L’Afrique peut-elle nourrir la Chine ?

Parmi les appels lancés aux nations africaines pour qu’elles stimulent leurs exportations vers la Chine, l’agriculture semble être un choix évident, mais les exportateurs africains peuvent-ils surmonter les nombreux obstacles qui se dressent sur leur chemin ?
Dans un discours prononcé devant les délégués de la huitième édition du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) à Dakar, le président chinois Xi Jinping a présenté un avenir alléchant pour le commerce entre l’Afrique et la Chine. On pouvait lire sur les écrans géants à l’entrée : « Les relations entre la Chine et l’Afrique sont entrées dans un nouvel âge d’or. »
Parallèlement à des prêts généreux, le président chinois a promis de porter les importations chinoises en provenance d’Afrique à 300 milliards de dollars au total au cours des trois prochaines années, et à 300 milliards $ par an d’ici à 2035.
Les producteurs agricoles africains ont sans doute été les plus heureux. Avec une population de 1,4 milliard d’habitants, aucun pays sur terre n’importe plus de nourriture que la Chine. En 2019, ses importations agroalimentaires ont dépassé celles des 27 pays de l’Union européenne réunis.
Parallèlement, l’agriculture est la principale source d’activité économique de l’Afrique, et son plus grand pourvoyeur d’emplois. Parmi les propositions de Xi figuraient des « couloirs verts » pour accélérer les inspections des importations agricoles africaines.
Certains défenseurs de l’agriculture africaine estiment que les pays doivent signer avec la Chine des accords axés sur l’agriculture et supprimer les barrières tarifaires et non tarifaires. D’autres affirment que l’Afrique devrait plutôt délaisser les matières premières pour se tourner vers les produits à valeur ajoutée.
Toutefois, quelques mois plus tard, nous voyons que les progrès sont minces. De nombreux producteurs agricoles, qui avaient été encouragés par les projets de Xi et espéraient nourrir la vaste population chinoise, se sentent contrariés par la bureaucratie et le manque d’accords commerciaux. Nombreux sont ceux qui n’ont pas encore envoyé le moindre légume, fruit ou récolte à la nation la plus peuplée du monde.
Les conséquences vont bien au-delà des résultats des producteurs de café ou d’avocats. La plupart des pays africains ont des déficits commerciaux massifs avec la Chine, ce qui fait de l’augmentation des exportations l’un des rares moyens dont ils disposent pour améliorer la parité commerciale et obtenir les devises dont ils ont besoin pour assurer le service des montagnes de dettes chinoises.
Ne pas compter sur les prêts chinois
Pendant ce temps, de nombreux pays africains affirment qu’ils ne peuvent pas se permettre de nouveaux prêts chinois.
Cette question est même devenue un enjeu politique dans la récente campagne électorale présidentielle au Kenya. Selon les experts, si l’exportation de produits agricoles vers la Chine ne peut redresser le déséquilibre commercial en raison des barrières tarifaires et non tarifaires, les pays doivent ajouter de la valeur à leurs exportations. Sinon, les économies africaines ne progresseront pas.
« Rares sont ceux qui jugent que l’Afrique doit continuer à compter sur les prêts chinois pour progresser », déclare à African Business Yun Sun, directeur du programme Chine au Stimson Center de Washington. « Pour améliorer sa position dans la chaîne d’approvisionnement mondiale, l’Afrique ne peut pas éternellement être le fournisseur de matières premières et de produits de base. Elle doit ajouter de la valeur à ses produits. C’est l’industrialisation. »
L’amélioration des liens entre la Chine et l’Afrique, soutenue par des décennies de prêts , a permis au commerce bilatéral entre la Chine et l’Afrique d’atteindre le chiffre record de 254 milliards $, en 2021. Toutefois, si les marchandises chinoises expédiées vers l’Afrique représentent 148 milliards $, la Chine n’a importé que 106 milliards $, la plupart sous forme de matières premières. Cinq pays riches en pétrole et en minéraux : l’Angola, le Congo, la RD Congo, l’Afrique du Sud et la Zambie – ont représenté près des trois quarts des importations chinoises.
Des possibilités d’exportation
Parmi les appels lancés aux nations africaines pour qu’elles stimulent leurs exportations vers la Chine, l’agriculture semble être un choix évident. Plus de 60 % de la population de l’Afrique subsaharienne sont des petits exploitants agricoles et 23 % du PIB de la région provient de l’agriculture, selon McKinsey. L’Afrique abrite également 60 % des terres arables de la planète.
