Nous consolidons et modernisons la justice

Le ministre de la Justice, Ismaïla Madior Fall, revient sur les avancées de la justice sénégalaise, comme l’introduction du bracelet électronique et la digitalisation. Et explique l’ambition présidentielle de moderniser les infrastructures judiciaires, pour un budget de 250 milliards de F.CFA.
La justice comme contrepouvoir est essentielle dans une démocratie. Est-ce le cas au Sénégal ?
Le Sénégal a une tradition. Dès l’indépendance, nous avons opté pour avoir un pouvoir judiciaire indépendant, une autorité judiciaire, des infrastructures, des palais de justice, des tribunaux. Très tôt, la justice a joué sa partition dans la construction de l‘État, de la démocratie et de l’État de droit.
Le Sénégal a la chance d’avoir des hommes de justice qui ont une excellente réputation. Nous avons de nombreux magistrats de grande valeur. Nos juristes ont fait leur preuve dans les cours tribunaux internationaux. Le défunt juge Kéba Mbaye a siégé à la Cour internationale de justice Les magistrats sénégalais ont élaboré les textes qui régissent pour les tribunaux des Nations unies et les juridictions pénales du Rwanda et y ont siégé. Sans oublier nos greffiers et nos avocats. Nous avons l’un des meilleurs barreaux des pays francophones. Globalement, le Sénégal est un pays qui peut s’honorer de son pouvoir judiciaire et de sa justice.
Pourtant, certains disent que la Justice est aux ordres puisqu’elle sert à museler les opposants. Les exemples sont nombreux. Qu’en est-il réellement ?
Déjà, il faut éviter de réduire la justice à quelques cas, ce n’est pas parce qu’il y a deux ou trois hommes politiques qui ont eu des problèmes avec la justice qu’il faut réduire toute l’institution à ces trois affaires. Des affaires dans lesquelles ces hommes politiques sont impliqués.
La justice est d’abord constitutionnelle. Il y a la justice administrative, celle qui juge tous les actes de l’administration, les décrets du président de la République, les actes des autorités locales. Et la justice commerciale pour les citoyens qui font du business. Et la justice familiale, c’est le cas des divorces. Et la justice sociale pour défendre les droits les travailleurs.
Le président de la République ne veut pas que la modernisation soit juste un slogan. Il nous faut moderniser les textes qui régissent l’organisation de la justice ; c’est pour cela que nous avons créé une carte judiciaire
Maintenant, pour parler de ces cas, un citoyen qui fait de la politique n’est pas au-dessus de la loi. Quand vous êtes accusé de viol ou de diffamation, il y a le principe de l’égalité devant la justice. Les dossiers judiciaires suivent leur cours quel que soit votre statut : pas d’impunité pour les hommes politiques. Ce n’est pas seulement le cas au Sénégal ; cette situation se retrouve ailleurs.
Pourtant, la justice est souvent pointée du doigt.
Cela est normal ! Une enquête dans un pays européen donne un taux de satisfaction de seulement 30% ! Souvent, on critique la justice parce qu’on ne la comprend pas, parce que son langage est compliqué, parce qu’elle est complexe et lente dans son déroulement, parce qu’elle est chère et imprévisible. Quand on est content de la décision de la justice, on applaudit ; sinon on la critique. Je dis souvent aux magistrats quoi que vous fassiez vous serez critiqué, faites votre travail convenablement et ne tenez pas compte des critiques. Cela étant, il faut renforcer la confiance du citoyen en la justice. Il faut donner la preuve au citoyen qu’il peut faire confiance à la justice de son pays.
Le ministère dispose d’un budget limité. Les prisons sont pleines. Les tribunaux sont débordés. Comment modernisez-vous l’institution ?
Il faut dire que le Sénégal a très tôt bénéficié des infrastructures judiciaires notamment le palais de justice et des tribunaux. Toutefois, ces infrastructures sont vieilles parce que la plupart datent de la période coloniale ; de même que les prisons, comme celles de Saint-Louis ou de Dakar.
