Voir ailleurs
Le désir de dépasser ses frontières est dans la nature humaine. Et si nécessité fait loi, nous avons tous à gagner en intégrant les diasporas dans nos schémas de pensée.
Partir loin de sa terre natale. Loin des siens, de leurs pesanteurs cristallisées dans des normes sociales, de leurs us et coutumes. Partir pour fuir des guerres civiles auxquelles nul ne comprend plus rien. Chiites contre sunnites. Séléka contre anti-balaka. Qui saurait aujourd’hui démêler l’écheveau des casus belli. Le désir d’aller voir ailleurs semble toujours relever de la nécessité.
Nécessité politique certes, mais aussi et surtout nécessité économique. Le reste du monde se donne à voir comme le lieu d’accomplissement de tous les rêves. Christophe Colomb voguait vers les Indes, et leurs promesses de richesses. L’immigré subsaharien, sur sa coquille de noix en pleine Méditerranée, vogue vers sa terre promise : l’Europe des Mille-et-une nuits. Une Europe où l’on ne paie pas les médicaments, mais où (oh miracle !) l’État vous paie pour faire des enfants. Le besoin d’ailleurs ne serait ainsi que l’expression d’un manque sur sa terre natale. Que la migration soit volontaire ou forcée comme dans le cas de la traite négrière, la nécessité semble toujours faire loi. Rien n’est cependant moins sûr.
Dans un ouvrage très érudit, Le génie du capitalisme, l’économiste américain Howard Bloom affirme que le désir de voir ailleurs est inscrit dans les gènes de toute forme de vie. De la plus primitive à la plus complexe. Seize jours après qu’un spermatozoïde a rencontré un ovule, alors que l’être humain ne mesure que 0,44 millimètre, et se présente comme un petit sac à main de cellules avec une doublure interne, certaines de ces cellules veulent déjà aller voir ailleurs. Elles se situent « dans une fine cannelure que l’on appelle crête neuronale au sommet du sac, à l’endroit où se trouve l’ouverture d’un sac à main fermé ». Les cellules de cette crête neuronale se divisent et donnent naissance à des armées exploratrices. Des armées de cellules très ambitieuses qui veulent devenir le visage, le cerveau, les pieds, etc., en voyageant en terre inconnue. « Elles voyagent vers une destination où l’on a besoin d’elles, et si elles trouvent un point d’attache semblant ravi de les voir arriver, elles restent et se transforment en nerfs. » Dans le cas contraire, elles sont contraintes de s’autoéliminer impitoyablement à l’aide d’un mécanisme d’autodestruction moléculaire que l’on appelle apoptose. Chaque cellule naît avec cet équipement ; ce kit moléculaire de suicide cellulaire. Même les cellules qui servent en ce moment à lire ces lignes. Bref, le cycle de l’exploration-consolidation de la présence en milieu favorable est inscrit en chaque être humain.
La diaspora est aussi désormais un atout diplomatique. Les chercheurs d’origine indienne dans le nucléaire américain confèrent de facto au nucléaire indien un certificat de pacifisme.
Ce ne sont ni les pénuries du monde réel, ni une quelconque déité, qui déclencherait le besoin d’ailleurs. Voir ailleurs est un appel absolument laïc. Tout se passe comme s’il existait ailleurs un espace encore inexploré, où nos vies prendraient sens. Rien ne peut empêcher le désir d’exploration. Ni les frontières, ni les obstacles naturels. Encore moins les pogroms, ratonnades ou autres chasses aux nègres. Caïn et Abel symbolisaient déjà cette quête d’ailleurs. L’un était chasseur, l’autre colon. L’un était explorateur, l’autre fermier. Le colon était sédentaire, bâtisseur de structures. Il consolidait sa présence en un lieu donné. Le chasseur était un explorateur, il abhorrait le mode de vie sédentaire. Il voulait toujours aller faire fortune ailleurs, dans une quête sans répit.
Si dans l’ordre biologique, celui des cellules ou des bactéries, le cycle de l’exploration consolidation requiert un milieu favorable, dans l’ordre social, ce cycle s’opère dans un milieu presque toujours défavorable. Les hommes vont vers un ailleurs qui ne les attend pas. Un ailleurs dans lequel ils commencent par faire tache. Un ailleurs qui se recroqueville, se barricade, les accepte du bout des doigts. Un ailleurs qui leur dit « not in my backyard » (pas dans mon arrière-cour). Un ailleurs dont il faut pouvoir percer l’imaginaire presque par effraction. Tout en rasant les murs.
Le couscous est aujourd’hui le plat préféré des Français, mais aucun chef d’origine étrangère n’a obtenu une étoile au Michelin pour sa recette de couscous. On connaît la purée de Robuchon, mais pas le couscous de Fawzi. Le couscous est en France, ce qu’est le jazz aux États-Unis : une émotion venue d’ailleurs, née d’une effraction culturelle que chacun préfère taire. L’essentiel est dans ce que cette effraction, collectivement amnistiée, dit tout bas. Il marque un changement de statut. L’immigré n’est plus une pièce importée, éjectable à tout moment. L’immigré devient diaspora. Entité autorisée à écrire l’histoire d’un pays dans lequel il est arrivé en dernier.
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