x
Close
Coopération

TICAD8, des ambitions dans un monde incertain

TICAD8, des ambitions dans un monde incertain
  • Publiéaoût 31, 2022

En Tunisie, le Japon a tenté de se présenter comme un partenaire à l’approche différente de celle de la Chine, mais dans le contexte de la dislocation de l’économie mondiale, cette politique aura-t-elle l’impact recherché ?

 

Ce fut un étrange week-end à Tunis. Lors de la cérémonie d’ouverture de la huitième conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD8), pierre angulaire de l’influence économique, politique et de développement du Japon dans la région, le Premier ministre japonais Fumio Kishida n’a pas mâché ses mots.

« L’ordre international fondé sur des règles est essentiel », a-t-il déclaré aux délégués, accusant Chine et Russie de saper cet ordre. Cette déclaration forte marque l’intention de son pays de regagner du terrain pour ce qui a été appelé à plusieurs reprises une approche distinctement « japonaise » du développement, enracinée dans la paix, la démocratie et l’épanouissement humain, avec un accent sur les droits sociaux, politiques et humains.

 

Le recours fréquent aux changements du système mondial, comme l’insistance de Fumio Kishida pour que l’Afrique dispose d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, est un rappel constant de l’ampleur des oscillations de la politique, de l’économie, de la finance et de la diplomatie internationales.

L’Ukraine, en particulier, a occupé une place importante, étant citée dans presque toutes les interventions ; de celle président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Fakih Mahamat, à celle d’Amina Mohammed, vice-secrétaire générale des Nations unies, en passant par la multitude de déclarations des 48 pays africains représentés à la conférence.

Toutes ces personnalités ont évoqué les coûts terribles que l’invasion russe a imposés au continent africain. La déclaration de Tunis, adoptée lors de la clôture de la TICAD dimanche, est allée encore plus loin, s’ouvrant sur un engagement à « maintenir la paix et la stabilité internationales » avant de se faufiler dans un défi direct à la Chine, prenant « bonne note de l’initiative d’un espace Indo-Pacifique libre et ouvert ».

 

Des crises aggravées

Toutefois, comme l’ont souligné plusieurs intervenants, l’environnement économique mondial n’est pas nécessairement propice à une réinitialisation ambitieuse des relations nippo-africaines.

« Les choses se sont compliquées », a admis Achim Steiner, administrateur du PNUD, l’un des coorganisateurs de la TICAD. Qui a énuméré une série de vents contraires auxquels l’organisation est confrontée dans sa lutte pour mettre fin aux perspectives de développement de l’Afrique.

« La pandémie a fait dévier de nombreux pays de leur trajectoire ; des dizaines de millions de personnes se sont appauvries et, pour couronner le tout, l’attaque de la Russie contre l’Ukraine a provoqué d’énormes perturbations. Nous essayions d’investir dans le développement, nous essayions d’investir dans l’économie numérique en Afrique, au lieu de cela nous devons nous concentrer sur la manière dont les gens ont accès à la nourriture et aux engrais. Sans parler de la récession économique mondiale, où le coût du capital explose et frappe les économies africaines à un point d’endettement maximal. »

Et Achim Steiner de préciser qu’au-delà de l’économie, « nous sommes confrontés à un moment où les questions d’inégalité et de polarisation politique, le manque de confiance dans le gouvernement sont en train de déchirer les coutures de la cohésion sociale et la fonctionnalité du gouvernement. »

C’est dans ce contexte que le Japon tente de se réaffirmer et de se distinguer de la Chine. Il est vrai que l’approche de cette dernière en matière de développement africain, fondée sur les prêts, lui vaut d’être accusé de « diplomatie du piège de la dette » sur tout le continent.

Certes, on peut avoir l’impression que la TICAD a perdu de son lustre : le nombre de hauts fonctionnaires des pays africains présents a diminué de plus de la moitié, pour atteindre vingt personnes seulement, par rapport à la TICAD7 de 2019, à Yokohama. Toutefois la promesse élevée du Japon de consacrer 30 milliards de dollars supplémentaires au cours des trois prochaines années pour contribuer au développement de l’Afrique a été bien accueillie.