Depuis l’indépendance, le Sénégal n’a quasiment pas construit de prisons. Tous nos dirigeants n’ont pas voulu construire de prison, sauf le président Macky Sall qui a eu l’ambition de moderniser les infrastructures judiciaires. Aujourd’hui, il y a le programme Promije, Programme de modernisations des Infrastructures judiciaires avec un budget de 250 milliards sur dix ans pour construire 69 infrastructures judiciaires. Il s’agit de la construction de palais de justice modernes dans toutes les régions du pays, aux normes internationales.
Ensuite, nous mettons en œuvre un programme de construction de prisons ; une dizaine de sites seront rénovés. La prison de Fatick est presque terminée à 90% ; celle de Diamniadio sera réceptionnée avant la fin de l’année.
Nous disposons d’une infrastructure dédiée à l’enfance surveillée des enfants qui sont en conflits avec la loi ou des enfants confiés à des institutions. Elle est aujourd’hui la direction de la protection judiciaire.
L’ambition du Chef de l’État est de moderniser le fonctionnement de la justice en introduisant la digitalisation. Il veut un système e-justice, avec beaucoup moins de papiers, où l’essentiel des procédures se fait à travers le digital. Nous avons un programme de digitalisation du casier judiciaire où chaque Sénégalais peut obtenir son extrait de casier sans se déplacer. Nous avons aussi le port du bracelet électronique pour éviter l’emprisonnement. Les Sénégalais pourront continuer à travailler et vivre leur vie tout en restant à la disposition de la justice. C’est un progrès important.
Sentez-vous une forte opposition au port du bracelet ?
Non, je n’ai pas connaissance de cette forte opposition
Est-ce qu’une priorité ?
Oui c’est une priorité. Je sais que les gens l’apprécient. Quand vous donnez le choix à un justiciable, « la prison ou le bracelet électronique », il choisit le bracelet. Cela veut dire qu’il n’y a pas d’opposition. On ne l’impose à personne. Vous êtes libre de choisir. Choisir une liberté avec un bracelet électronique est mieux qu’aller en prison. Je pense que ce bracelet électronique ne peut pas faire l’objet de contestation.
La paix, la sécurité et l’État de droit sont les premières considérations les plus importantes pour tout investisseur. Comment rassurez-vous les investisseurs ?
Le Sénégal a une réputation solide. La richesse du Sénégal, ce sont ses hommes et ses femmes. Nous sommes un pays stable où il n’y a ni guerre civile, ni coup d’État militaire, ni de violences politiques de masse. Nous sommes un pays réputé pour sa stabilité politique et sa démocratie. Nous organisons des élections pluralistes depuis soixante ans.
La justice reste debout. S’il y a des fauteurs de troubles on les arrête et on les juge. Dans une démocratie, dans un État de droit, force reste à la loi. Le peuple sénégalais est souverain.
Vous êtes garant d’une démocratie libérale qui fait la fierté des Sénégalais et est un exemple pour toute l’Afrique. Que faites-vous pour la consolider ?
Nous restons dans la continuité, on n’invente rien ; notre démocratie et notre système judiciaire, c’est un legs que nous recevons depuis l’indépendance. Notre pays a opté pour l’État de droit. Nous sommes dans la consolidation et la modernisation ; c’est le maître mot. Le président de la République ne veut pas que la modernisation soit juste un slogan. Il nous faut moderniser les textes qui régissent l’organisation de la justice ; c’est pour cela que nous avons créé une carte judiciaire.
Au Sénégal, deux règles fondamentales expriment la modernisation. Une, c’est la procédure pénale : dorénavant, il est interdit de poursuivre un individu sans la présence de son avocat. Deux, pendant l’instruction, les citoyens qui ont maille avec la justice ne vont pas en prison s’ils choisissent le bracelet électronique ; ce qui permet de désengorger les prisons.
@NA