Timide reprise économique au Tchad

La situation économique du Tchad s’est stabilisée, depuis la crise de 2015-2017, mais la croissance, fragile, est insuffisante. Son potentiel est entravé par des faiblesses structurelles qui nécessitent des réformes pour diversifier l’économie.
N’Djaména, Geoffroy Touroumbaye
Après trois années de récession, de 2015 à 2017, les produits intérieurs bruts pétrolier et non-pétrolier du Tchad ont connu un rebond en 2018. Les recettes non pétrolières, en amélioration, se situaient à un peu plus de 360 milliards de F.CFA (550 millions d’euros) en décembre 2018, loin des 440 milliards (671 millions d’euros) de 2014.
« Les recettes pétrolières ont également progressé en 2018, grâce au regain de la production et à la restructuration de la dette Glencore, laquelle a permis de rétablir la soutenabilité de la dette publique externe, notamment avec une amélioration du service de la dette », estime Samuel Delepierre, responsable du secteur budgétaire et de l’analyse de la croissance au FMI.
Malgré cette stabilité budgétaire, les performances en matière de croissance restent insuffisantes au regard des besoins du Tchad et en deçà des performances des pays de la région. La croissance peine à repartir en raison de ce que le FMI appelle « les héritages de la crise ». Car la dette publique domestique a augmenté très significativement, touchant à la fois le stock de la dette domestique et la charge du service de cette dette.
Fragilisation du secteur bancaire
D’une part, la dette domestique, qui s’élevait à un peu plus de 400 milliards de F.CFA (soit 10 % du PIB non pétrolier) en 2014, a dépassé aujourd’hui les 1 100 milliards (1,7 milliard d’euros, soit 25 % du PIB non pétrolier) en 2016 et reste stable depuis.
D’autre part, les intérêts sur la dette domestique étaient de 5 milliards de F.CFA en 2006 (4 % des recettes non pétrolières et 2 % des dépenses primaires), ont atteint les 17 milliards en 2014 (5 % des recettes non pétrolières et 2 % des dépenses primaires) pour culminer à plus de 50 milliards en 2018 (76,2 millions d’euros, 15 % des recettes non pétrolières et presque 10 % des dépenses primaires). « Ce qui a largement obstrué la capacité de l’État à effectuer des dépenses dans des secteurs productifs », explique Samuel Delepierre.
D’autre part, l’important stock d’arriérés domestiques enregistrés au Trésor (estimés à 150 milliards de F.CFA en 2018, 229 millions d’euros, soit 3 % du PIB non pétrolier), ainsi que les arriérés en cours d’audit (dont le montant est incertain), ont des effets négatifs sur tous les pans de l’économie : le secteur bancaire, les autres activités économiques, l’environnement des affaires et la confiance dans le gouvernement.
L’accumulation d’arriérés intérieurs affecte le portefeuille des banques, qui cumulent les créances douteuses. Le stock d’arriérés intérieurs et de prêts non performants, qui était de 200 milliards de F.CFA en 2015 (soit près de 30 % des crédits), demeurait à 150 milliards en août 2018 (25 % des crédits). En conséquence, la fragilisation du secteur bancaire entrave sa capacité à financer le secteur privé.
Des pistes de réformes
Pour résorber l’héritage de la crise, le FMI recommande plusieurs mesures. Ainsi, encourage-t-il le gouvernement tchadien à accélérer l’apurement des arriérés intérieurs enregistrés dans le « reste-à-payer » et à terminer l’audit de la dette intérieure.
« Cette mesure aura un impact positif sur le secteur bancaire, mais aussi sur le climat des affaires », précise Moez Ben Hassine, spécialiste des secteurs pétrolier, bancaire et de la gouvernance au FMI. « La relance de l’économie tant attendue dépend fortement du paiement de cette dette intérieure », renchérit Amir…
Le FMI exhorte le Tchad à faciliter la diversification et à perfectionner sa gouvernance budgétaire ; d’une part, en réduisant la dépendance aux recettes pétrolières et, d’autre part, en priorisant les dépenses publiques favorisant la croissance.
… Adoudou Artine, président de la Chambre de commerce, d’industrie, d’agriculture, des mines et d’artisanat du Tchad. Pour le secteur bancaire, le gouvernement tchadien est appelé à réduire progressivement la dette publique détenue par les banques domestiques, à renforcer la solidité des banques publiques et à adopter un plan pour réduire les créances douteuses.
De plus, le FMI exhorte le Tchad à améliorer le climat des affaires pour faciliter la diversification et à perfectionner sa gouvernance budgétaire ; d’une part, en réduisant la dépendance aux recettes pétrolières et, d’autre part, en priorisant les dépenses publiques favorisant la croissance.
Enfin, le Tchad doit développer l’inclusion financière, en facilitant le mobile banking et promouvant la microfinance, tout en renforçant la transparence du secteur bancaire et en mettant en place un bureau de crédit.
ENCADRE
Comment éponger la dette intérieure
Sur les six points retenus par le FMI, quatre sont relatifs à la dette ; voilà qui montre l’importance de cette question dans la relance de l’économie. Le gouvernement a lancé, en 2018, un audit de la dette intérieure.
Prévu pour finir en octobre dernier, cet audit traîne encore « pour des raisons indépendantes de notre volonté », affirme le ministre des Finances et du budget, Allali Mahamat Abakar. « Une équipe est en train d’éplucher et d’analyser le second rapport, aussi nous espérons que très rapidement, leurs conclusions seront déposées et nous finaliserons notre stratégie de désengagement », ajoute-t-il, promettant que cette stratégie sera mise en oeuvre « avant l’hivernage ».
Le ministre des Finances a reconnu un fort endettement de l’État tchadien auprès du système bancaire, un surendettement qui provoque un effet d’éviction, enlevant aux banques leur possibilité de financer le secteur privé. En plus des banques, l’État tchadien est également endetté auprès des opérateurs économiques.
Allali Mahamat Abakar appelle à une « contribution franche » du FMI et des autres partenaires pour une transformation de la dette intérieure vers une dette extérieure pour permettre à son pays de se désengager soit totalement, soit partiellement, auprès du système bancaire et lui permettre de recouvrer sa capacité de financement.
Quoi qu’il en soit, le ministre rassure que, sur la base de cet audit, l’ensemble de l’endettement vis-à-vis du secteur privé sera restructuré. Une partie de la dette va être renégociée, sa durée étendue, son taux réaménagé.
Une autre partie sera transformée en titres, susceptibles d’être négociés sur les marchés financiers. Il restera alors une autre partie, pas très grande, qui sera directement payée par le Trésor public. « Ceux qui auront des titres, pourront venir se présenter aux banques qui les rachèteront. Nous espérons que par ce biais-là, l’économie pourra alors répartir », indique le ministre des Finances.
Qui informe qu’une commission nationale de recouvrement des créances a été instaurée. L’Association des professionnels des établissements de crédits (APEC) a marqué son accord à la création de cette commission au sein de laquelle sont représentées l’ensemble des banques de la place. Dans sa ligne de mire : les créances douteuses des banques qui se chiffrent à plus de 200 milliards de F.CFA (305 millions d’euros).