Louise Mushikiwabo : Une nouvelle ère

L’élection de la ministre rwandaise des Affaires étrangères au poste de secrétaire générale de l’OIF constitue, outre un retour en force de l’Afrique, un tournant pour l’avenir de la Francophonie.
Par Guillaume Weill-Raynal
Pour attendue qu’elle ait été, la désignation de Louise Mushikiwabo, le 12 octobre, lors du sommet d’Erevan (Arménie) au poste de secrétaire générale de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie) a néanmoins agacé certains, si l’on en juge du moins par les critiques qui ont précédé et accompagné cette élection. Si les commentaires peu amènes du côté canadien peuvent être mis sur le compte du dépit de certains membres de l’organisation de n’avoir pas vu la secrétaire générale sortante, Michaëlle Jean, reconduite pour un deuxième mandat, d’autres soulèvent de nombreuses questions paradoxales, révélatrices des enjeux et des défis auxquels la Francophonie devra répondre dans les années qui viennent.
Le soutien de la France à la candidature de Louise Mushikiwabo pouvait en effet avoir de quoi surprendre. Non seulement en raison du contentieux entre Paris et Kigali, qui n’a jamais vraiment été soldé depuis 1994, mais aussi et surtout au regard du choix du Rwanda, en 2003, de substituer l’anglais au français comme langue officielle d’une part, et d’autre part des nombreuses critiques qui pèsent sur ce pays pour sa politique en matière de droits de l’homme jugée peu compatible avec les valeurs dont se réclame l’OIF.
La langue française, porteuse de valeurs et d’un esprit de création aurait vocation à devenir l’arme fondamentale des combats de l’Afrique de demain, notamment en faveur des droits humains en général.
Un paradoxe qui n’est peut-être qu’apparent, et qui pourrait bien plutôt être le signe de l’évolution nécessaire que la Francophonie devra opérer, à court et moyen terme, pour sortir de sa tour d’ivoire de club linguistique et se transformer en outil efficace des relations internationales. Aussi bien quant aux rapports du continent africain avec le reste du monde qu’en ce qui concerne la définition d’une nouvelle politique africaine de la France.
Le choix de l’anglais comme troisème langue officielle par le Rwanda ne semble pas constituer, à cet égard, un obstacle rédhibitoire pour porter la voix de la francophonie dans un monde à la fois global et multipolaire. « Le Rwanda est un pays multilingue », a tenu à rappeler Louise Mushikiwabo en marge du sommet d’Erevan. « On y parle d’abord le kinyarwanda, c’est une langue qui nous unit. Mais nous sommes aussi dans l’Afrique de l’Est et nous parlons le Swahili. Nous avons cet héritage francophone qui est important. Et bien sûr, la langue anglaise qui est la langue de la mondialisation aujourd’hui. »
De nouvelles exigences
Une affirmation reprise par le président Emmanuel Macron, également présent à Erevan : « Ce combat fondamental pour notre langue, c’est un combat pour le plurilinguisme. Se battre pour la Francophonie, ce n’est pas se battre pour rétrécir dans notre langue. »
Ce qui, pour la France, justifiait pleinement son soutien apporté à une candidature africaine, rwandaise de surcroît. Pas seulement dans un dessein de réchauffement bilatéral entre Paris et Kigali, mais surtout dans un souci de voir la langue française redevenir un outil indispensable des relations internationales dont l’Afrique est appelée à devenir un acteur majeur. Selon le président français, « une Francophonie de conquête, de reconquête », outil d’un « ressaisissement contemporain », dont la nécessité se fait plus sentir dans un monde qui se fracture et où certaines libertés fondamentales se voient chaque jour un peu remises en cause.
La langue française, porteuse de valeurs et d’un esprit de création, opposée à l’anglais « langue du commerce », aurait ainsi vocation à devenir l’arme fondamentale des combats de l’Afrique de demain, notamment en faveur de la jeunesse, des droits humains en général, et des femmes en particulier. « Je préfère une Francophonie qui porte de nouvelles exigences, dans un mouvement d’ensemble. L’épicentre de la Francophonie, c’est l’Afrique », a déclaré Emmanuel Macron.
De ce point de vue, et sans méconnaître la réalité des questions liées aux droits de l’homme, il a estimé, lors d’une interview accordée à France 24 et RFI, que « le Rwanda est en train de montrer le visage d’un changement et d’une transformation », notamment en matière d’éducation et de parité hommes-femmes. « Il est en train de faire une vraie transition politique, du moins, je l’espère, et je pense que cette nomination « oblige », en quelque sorte ».
Les nombreux gestes accomplis par la France en direction du Rwanda – outre le soutien à la candidature de Louise Mushikiwabo, Emmanuel Macron a rencontré trois fois Paul Kagame depuis son élection, dont une fois lors d’une invitation à l’Élysée – semblent ainsi vouloir s’inscrire dans un cadre qui excède les seules relations entre les deux pays. « Je crois plus aux actions qu’aux gestes », a répondu le président français à la question d’un éventuel rétablissement des relations diplomatiques et de l’envoi d’un ambassadeur à Kigali.
À cet égard, l’« agenda de travail commun », défini avec l’UA et le président Kagame, notamment pour résoudre les tensions et les conflits, et oeuvrer en faveur du maintien de la paix serait préférable à un « agenda symbolique ». Fidèle à l’image qu’il souhaite imposer sur le plan intérieur, le président français entend prendre pari sur l’avenir et être jugé sur son bilan. Les actions sont définies. Reste à savoir quels en seront les résultats.