Bien que l’intention soit de mobiliser conjointement des fonds provenant de sources publiques et privées, conformément à la réorientation en cours vers un développement dirigé par le secteur privé, établie lors de la TICAD7, la répartition jusqu’à présent penche fortement en faveur du gouvernement et des autres institutions officielles de développement. Outre un fonds de 10 milliards de yens (70 millions $) constitué par les milieux d’affaires japonais dans le but de soutenir les jeunes entreprises africaines, 4 milliards $ sont consacrés à une nouvelle « initiative de croissance verte avec l’Afrique », 5 milliards $ seront fournis sous forme de cofinancement avec la BAD (Banque africaine de développement) pour s’attaquer aux problèmes d’électricité, de connectivité, de santé, d’agriculture et de nutrition, ainsi qu’aux problèmes de santé publique, notamment.

TICAD8 : les engagements auprès du privé

 

De plus, 300 millions $ supplémentaires iront à la facilité de production alimentaire d’urgence de la BAD, 1 milliard de dollars ira à un fonds mondial pour la prévention des maladies infectieuses et, enfin, 300 000 professionnels africains supplémentaires seront formés au Japon.

Aussi bien intentionné et précieux que soit le soutien du Japon, il n’est toutefois pas certain que la TICAD 8 ait constitué une grande réinitialisation de la coopération nippo-africaine. Encore moins s’il s’agissait d’un rempart bilatéral défiant les forces globales et multidimensionnelles qui exercent une pression sur le continent. Malgré toutes les références du Japon à la qualité, et non à la quantité, de la coopération et de la croissance, et malgré l’accent mis sur l’importance de la gouvernance, de la consolidation de la paix, de la justice, de la durabilité et du capital humain, la réalité désagréable est que le changement radical des investissements japonais en Afrique – le principal levier prévu pour obtenir des résultats positifs en matière de développement  – ne s’est pas encore concrétisé. Les États-Unis ont investi 44 milliards $ d’IDE en 2021, le Royaume-Uni et la France environ 60 milliards $ chacun et la Chine 43 milliards $.

 

Un pari trop ambitieux ?

Les 5 milliards $ du Japon restant loin derrière, alors même que ses dirigeants politiques et économiques vantent la jeunesse, le dynamisme et le potentiel économique inexploité du continent. Bien qu’on ne puisse attendre du Japon qu’il fasse tout à lui seul, il reste la troisième plus grande économie du monde et peut se targuer d’un héritage riche et partageable en matière d’industrialisation de haute technologie, d’administration publique efficace, d’infrastructures transformatrices et de contributions de soutien aux affaires mondiales. Elle peut certainement faire plus.

Dans le même temps, le recours fréquent aux changements du système mondial, comme l’insistance de Fumio Kishida pour que l’Afrique dispose d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies – ce qui correspond aux ambitions du Japon dans cette arène –, est un rappel constant de l’ampleur des oscillations de la politique, de l’économie, de la finance et de la diplomatie internationales.

Le changement climatique, la détérioration de l’économie, l’inégalité, le recul de la démocratie et l’agression nucléaire sont de grands défis mondiaux, dont l’Afrique ressent l’extrémité plus que tout autre continent.

Ainsi, pendant que l’on écoutait le discours d’ouverture du Premier ministre Kishida, on apprenait que des violences s’intensifiaient en Libye… Dans un contexte d’élections nationales difficiles, de privations économiques croissantes, de sécheresse et de luttes pour le contrôle de l’industrie pétrolière nationale en raison de la flambée des prix induite par la guerre, il semblait inévitable que la violence qui sévit dans le pays depuis plus de dix ans et qui implique d’innombrables acteurs régionaux, internationaux et multinationaux, reprenne.

Le Japon fait peut-être de son mieux, mais malgré les discours enthousiastes, les plénières, les promesses et la bonne volonté authentique et abondante de la TICAD8, ses nobles ambitions pour l’Afrique continuent de sembler frustrantes et difficiles à atteindre.

@AB

 

Écrit par
Angus Chapman

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *