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Culture Entretien

L’Afrique peut faire rayonner tous les types de cinéma

L’Afrique peut faire rayonner tous les types de cinéma
  • Publiéfévrier 15, 2023

Paméla Diop, productrice du film Saloum, revient sur son parcours et sur l’objectif de ses sociétés de productions et associations : bâtir nouveau un narratif africain au sein d’une industrie créatrice d’emplois.

 

Qui est Pamela Diop ?

Je m’appelle Paméla Bamby Diop, je suis productrice de cinéma franco-sénégalaise, née à Cannes et vivant à Dakar. J’ai suivi des études en finances-comptabilité puis en management, production et distribution de projets audiovisuels avant de travailler dans la communication en Afrique.

 

Votre objectif est de casser les codes en proposant « un nouveau narratif africain » dans le monde de l’Entertainment ? Expliquez-nous…

En tant que productrice, j’ai à cœur de produire des films qui nous transportent, nous font voyager. Beaucoup de films d’auteur ont marqué mon esprit mais j’ai aussi envie d’action, de thriller, de comédies romantiques etc. Dans les festivals où j’ai eu la chance d’être conviée, j’ai souvent eu l’impression que la case « film africain » était misérabiliste. C’est une représentation désagréable à la limite fâcheuse, mais qui conforte l’idée de l’urgence à prendre nous-même le contrôle du narratif de notre continent. Je crois fermement que comme dans toutes les industries cinématographiques du monde, l’Afrique peut proposer un panel d’œuvres variées, qualitatives et attractives.

En Afrique, nous avons l’expérience, la compétence pour produire des œuvres attractives, modernes pour faire connaître les histoires uniques et inspirantes de notre continent à un public mondial.

Mon père est Sénégalais mais j’ai connu mon pays d’origine sur le tard, à l’adolescence, j’ai tout de suite eu le sentiment de pouvoir matérialiser ce qu’il y avait dans ma tête depuis longtemps. Je trouve que c’est une terre vibrante, énergisante, tout n’est pas simple et nous faisons face à de nombreux défis mais je m’y sens chez moi et j’y vis d’ailleurs depuis vingt ans. Il est tout naturel que j’ai pensé à réaliser ce film ici, au Sénégal.

 

Vous avez grandi dans une famille de documentariste, de journaliste et de publicitaire. Quelle est l’influence de cet héritage dans votre travail ?

Je crois que ce que mes parents m’ont donné de plus précieux c’est le goût de l’indépendance et de l’aventure. J’ai d’ailleurs vécu seule et j’ai travaillé avant ma majorité. Mon père a fondé une des premières radios libres du Sénégal et ma mère était une des seules femmes à son niveau de responsabilité dans sa société de communication, en France. Surtout, ils ont tous deux commencé de zéro et leurs parcours sont pour moi une immense source de d’inspiration, de motivation, et bien sûr des repères.

 

Vous avez produit plus d’une centaine de campagnes publicitaires en France, en Côte d’Ivoire, au Gabon et au sein de l’agence de communication McCANN, au Sénégal. De quoi a besoin l’Afrique pour progresser dans ce domaine ?  

Le progrès est un processus, c’est pourquoi il est important de miser dès maintenant sur la formation professionnelle, la créativité, la réglementation, le soutien aux entreprises locales et aux investisseurs privés africains sur le continent ou de la diaspora. En ce qui concerne la publicité, il existe de nombreuses agences africaines comme Wurus ou Couro Prod qui font un travail remarquable et travaillent avec de grandes marques internationales ; elles étaient très rares, voici une dizaine d’années. Le secteur audiovisuel se développe et ses acteurs aussi, je pense qu’il faut les soutenir autant que possible.

 

Vous décidez de produire votre premier long métrage, hors des circuits traditionnels : Saloum, un thriller tourné au Sénégal. Comment avez-vous obtenu les financements ?

Le financement du tournage de Saloum est 100% africain ; il a coûté plus de 250 000 dollars. La plus grande tranche est issue des revenus de publicités et films institutionnels que j’avais contractés à l’époque. Par la suite, le réalisateur, les acteurs, les techniciens, les lieux de tournage, etc., tous ont accepté de mettre la majeure partie de leurs rémunérations pour réaliser ce projet. Ensuite sur la base du premier montage le film a été sélectionné au prestigieux festival de Toronto, le TIFF. Cela a permis de financer la suite, plus chère, via des investisseurs privés, majoritairement aux États-Unis.

Il était important pour moi de trouver d’autres circuits de financements, pour, justement, participer à l’ouverture vers de nouveaux narratifs africains. Je pense qu’il nous faut pleinement saisir le potentiel de ce secteur en Afrique duquel peut émerger beaucoup de retombées positives. Le récent rapport de l’Unesco sur les industries culturelle et créative souligne ce potentiel avec la conviction qu’il est sous-estimé aujourd’hui en Afrique et qu’il pourrait générer 20 milliards $ et 20 millions d’emplois, si des réformes sont effectuées.

