit par l’ouverture en juin d’une ligne maritime Tunisie-Sénégal-Côte d’Ivoire- Ghana, gérée par la Compagnie tunisienne de navigation (CTN). La compagnie aérienne Tunisair desservira ou reprendra ses vols vers Conakry, Cotonou et Khartoum.

En l’espace de quelques mois, le pays s’est pratiquement plus déployé sur le continent que depuis son indépendance. Mais l’héritier de Carthage part de loin. Les échanges avec l’Afrique subsaharienne représentent moins de 2,4 % des exportations tunisiennes.

Jaloul Ayed, président d’honneur de la chambre de commerce tuniso-africaine, table sur un niveau de 10 % en 2020. «L’Afrique devient un pôle d’attraction non seulement pour les investissements étrangers mais également pour les investissements et les échanges commerciaux intra-africains qui progressent significativement. Notre volonté commune est d’oeuvrer pour une nouvelle dynamique panafricaine », avance Samir Majoul, le président de l’UTICA, principal syndicat patronal tunisien, qui se félicite, par ailleurs, que la croissance du continent ne soit plus tirée uniquement par les matières premières, mais « surtout par l’émergence et la consolidation de classes moyennes à fort potentiel de consommation ».

Des poids lourds économiques absents

Ce panafricanisme réussi s’incarne chez le groupe pharmaceutique Teriak. Sous l’impulsion de sa dirigeante, Sara Masmoudi, l’entreprise décide d’investir en Afrique en 2013. Deux ans plus tard, elle acquiert la société camerounaise en arrêt d’activité Cinpharm, ce qui lui permet de distribuer des produits finis et semi-finis dans la région de l’Afrique francophone. Les exportations africaines représentent 12 % du chiffre d’affaires ; l’objectif est d’atteindre 25 % en 2020…

Les entreprises tunisiennes ne sont pas assez solides, pour partir chacune de leur côté à la conquête des marchés africains. Elles devront nouer des alliances, se regrouper, afin de parvenir à la taille critique nécessaire.

…« Nous ne visons pas le marché des produits innovants, ni celui des génériques, mais ceux de la fabrication et de la distribution qui sont quasiment inexistants en Afrique », détaille Sara Masmoudi.

Outre le bon ciblage du marché, Teriak n’a pas commis l’erreur des entreprises tunisiennes : exclure les partenaires locaux. L’usine du Cameroun fonctionne grâce à un personnel camerounais épaulé par des cadres tunisiens. La société regarde attentivement le marché africain anglophone car le secteur y est assez libre et l’adhésion de la Tunisie à la Comesa devrait y faciliter l’implantation. À la tribune du Forum, la cheffe d’entreprise a cependant regretté les entraves de la réglementation de la Banque centrale pour investir à l’étranger, et donc sortir des devises.

« L’un des freins du développement des entreprises tunisiennes en Afrique est qu’elles ne sont pas assez solides. Dans le secteur de la pharmacie, il faut un acteur qui pèse 200 à 300 millions de dinars (de 68 à 102 millions d’euros [Teriak a réalisé, en 2017, environ 22 millions d’euros de chiffre d’affaires]). Je préconise une concentration des poids lourds tunisiens, quel que soit le domaine, qui restent trop petits à l’échelle continentale », avertit Adel Goucha, directeur du bureau tunisien de la société d’investissement Abraaj Group.

Cette absence de taille critique était un sujet d’inquiétude des acteurs présent au Forum. Car l’intégration économique africaine n’est qu’à son commencement. L’Afrique n’a investi en 2016 que 62 milliards $ pour le développement de ses infrastructures alors que l’effort devrait se situer entre 130 et 170 milliards $ par an, selon la Banque africaine de développement. Les échanges interafricains ne représentent que 15 % des volumes des échanges internationaux contre plus de 60 % en Europe. S’il ne sert à rien de courir, la Tunisie doit comprendre qu’elle va devoir « partir à point ». Et vite. 

Écrit par
ade

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