Niger : Contenir la poussée démographique

Bénéficiant d’une croissance économique appréciable, le Niger est confronté à d’importants défis. Le gouvernement redéploie une stratégie sociale offensive pour accompagner les populations à risque.
Un chiffre résume le défi du Niger : l’accroissement de la population, de 3,9 % par an, conduit à un doublement de population tous les 19 ans. Ces dernières années, le pays a réalisé d’importants progrès sociaux, notamment dans le domaine de l’éducation et de la réduction de la pauvreté.
Pourtant, l’insécurité alimentaire touche encore un à deux millions de personnes. Si son développement humain reste faible, la croissance économique (+2,2 % par habitant en moyenne sur la dernière décennie) est appréciable. Elle reste néanmoins grevée par la croissance démographique.
Sur le plan sécuritaire, la problématique du terrorisme reste vive. Les incursions déstabilisatrices de groupes armés – peu stationnent sur le territoire – dégradent l’image internationale et les exactions répétées des groupes terroristes aggravent la situation sécuritaire avec le déplacement de plusieurs milliers de personnes.
Le commerce transfrontalier est perturbé par l’afflux de plus en plus de réfugiés et des déplacements de population, Sur le plan financier, l’État doit faire face à des dépenses croissantes de sécurité et humanitaires. Le gouvernement a néanmoins mis en œuvre plusieurs projets et programmes pour prendre en charge les victimes et consolider la paix en renforçant la prévention et la gestion des conflits.
Pour apporter davantage de solutions à ce contexte peu favorable, le gouvernement du Niger fait de la capture du dividende démographique un moyen de résilience. En 1960, la population du Niger était estimée à environ 3 millions d’habitants. Elle était de 7,3 millions en 1988 et serait de 23,2 millions aujourd’hui. Les dernières projections situent le nombre de jeunes de 15-24 ans à plus de 4,5 millions en 2020, dont quatre cinquième vivent en milieu rural. L’âge médian est estimé à 15,2 ans, faisant de la population du Niger l’une des plus jeunes au monde.
Ainsi, le pays peine à poursuivre sa transition démographique. En effet, si des résultats positifs ont été enregistrés en matière de mortalité maternelle et infanto-juvénile, tandis que l’espérance de vie a augmenté, le niveau de la fécondité reste élevé. Le nombre moyen d’enfants par femme tourne autour de sept depuis 1992.
À ce rythme, la jeunesse risque de compter en son sein de nombreux actifs dépendants plutôt que de constituer une opportunité de capture du dividende démographique. Au Niger, le ratio de dépendance se situe à 121,2 %. Ce qui signifie que, en moyenne, chaque personne active prend en charge plus d’une personne inactive.
Une population jeune fragilisée
Sur le plan sanitaire, la situation est loin d’être reluisante ; seule la région de Niamey est en règle avec la norme OMS relative à la présence de médecins et de personnels médicaux.
De plus, le poids démographique grève aussi la capacité des autorités nigériennes à satisfaire les besoins éducatifs. Inversement, l’éducation est appelée à jouer un rôle de premier ordre dans le processus de maîtrise des variables démographiques, notamment la fécondité.
Cette frange jeune de la population fait face à un marché du travail peu dynamique ; en milieu urbain, le secteur informel sert d’amortisseur social en drainant ceux qui sont refusés par le secteur moderne. Il n’offre cependant aucune garantie.
Aussi, les jeunes courent-ils le risque d’être enrôlés dans des bandes armées. Ce risque est d’autant plus grand que des groupes terroristes, des contrebandiers et des trafiquants peuvent aisément circuler d’un pays à l’autre, un phénomène aggravé par la faible présence de l’État.
Plusieurs milliers de Nigériens ont rallié Boko Haram, moyennant des rétributions mensuelles substantielles, allant jusqu’à 300 000 F.CFA. L’enrôlement dans des actes de violence et de terrorisme est facilité par l’existence des liens familiaux, linguistiques et ethniques entre les groupes terroristes et les populations.