La demande est là : Les importations alimentaires chinoises sont passées de 13 milliards de dollars il y a vingt ans à 161 milliards de dollars en 2020, mais seulement 2,6 % de ce total provient d’Afrique. Lauren Johnston, professeur au Centre d’études chinoises de l’université de Sydney, affirme que les producteurs africains de cultures telles que le soja pourraient même remplacer les agriculteurs américains ou aider la Chine à diversifier son approvisionnement face aux tensions avec l’Occident.
À cette fin, et sentant que les pays africains ravagés par une pandémie seraient peu enclins à tolérer davantage de dettes, Xi Jinping a annoncé à Dakar des plans visant à stimuler massivement les importations africaines en Chine, avec un accent particulier sur l’agriculture.
La Chine va, a-t-il promis, lancer dix projets de réduction de la pauvreté et d’agriculture pour l’Afrique et envoyer 500 experts agricoles sur le continent. L’objectif serait d’atteindre 300 milliards de dollars d’importations totales en provenance d’Afrique au cours des trois prochaines années, ce qui, selon Yun Sun, est réalisable sur la base des niveaux commerciaux de 2021.
Pékin ouvrirait également des « voies vertes » afin de donner la priorité à l’inspection des produits agricoles en provenance d’Afrique à destination de la Chine et élargirait la liste des produits bénéficiant d’une exemption de droits de douane pour les pays les moins avancés ayant des relations diplomatiques avec la Chine, dont beaucoup sont africains.
La Chine prévoit également de fournir 10 milliards$ de financement commercial pour soutenir les exportations africaines, d’entreprendre dix projets de connectivité pour le continent et de déployer un groupe d’experts pour discuter de la coopération économique avec les responsables de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf).
La réglementation chinoise constitue un obstacle
L’une des entreprises qui a accueilli ces propositions avec enthousiasme est Kakuzi, le plus grand producteur d’avocats du Kenya, en particulier après que la puissance est-africaine a conclu un accord d’exportation avec la Chine pour des avocats frais en janvier, obtenu après des années de lobbying. Le Kenya domine déjà le marché africain des avocats et en a exporté pour 154 millions $ l’année dernière, principalement vers l’Europe.
Cependant, à ce jour, aucune cargaison n’est partie de Kazuki ou de neuf autres exportateurs kenyans d’avocats ayant passé les inspections, selon Reuters. Les importateurs chinois veulent faire leurs propres audits et, si l’on se base sur l’expérience antérieure des producteurs de fruits africains, il pourrait falloir une décennie entière pour faire partir les avocats destinés à la Chine.
L’industrie sud-africaine des agrumes a eu une longueur d’avance, puisqu’elle a signé son premier accord avec Pékin en 2004. Elle a exporté 162 000 palettes de fruits vers la Chine en 2021. Mais le Royaume-Uni et l’UE, qui ont également des normes de sécurité strictes, restent de loin la première destination des agrumes sud-africains, représentant 44 % des exportations l’an dernier.
« Lorsque vous voulez aller en Chine, vous devez obtenir un protocole distinct pour chaque produit agricole. Il faut en moyenne dix ans pour que le protocole de chaque produit soit conclu », précise Justin Chadwick, directeur général de la Citrus Growers’ Association of Southern Africa.
Néanmoins, les obstacles valaient la peine d’être franchis : « La Chine a été un marché incroyable pour les agrumes d’Afrique du Sud. » La Namibie a mis neuf ans à satisfaire les régulateurs chinois après avoir signé un accord d’exportation de bœuf, ce qui a conduit à la première expédition en 2019.
Les producteurs africains étaient déjà aux prises avec les séquelles du coronavirus, qui a raréfié les semences, les engrais et les aliments pour animaux, dont ils dépendent pour maximiser les rendements. De nombreuses PME agro-culturelles ont été contraintes de réduire leurs effectifs ou de fermer pendant la pandémie. En Afrique de l’Est, elles ont également dû faire face à une invasion de criquets et à une grave sécheresse.
Une concurrence rude
Un porte-parole de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), qui défend les intérêts des agriculteurs, explique à African Business que les producteurs agricoles africains sont généralement peu productifs par rapport aux autres producteurs, ce qui les rend moins compétitifs sur le marché chinois.
