De nouveaux écrins pour les œuvres spoliées

L’Allemagne et la France vont rendre respectivement au Bénin et au Nigeria des œuvres africaines volées durant la période de la colonisation. Le Musée de l’épopée des Amazones et des rois du Danxomè prendra place sur le site d’Abomey, réhabilité.
Par Véronique Clara-Véronne
Voilà près de cinq ans que la France et le Bénin négocient la restitution d’œuvres africaines spoliées. Acte fort suggéré, en 2018, par le rapport Savoy – Sarr. Acté depuis 2020, le retour de plusieurs œuvres, et la création d’un nouvel espace pour les accueillir, prend forme concrète, avec la construction et le financement du Musée de l’épopée des Amazones et des rois du Danxomè (Dahomey, en langue fon). Coïncidence ?
L’Allemagne vient de prendre une décision forte en restituant au Nigeria des œuvres africaines volées durant la colonisation ; la France pourrait lui emboîter le pas, car d’autres chefs-d’œuvre conservés dans les musées français pourraient trouver place dans un écrin purement africain.
En partenariat avec l’École du Patrimoine africain et le Centre de formation professionnelle d’Abomey, le nouveau musée contribuera également à augmenter les capacités locales en matière de conservation et de valorisation du patrimoine culturel.
Quoi qu’il en soit, le ministre béninois de l’Économie et des finances, Romuald Wadagni, a procédé, le 3 juin 2021, au lancement officiel du projet de ce Musée. Il a réuni pour l’occasion son collègue du Tourisme, l’ambassadeur de France au Bénin, le directeur de l’AFD (Agence française de développement) à Cotonou, et le directeur général de l’Agence nationale pour la promotion des patrimoines et du tourisme (ANTP).Financé en don et en prêt par l’AFD à hauteur de 22,95 milliards de F.CFA (35 millions d’euros), ce projet sera mis en œuvre par l’ANPT avec l’appui technique d’Expertise France (groupe AFD) et du ministère français de la culture. Il permettra la mise en valeur du site historique d’Abomey grâce à la réhabilitation de quatre palais royaux et à la construction d’un nouveau musée aux standards internationaux où seront exposées les œuvres héritées du royaume du Danxomè.
Ce projet s’inscrit dans la dynamique du « retour des biens culturels » : le futur Musée sera le lieu d’accueil de 26 œuvres, trésors royaux d’Abomey, qui reviendront au Bénin et compléteront les collections béninoises sur le site.
Un atout touristique et économique
Inscrit sur les listes du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1985, le site d’Abomey, capitale historique de l’ancien royaume du Dahomey, est l’un des sites touristiques majeurs du Bénin. C’est pourquoi les partenaires considèrent que son attractivité mérite d’être renforcée. Le projet vise la réhabilitation d’une partie du mur de l’enceinte et la valorisation d’une promenade patrimoniale sur l’ensemble des 47 hectares du site.
La mise en avant du patrimoine béninois et d’une histoire commune participera à la valorisation de la culture comme instrument de cohésion sociale et de dialogue pour que la jeunesse se réapproprie son histoire, expliquent les représentants français. Dans son intervention, le ministre en charge de la Culture, Jean-Michel Abimbola, a souligné que ce projet permettra également de relever le défi de faire du tourisme une filière de développement économique créatrice de richesses et d’emplois, de par ses différentes composantes. « Nos regards sont désormais et plus que jamais tournés vers la poursuite et l’accélération des travaux de construction du Musée de l’Épopée des amazones et des rois de Dahomey et de valorisation du site palatial d’Abomey ».
Temporairement, les œuvres restituées seront exposées à Ouidah, au Fort portugais, a révélé le ministre. Le projet permettra également de renforcer de l’écosystème artisanal, source de devises pour le Bénin.
Des bronzes du Bénin de retour au Nigeria
En partenariat avec l’École du Patrimoine africain et le Centre de formation professionnelle d’Abomey, le projet contribuera également à augmenter les capacités locales en matière de conservation et de valorisation du patrimoine culturel. Le ministre Wadagni a invité « les équipes béninoise et française à travailler avec célérité pour la réalisation du joyau ».
En 2022, l’Allemagne va donc rendre au Nigeria les bronzes du Bénin, pièces emblématiques de l’art colonial africain pillé. Reste à savoir comment « mettre en lumière et assumer le passé colonial de l’Allemagne », pour reprendre les mots de la ministre allemande de la Culture, Monika Grütters. Son ministère publiera très prochainement la liste précise des œuvres présentes en Allemagne.
Ces sculptures, reliefs et objets en bronze, en laiton et en ivoire proviennent du palais royal de l’ancien royaume du Bénin, pillé par les troupes britanniques en 1897 ; l’Allemagne en a acquis plus d’un millier. Le gouvernement allemand a pris une décision forte : les conservateurs nigérians décideront les objets qu’ils souhaitent voir exposés dans leur pays et ceux qui resteront en Allemagne, ainsi que la manière dont ils seront exposés au grand public.
La ville de Benin City (Nigeria) se dotera également d’un nouveau musée pour accueillir les œuvres. Pour les universitaires Pierre Losson et Felicity Boldestein, auteurs d’une tribune dans le quotidien Le Monde, « en proposant ces restitutions sans attendre d’être mise sous pression par l’opinion internationale, la France prouverait que le rapport Sarr-Savoy n’était pas un coup d’épée dans l’eau et qu’elle se penche sérieusement sur certains des aspects les plus sombres d’un passé colonial national mais aussi européen ».
VCV