 

Le film est sélectionné en 2021 au prestigieux festival de Toronto, et est distribué aux États-Unis par IFC Films / Shudder, dans plus de 17 pays africains francophones par Pathé BC Afrique, dans les salles françaises par CGR Events. Enfin, Saloum est vendu à Amazon Prime Vidéo pour toute l’Afrique subsaharienne…

Nous avons la chance au Sénégal d’avoir eu de nombreux cinéastes connus et reconnus, de Sembene, à Mambéty mais aussi Alain Gomis et Mati Diop. Depuis Saloum, qui n’était au départ petit film indépendant sans vendeur ni distributeur, je suis plus que jamais optimiste sur notre capacité à faire rayonner tous les types de cinéma sur la scène internationale. Nous sommes fiers d’avoir porté ce film dans tous les continents, de constater qu’il a été sélectionné dans une quarantaine de festivals internationaux et permis de révéler de nombreux acteurs africains. Je pense que de nombreux talents restent à découvrir et qu’en développant des circuits de financements complémentaires nous allons en être surpris !

 

Vous revendiquez également un secteur plus égalitaire et plus juste pour une meilleure représentation. Jugez-vous que la place de la femme est centrale selon vous dans l’industrie cinématographique ?

En effet, pour des raisons de logique d‘abord et pour bien d’autres raisons, il est nécessaire d’aller vers une juste représentation des talents, des expertises dans tous les métiers qui interviennent dans la préparation, l’exécution et la postproduction des projets audiovisuels. Il est évident que la participation des femmes à l’industrie viendra stimuler l’économie et offrir de belles perspectives en matière d’emplois.

Je relève qu’aujourd’hui, les femmes sont moins de 10% devant et derrière la caméra dans toutes les régions du continent. Or, elles ont pour beaucoup, le talent, les compétences pour exercer plus de responsabilités comme productrice, scénariste, réalisatrice, monteuse, etc. Il faut en conséquence s’interroger sur les causes de ce fait et travailler à inverser ce constat peu reluisant.

Il me paraît aussi important d’insister sur l’influence de l’audiovisuel sur les perceptions. Traduire dans l’univers cinématographique ce projet d’inclusion est une façon certaine de contribuer au progrès de notre continent.

 

Vous animez aussi une association AWA Production, quel est son objectif ?

Ne pas confondre AWA Productions et AWA Association ! La première est une société de production de films écrits ou réalisés par des femmes d’Afrique et de la diaspora. J’ai créé AWA Productions pour justement encourager les initiatives féminines dans ce secteur. Je pense que le cinéma peut aider à briser les stéréotypes de genre, en présentant des personnages plus valorisant et inspirants pour les jeunes générations, en plus des effets positifs déjà évoqués. Nous proposons des films de genres différents et plusieurs projets de long métrage sont en route avec AWA Productions. Évidemment, nous sommes ouverts aux collaborations et partenariats.

La seconde structure est une association que j’ai créée en 2021. Avec AWA Association, nous nous sommes donné pour mission d’initier des jeunes femmes africaines aux métiers de l’audiovisuel. En mars, nous organiserons la deuxième édition des résidences d’écriture, une activité que nous proposons et qui vise à former les participantes à l’écriture cinématographique ainsi qu’à les doter d’outils nécessaires à leur développement personnel. Selon un programme établi en amont, la formation se base sur un encadrement de proximité et allie rencontres professionnelles, temps d’immersion sur les plateaux de tournages et accès à des outils pédagogiques, technologiques modernes.

Vous développez actuellement deux projets de long métrage via Biopics Films. En quoi consistent-ils ?

Comme ce sont des développements en cours avec des célébrités je ne peux pas dévoiler ces projets avant un certain agenda, mais Biopics Films est une société de production dédiée aux films biographiques sur les légendes africaines du sport.

Les films de sport en Afrique peuvent transmettre des messages importants sur la détermination, la persévérance, l’esprit d’équipe, le dépassement des adversités, l’importance de la forme physique et du développement personnel, ainsi que l’inclusion et la diversité. Ils peuvent inspirer les spectateurs à poursuivre leurs propres passions et objectifs.

En 2022, j’ai fondé une structure avec mon associé, Babacar Sy. Nous avons travaillé ensemble sur la stratégie de Saloum. Babacar bénéficie d’un parcours solide dans le sport de haut niveau, étant un ancien évaluateur international pour la NBA, directeur d’Adidas en Afrique pour le programme de détection des talents. En parallèle, pendant plus de vingt ans, il a aidé des jeunes d’Afrique et d’Europe à obtenir des bourses scolaires et sportives aux États-Unis, sans aucun financement public.

 

Avez-vous un message à lancer ?

Le message que j’ai à faire passer est qu’ensemble nous pouvons faire avancer notre industrie cinématographique. Nous avons la chance d’avoir une industrie en croissance, riche d’un énorme potentiel et qui peut apporter des retombées économiques et sociales significatives pour notre continent.

Pour y arriver il est nécessaire que les investisseurs se mobilisent et fassent confiance aux producteurs et réalisateurs africains. Nous avons l’expérience, la compétence pour produire des œuvres attractives, modernes pour faire connaître les histoires uniques et inspirantes de notre continent à un public mondial. Mon message est aussi celui d’une nécessaire implication collective pour encourager les initiatives féminines dans l’industrie du film en Afrique. Nous restons ouverts aux collaborations, vous pouvez nous laisser un message sur nos réseaux sociaux !

 

@NA

 

Écrit par
Aïssatou Diamanka-Besland

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