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Diaspora Entretien

Réfléchir et agir dans un monde dangereux

Réfléchir et agir dans un monde dangereux
  • Publiéseptembre 28, 2022

Serge Degallaix est au confluent de plusieurs fondations qu’il dirige, tournées tant vers la réflexion que vers l’action. Il explique la nature de ses activités et les projets en cours de réalisation.

 

Vous êtes le directeur de plusieurs fondations. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Je dirige deux fondations d’utilité publique ou d’intérêt général et une société à mission. D’abord la fondation Prospective et innovation que préside l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin depuis une douzaine d’années. Cette fondation vieille de 35 ans a pour premier axe les pays émergents comme la Chine, le Vietnam et les pays d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne. Le second axe, ce sont les NTIC. Non pas sous un angle technique mais sous celui de leur impact géopolitique sur le poids relatif des nations, de leurs opportunités et de leurs menaces. Nous essayons d’apporter notre contribution du monde et de ses grands acteurs. Nous défendons par exemple le dialogue et un multilatéralisme rénové.

Si l’efficacité de l’aide occidentale qui n’est pas aussi grande qu’elle devrait être, nous rappelle Tertius Zongo, c’est que nous venons avec nos idées, nos concepts, nos règles et nos conditions et que nous ne tenons pas assez compte de la sensibilité, de la situation de terrain de l’Afrique.

La fondation Tunisie pour le développement est présidée elle aussi par un homme remarquable, Badreddine Ouali. Entrepreneur tunisien, il a décidé d’apporter un soutien personnel, financier et moral à l’objectif principal de requalifier de jeunes Tunisiens diplômés du supérieur, vivant en Tunisie et qui sont en recherche d’emploi. Nous leur apportons un complément de formation notamment dans les nouvelles technologies mais pas seulement.

En liaison avec le gouvernement tunisien, nous essayons de favoriser la création d’emploi pour ces jeunes. Ceci de sorte qu’ils trouvent à l’issue de leur formation technique d’un an des capacités à rédiger, à établir des rapports, à travailler en équipe.

C’est une société commerciale dite à mission, formule instituée en France il y a quelques années. Nous avons, et cela figure dans nos statuts, une société qui veut mettre le numérique au service du droit. Ses missions sont l’inclusion des jeunes et des femmes dans le cadre de cette formation. Cela fait partie de la Francophonie mais aussi du renforcement des liens personnels entre le nord et le sud de la Méditerranée. Nous travaillons principalement dans le domaine de la formation, en particulier avec l’Université Tunis Dauphine, dans le domaine des bases de données professionnelles. Dans le domaine de la réglementation du climat, l’Union européenne va instituer prochainement un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Il est important que les entrepreneurs et les pays du Sud aient une idée précise et opérationnelle de ce que cela signifie pour leurs entreprises. Nous essayons de contribuer à la connaissance de ce mécanisme et à la manière dont ces pays peuvent remplir ces nouvelles conditions du commerce international.

 

Pour vous différencier des autres, quelle est votre valeur ajoutée ?

Elle réside d’abord, pour la Fondation Prospective et Innovation, dans le rassemblement lors de petits-déjeuners ou des grands forums qui peuvent aller jusqu’à 2 500 participants, de personnalités de tous horizons. Sauf les extrêmes, car il faut que le dialogue puisse s’établir ! Nous y mettons des personnalités politiques, de grands professionnels de l’industrie et des services. Et également des chercheurs européens et du monde entier.

Dans notre dernier Forum annuel, nous avons eu l’ancien Premier ministre du Burkina Faso, une jeune essayiste franco-ghanéenne, un homme d’affaires chinois, le président de la Chambre de commerce franco-indienne, le directeur de l’IRIS… Ceci permet d’avoir une vision ouverte fondée sur le dialogue et la compréhension de l’autre.

