Une « déclaration de Dakar » pour les musées

Soixante directeurs de musées africains et européens créent un réseau d’échanges destiné à dépasser le stade des restitutions d’œuvres, et destiné à affranchir l’art africain d’un regard ethnographique. Ils promettent des expositions itinérantes offrant une vision nouvelle.
« Un réseau est né à Dakar, un forum pour forger un futur commun. Un premier pas sur un long et passionnant chemin pour promouvoir la compréhension mutuelle. » Ainsi se réjouissent les organisateurs d’un forum de haut niveau, qui s’est tenu du 25 au 27 avril 2023 à Dakar.
Ce, sous la férule de Hamady Bocoum, directeur du Musée des Civilisations noires de Dakar et président du Comité de pilotage, et de Guido Gryseels, vice-président de ce Comité et ancien directeur général du Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren, en Belgique.
« Ensemble, nous devons repenser nos pratiques en nous appuyant sur les savoirs et l’expertise endogènes pour mieux nous adapter aux enjeux climatiques et travailler sur des espaces respectueux de l’environnement. »
Venus de 38 pays d’Afrique et d’Europe, soixante directeurs de musée ont donc constitué un réseau d’échange et de collaboration, destiné à nouer des liens durables et des expositions itinérantes conjointes.
Cette rencontre d’une ampleur inédite, fait écho au processus de restitution d’œuvres africaines pillées durant la période coloniale. « Le Patrimoine ne doit pas être un espace conflictuel mais un espace de dialogue », justifie Hamady Bocoum. Qui veut aller au-delà des simples gestes de restitutions d’œuvres.
L’Afrique « ne doit pas rester dans la perspective de subordination, penser que notre patrimoine se trouve dans les musées européens. Elle continue à produire. Nous devons continuer à constituer des collections d’art africain, d’art contemporain pour que demain, on ne nous dise pas qu’on nous a volés à nouveau ! »
Hors de question, donc de « centraliser la colonisation dans le narratif de l’histoire africaine ». D’ailleurs, la colonisation n’est à son sens qu’une « parenthèse » dans l’histoire de l’Afrique.
Les directeurs ont publié une déclaration commune. Ils s’engagent à « mutualiser » leurs efforts « pour documenter, préserver et réinterpréter les collections en Afrique et en Europe et à les mettre à disposition du public par la numérisation, la recherche, la pédagogie et les expositions ».
Le développement d’expositions itinérantes conjointes, avec de multiples partenaires, circulant en Afrique et en Europe représente « un instrument de transformation des récits qui construisent notre vision du monde ».
Construire un futur commun
Un programme d’action sera soumis à des partenaires politiques et des bailleurs de fonds pouvant contribuer à sa pérennisation. « Nous avons le souhait de les accompagner, de les financer parce que protéger le patrimoine, le mettre à disposition, de s’en servir pour l’éducation, c’est un sujet de développement », a commenté à l’AFP Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement.
Même volontarisme du côté allemand : « La politique culturelle de l’Allemagne ambitionne un nouveau partenariat avec les pays africains, dans un contexte de vérité et de confiance. Ainsi, la restitution n’est pas et ne sera pas une fin mais le début d’une nouvelle réflexion », juge Andreas Goergen, ministère de la Culture allemand.Dans leur « Déclaration de Dakar », les directeurs de musées affirment leur ambition « de construire ensemble un futur commun dans une perspective de dialogue des cultures dont Léopold Sédar Senghor fut un des plus grands chantres ». Convaincus que les musées ont un rôle majeur à jouer pour la promotion de la paix et la compréhension mutuelle, « nous relevons ensemble le défi de construire et renforcer nos partenariats afin de répondre aux enjeux contemporains et transmettre aux générations futures un esprit de confiance mutuelle et de respect », ajoute cette déclaration.
« Nos musées ne doivent donc pas être des espaces de nostalgie mais des lieux d’inspiration dynamiques où se construit aussi le patrimoine de demain. On a longtemps enfermé le patrimoine d’Afrique dans une vision ethnographique, c’est pourtant une richesse vivante, avec un potentiel dû à la force des images dont l’interprétation fabrique le contemporain et l’avenir de la société. »
L’art a aussi les yeux tournés vers l’avenir : « Ensemble, nous devons repenser nos pratiques en nous appuyant sur les savoirs et l’expertise endogènes pour mieux nous adapter aux enjeux climatiques et travailler sur des espaces respectueux de l’environnement », jugent les directeurs de musées.

@NA