En février 2015, les pays du bassin du lac Tchad (Cameroun, Niger, Nigeria et Tchad) ont constitué une Force multinationale mixte forte de 8 000 hommes dont l’objectif est d’endiguer efficacement et de manière coordonnée les assauts de Boko Haram qui n’en poursuit pas moins ses exactions.
Le Niger qui, malgré les épisodes de rébellions (notamment touarègues), constituait un havre de paix, connaît ainsi une situation sécuritaire fragile. La région de Diffa dans l’Extrême-Est et les zones frontalières avec la Libye, l’Algérie et le Mali sont particulièrement exposées. Les risques sécuritaires sont exacerbés par les rivalités intracommunautaires généralement liées au contrôle des terres ou au partage d’autres types de ressources.

En 2018, les autorités nigériennes ont participé à des campagnes contre les groupes terroristes aux frontières avec le Mali, le Nigeria, le Cameroun et le Tchad. Elles ont également signé un accord de coopération sécuritaire avec la Libye, le Tchad et le Soudan. Par cet accord, chaque État signataire autorise les forces des pays pairs à pénétrer à l’intérieur de son territoire pour pourchasser les groupes terroristes et criminels.
Tensions pour le partage des ressources
Pourtant, de façon inattendue, la situation sécuritaire du Niger s’est fortement détériorée en 2019. Aussi, l’amélioration de la situation sécuritaire du Niger nécessite-t-elle une nouvelle vision qui prend en compte plusieurs paramètres dont la pauvreté de masse, la fragilisation des capacités des familles, le faible niveau de développement humain, etc. Encore une fois, la démographie constitue l’axe transversal à toutes ces problématiques.
D’autant qu’au vu des tendances démographiques passées et du maintien de la fécondité à un niveau élevé, cette population continuera à croître pour atteindre 42 millions d’habitants en 2035, et environ 50 millions en 2040.
Ces chiffres traduisent l’existence de fortes pressions sur l’environnement et les ressources, et peuvent susciter ou exacerber les tensions et les conflits entre les habitants et les communautés aux intérêts divergents, pour le partage des mêmes ressources.
Les principaux enjeux socio-économiques rejoignent les préoccupations démographiques : le Niger devra accroître ses capacités à satisfaire les besoins essentiels de cette population en santé et en éducation ; il devra préserver un système agraire propre à assurer la sécurité alimentaire, sans négliger les contraintes de développement durable. Il faudra à l’État – donc aux ménages – consentir d’intenses efforts financiers en matière d’éducation, de santé et de sécurité.
Des objectifs à soutenir
En maintenant un rythme de croissance moyenne de 3 % de la population, il faudrait 35 ans pour doubler le PIB par tête. Le ralentissement de la croissance démographique permettrait d’atteindre cet objectif plus vite.
Pas facile dans un pays où le niveau de fécondité élevé est le résultat des préférences des couples pour des familles nombreuses ; un pays construit et soutenu autour des valeurs et croyances qui assimilent toujours l’enfant à une richesse économique et sociale dont le nombre importe. Pourtant, il faut poursuivre cet effort vers la capture du dividende démographique, laquelle requière des politiques macroéconomiques adéquates ainsi qu’un environnement sécurisé et propice au développement. Par exemple, en réglant les nombreux conflits fonciers qui opposent les populations rurales.
En conclusion, le Niger devra garantir à sa jeune population, en constante augmentation, des lendemains meilleurs. Cela ne peut toutefois se traduire que par une amélioration de son capital humain (éducation et santé), ainsi que par la création d’emplois dans les secteurs formel et informel.
En l’absence de décisions qui concourent à la formation des jeunes et, surtout, des femmes, l’oisiveté les rendra vulnérables au risque d’enrôlement dans des groupes armés voire s’adonner à d’autres activités criminelles.
La construction du Niger de demain dans la paix, la sécurité, le dialogue et la cohésion sociale dépendra de la réalisation des objectifs énoncés par l’État et, surtout, de la nouvelle politique nationale de population.