Mais nous ne faisons pas seulement des forums. Notre volet Jeunes est très important. En juin dernier, nous avons accueilli pour des séjours professionnels en France une quinzaine de jeunes Africains. Venus principalement d’Afrique de l’Ouest mais aussi du Cameroun, ils ont passé trois semaines avec des master class en étant intégrés dans une entreprise moyenne française correspondant à leur secteur.

Ils ont pu rencontrer un certain nombre d’acteurs économiques et sociaux, à la fois pour voir les différences et les ressemblances entre eux et pour créer du réseau. Avec la Métropole de Montpellier, nous créons un mécanisme d’appui financier, technique et professionnel pour ces jeunes entrepreneurs qui nous ont beaucoup impressionnés. On ne retrouve pas, dans les autres fondations, cette multiplicité d’activités. N’oublions pas les missions d’affaires que nous faisons en Asie et en Afrique ou que nous accueillons en France.

 

Quel est leur modèle économique ?

La fondation Prospective et Innovation était au début très largement soutenue par l’État. Qui continue à nous soutenir mais dans des proportions bien moindres. Nous avons un capital avec une gestion très prudente et des revenus modestes. Le reste de notre budget provient d’un club d’une quarantaine d’entreprises qui s’intéressent à ce que nous faisons et qui nous aident à ce que notre action réponde à de vrais besoins, à une demande sociale et entrepreneuriale. Second élément, que la Covid a rendu plus difficile, nous demandons à des sponsors de nous aider autour de certains événements. Troisième possibilité, les dons d’entreprises ou de personnes avec en contrepartie des avantages fiscaux.

La fondation Tunisie pour le développement reçoit un effort financier personnel très important de son président. Ce que nous faisons correspond à une priorité en Tunisie et en Europe et nous bénéficions de concours financiers de l’Agence française de développement, de la Banque mondiale, de l’Union européenne, de la coopération néerlandaise, d’un certain nombre de donateurs privés, et bien sûr, dans le cadre de l’aide à l’emploi, de l’Aneti tunisienne.

 

Dans votre galaxie, figure la fondation Leaders pour la paix. Dans une géopolitique mondiale torturée, bousculée et porteuse de tensions et de graves crises, comment portez-vous une voix qui soit audible ?

Nous avons la conviction que rarement le monde n’a été aussi dangereux. Nous voyons une montée des tensions et une baisse des canaux de communication. En Ukraine naturellement avec l’agression russe et des risques de dérapage qu’il ne faut pas négliger. Nous ne savons pas comment la guerre va évoluer. Il y a Taiwan où, là aussi, le risque est important. Nous savons que la Chine n’admettra pas une déclaration d’indépendance et, si cela se produisait, nous pouvons craindre une escalade dramatique compte tenu des armes en présence. Il faut respecter la volonté des Taiwanais mais aussi faire que le remède ne soit pas pire que le mal.

Avec ce sentiment d’une situation proche d’un seuil critique, Jean-Pierre Raffarin a réuni un certain nombre de leaders de tous bords géographiques. Nous publions un rapport annuel et avons des écoles pour la paix destinées à des universités dans l’ensemble du monde.

 

Dans votre travail, ce pouvoir d’influence et cette diplomatie du débat, quelle est la place de l’Afrique ?

L’Afrique est centrale dans nos activités. Nous avons l’accueil de jeunes Africains en France. Chaque année à Montpellier pendant deux jours avec les universités et avec la société civile, nous avons Nouvelles d’Afrique. Dans notre collection, nous avons également des publications très régulières et des webinaires.

Une autre singularité est de mélanger les genres, c’est-à-dire la politique, l’économie, la culture, les hommes et les femmes. Nous défendons l’idée qu’il faut, avec des responsabilités partagées, que l’Europe montre bien sa volonté d’aider efficacement l’Afrique. Nous sommes ainsi partisans d’une aide à la mesure des défis et des enjeux, notamment en matière de transition écologique.

Deuxièmement, c’est vrai que nous travaillons beaucoup avec l’Asie, l’Afrique et l’Europe. L’Afrique ne doit pas être un terrain d’affrontement entre puissances mais un terrain de collaboration. Avec des règles posées et respectées par tous autour de grands projets d’investissement, de formation, d’insertion dans l’économie mondiale. Pour faire que toutes les forces mondiales répondent à la demande de l’Afrique qui doit être dans le siège du conducteur.

Nous assistons aujourd’hui à une série de débats sur la relation de la France avec l’Afrique, pourtant, nous constatons une forme de déphasage qui empêcha de capter les énergies nouvelles. Comment l’expliquer ?

Je considère que nous voyons trop l’Afrique avec nos schémas intellectuels, économiques, financiers occidentaux. Je vous citerai un de nos intervenants africain, Tertius Zongo, ancien Premier ministre du Burkina Faso.

Il dit qu’une des causes d’une efficacité qui n’est pas aussi grande qu’elle devrait l’être est que nous venons avec nos idées, nos concepts, nos règles et nos conditions et que nous ne tenons pas assez compte de la sensibilité, de la situation de terrain de l’Afrique. Nous essayons justement, dans ce dialogue, de montrer que cette relation doit être adaptée.

Deuxième élément, nous sommes trop compartimentés. Tertius Zongo prend l’exemple de l’école : nous donnons de l’argent pour construire des écoles mais pas pour aider à la formation des enseignants ou pour renouveler le matériel pédagogique. Même chose dans l’agriculture où l’industrie. Nous devons avoir une approche beaucoup plus intégrée qu’elle ne l’est, elle doit devenir à la fois fonctionnelle et géographique. Je le disais, ce doit être un terrain de collaboration entre les grandes puissances qui réponde aux demandes et aux plans d’une Afrique qui prend ses responsabilités.

 

Le sujet sur les diasporas africaines en friche et mal étudié : 15% à 18% de la société française est issue de la diversité. Comment expliquer qu’on trouve en Angleterre des ministres de premier rang issus de la diversité et ce retard en France ?

Dans le gouvernement, la haute administration et les entreprises un certain nombre de personnes issues de la diaspora. Nous ne sommes pas l’Angleterre mais je pense que nous marchons d’un bon pas vers cette importance plus grande qui reflète les chiffres que vous indiquez.

L’école républicaine est fondée sur le mérite et il faut bien sûr que les chances de chacun de faire des études et de gravir l’échelle sociale soient les mêmes. Il y a quand même des différences selon les origines géographiques qui s’expliquent par des facteurs objectifs. Sans faire de la discrimination positive car il y a des effets retour qui peuvent être négatifs en termes politiques, je crois que nous devons consentir de plus gros efforts et c’est quand même ce que nous faisons.

Par ailleurs, quand vous regardez la composition du gouvernement britannique, il y a quand même une certaine discrimination sociale qui joue. Entre Cambridge, Oxford et Eton, le personnel politique est quand même issu d’un certain moule. En France, cette remarque n’est pas fausse non plus mais nous sommes quand même beaucoup plus diversifiés dans nos origines.

 

Quels sont vos chantiers ? Et comment allez-vous structurer les prochains mois ?

Nous avons deux principaux axes. Le premier est naturellement la COP 27 à Charm el-Cheikh. Nous organisons une série de réunions avec des personnes du Nord et du Sud, des politiques, des financiers pour contribuer à notre échelle à la clarification des enjeux et des solutions. Le second est de réfléchir de manière opérationnelle, sans a priori idéologique, à la manière dont le secteur privé peut contribuer au développement de l’Afrique.

Quand vous regardez tous les grands plans annoncés par le G7, les Américains, l’Union européenne, vous voyez des sommes formidables engagées. Mais une bonne partie de ces montants s’explique par la mobilisation des capitaux privés. Notre travail consiste à réfléchir aux meilleures modalités pour que ces capitaux privés viennent, bénéficient de certaines garanties et qu’il y ait un schéma de financement et de remboursement adapté à la fois aux nécessités d’un financement privé et aux possibilités des États et des opérateurs africains.

@NA

 

Écrit par
Par Hichem Ben Yaïche et Nicolas Bouchet

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