« Pour les importations en vrac de la Chine, les producteurs africains ont du mal à concurrencer les pays qui possèdent d’immenses exploitations et une agriculture moderne, comme le Brésil, les pays européens, les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Si l’Afrique peut résoudre les problèmes de productivité et accroître l’adoption de technologies par les agriculteurs, le marché chinois représentera une énorme opportunité pour les agriculteurs africains. »
es responsables chinois ont déclaré vouloir aider les agriculteurs africains à améliorer leurs procédures de sécurité alimentaire, ce qui stimulerait les exportations à l’avenir, mais certains commentateurs affirment que les réglementations phytosanitaires actuelles pour les importations africaines constituent un obstacle au commerce ; et elles ne montrent aucun signe d’assouplissement.
« La Chine ne veut pas importer quoi que ce soit qui mette en danger son propre approvisionnement alimentaire et il faudra peut-être un certain temps avant qu’elle estime que les aliments africains sont suffisamment sûrs », explique Lauren Johnston. Néanmoins, l’universitaire précise : « Il s’agit d’une opportunité importante, y compris et surtout dans la production de produits agricoles de moindre qualité qui sont utilisés comme aliments pour animaux, par exemple. Et puis d’autres produits, comme les grains de café, les graines de sésame, les piments, ce genre de produits est plus sûr. »
Un accord commercial continental est nécessaire
Alors que l’Union européenne exige des inspections au point de sortie, Kakuzi a déclaré avoir passé des semaines à montrer comment elle suit ses avocats de la graine au fruit vendable. Selon les experts, les autorités chinoises exigent des inspections dans les vergers, les installations de conditionnement et les zones de fumigation.
Un autre problème est que Pékin préfère négocier les accords commerciaux pays par pays, ce qui signifie qu’il n’existe pas d’accord commercial à l’échelle du continent qui pourrait faciliter la vie des producteurs. Selon Yun Yun, les relations commerciales relativement récentes avec de nombreux pays africains constituent un obstacle : « Certains obstacles sont d’ordre technique, comme les tarifs douaniers, les contrôles douaniers et les inspections. D’autres sont liés au manque de connaissances, à la distance et au coût du transport. La Chine est encore en retard dans l’exploration et l’utilisation du potentiel agricole de l’Afrique. »
Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, était en visite aux Pays-Bas il n’y a pas si longtemps pour voir comment ils produisent tant de nourriture à partir de si peu de choses, ce qui fait craindre que Pékin ait moins besoin des importations africaines à l’avenir.
Supprimer les barrières tarifaires
Dans le même temps, Yoweri Museveni, le président ougandais, a déclaré à Bloomberg, avant le forum du FOCAC, qu’il espérait un commerce à tarif zéro. « Ce que je vais leur demander, c’est de permettre à nos produits d’entrer sur leur marché sans taxe. Ils en avaient autorisé quelques-uns, mais beaucoup ne le sont pas. Nous aimerions un plus large éventail d’accès au marché sans taxe ni limite quantitative. »
Environ 80 % des exportations de l’Ouganda sont des produits agricoles, principalement du café, du thé et du coton. L’année dernière, ce pays d’Afrique de l’Est a envoyé des marchandises d’une valeur de 44 millions de dollars en Chine, mais ses importations en provenance de ce pays ont dépassé 1 milliard de dollars.
En 2021, le Nigeria a importé pour 23 milliards $ de produits chinois, mais n’a envoyé que 1,85 milliard $ dans l’autre sens. Le déficit commercial annuel du Kenya avec la Chine est d’environ 6,5 milliards $ . En 2020, il n’a exporté que 149 millions $ vers la Chine, principalement des minéraux.
Les observateurs ne s’accordent pas sur l’importance de tels déficits, mais ils n’aident pas les pays africains à faible revenu à alléger le fardeau de leur dette ou à remplir des réserves de change vitales. Pendant ce temps, au Kenya et ailleurs, les gens ordinaires se débattent dans la flambée des prix des denrées alimentaires et du carburant.
Les défenseurs de l’agriculture africaine affirment que les pays doivent signer avec la Chine des accords axés sur l’agriculture et supprimer les barrières tarifaires et non tarifaires. Selon Lauren Johnston, la Chine pourrait même soutenir le développement du commerce agricole entre les pays africains et investir pour augmenter la production agricole au fil du temps. D’autres, en revanche, estiment que l’Afrique devrait plutôt délaisser les matières premières pour se tourner vers les produits à valeur ajoutée.
@AB