Areva gèle le site d’Imouraren
Face à la baisse des cours de l’uranium, Areva retarde toujours l’exploitation du gisement géant d’Imouraren, au nord du Niger. Cette décision prive de leur emploi des salariés formés spécialement, et supprime des centaines d’emplois indirects.
Ils étaient des princes. Ils avaient les meilleurs salaires du pays, une sécurité sociale d’exception, conduisaient des machines énormes, comme il n’en existe pas d’autres en Afrique de l’Ouest. Célibataires, ils flambaient dans les bars et les boîtes de nuit. Mariés, ils soutenaient des neveux, des parents, des amis. Parfois, sûrs de leurs contrats en béton, ils avaient un peu emprunté à la banque, facilement, pour s’acheter une voiture, une maison, ou dépanner un proche. « C’était vraiment une chance d’avoir un boulot dans ce genre de société », explique Ahmed Sabit, 31 ans. « J’ai fait partie de la première promotion de 30 conducteurs, formés pendant quatre mois à l’École des mines de l’Aïr. Lors de l’entretien, ils nous ont dit que c’était parti pour 40 ans, jusqu’à la retraite. »
Aujourd’hui, les conducteurs d’engins d’Imouraren, qui devait devenir l’une des plus grandes mines à ciel ouvert du monde, ont le moral en berne. Dans la région d’Agadez, dans le Nord du Niger, pour la première fois depuis des décennies, Areva a licencié 189 agents et privé de contrats ses sous-traitants. Autour d’un millier d’emplois supprimés, dans une région désertique où chaque salaire fait vivre dix personnes. C’est un choc. Ahmed ne sait pas ce qu’il va devenir. Il cherche un emploi dans les travaux publics et, s’il ne trouve pas, il ira chercher de l’or, comme des milliers d’autres Nigériens dans la région depuis un an. Le géant de l’uranium a gelé la mine à ciel ouvert d’Imouraren, grande comme Paris, qui devait initialement entrer en exploitation en 2015 et produire 5 000 tonnes d’uranium par an pendant 35 ans. Avec Imouraren, le Niger espérait doubler sa production actuelle et se hisser au rang de deuxième producteur d’uranium au monde. Las ! La catastrophe de Fukushima est survenue, le 11 mars 2011. Depuis, le prix marché de l’uranium a été divisé par deux et le prix long terme a baissé de plus d’un tiers. La demande mondiale a chuté de 65 000 à 59 000 tonnes et, dans le même temps, la production mondiale augmentait de 11 %. Un excédent de 7 000 tonnes/an qui a abouti, logiquement, à la chute des cours. Mauvaise équation : avec Imouraren, Areva et le Niger auraient non seulement exploité la mine à perte mais contribué à déprécier encore plus les cours mondiaux de l’uranium, et, du même coup, affaiblir les deux autres mines, vieillissantes, d’Arlit : Somaïr et Cominak.
Oumar Garba, 30 ans, est un enfant de la mine. Son père était mécanicien à la Cominak. Quand Areva a recruté, il y a sept ans, il a postulé. Même s’il était encore en terminale. Son père n’était pas chaud. Depuis, Oumar s’est marié. Il a adopté un petit-neveu du village. Et les rumeurs de fermeture de la mine ont commencé à circuler. « Nous, on se disait que ce n’était pas possible, vu les investissements réalisés. Il n’y a pas longtemps, ils ont commandé des camions qui supportent jusqu’à 250 tonnes par voyage, neuf engins, et deux grosses pelles. Ils ont fait une nouvelle base vie, des nouvelles constructions. Puis, un jour, on a commencé à arrêter les sous-traitants. Puis on a diminué nos horaires de travail, de dix heures à cinq heures par jour. On a abandonné les gros engins. Et on a compris que les rumeurs étaient fondées. »