Note de lecture : La Verticale de l’avenir
L’avenir de l’Europe se jouera au Sud. Pour Jean-Louis Guigou et Pierre Beckouche, la mondialisation de demain passe par la régionalisation des économies.
Par Guillaume Weill-Raynal
Voici un livre stimulant pour l’esprit tant les paradoxes qu’il soulève contribuent, en bousculant nombre d’idées reçues, à jeter un éclairage nouveau sur les problématiques du monde d’aujourd’hui… et de demain.
La Verticale de l’avenir, Repenser l’axe Nord-Sud
À la vitesse des mutations et des transformations qui conduisent les sociétés humaines à une complexité inédite, Jean-Louis Guigou – agrégé et docteur en Sciences économiques, et président de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (IPEMed) – et Pierre Beckouche – universitaire, spécialiste de géographie économique et consultant auprès de l’OCDE – proposent une réponse et une réflexion s’appuyant sur le temps long, à l’opposé d’un « court-termisme inspiré par l’égoïsme et le repli sur soi », qui ambitionne de rapprocher les deux rives de la Méditerranée au sens large – l’Europe et l’Afrique – par l’économie.
Une « Verticale » qui prend le contre-pied de dogmes aujourd’hui trop facilement validés mais que les deux auteurs regardent comme dépassés. Il n’y a, disent-ils, « pas plus de fin de la géographie que de fin de l’histoire » et le monde devra se penser demain en termes de « quartiers d’orange » orientés selon un axe Nord-Sud, au rebours d’une mondialisation de chaînes de valeur toujours figée sur un axe presque exclusivement Est-Ouest.
Une révolution qui témoignerait d’un singulier paradoxe : l’économie mondialisée recrée de la proximité ! En effet, « les chaînes de valeur deviennent plus compactes, ce qui explique que les délocalisations cèdent le pas à des relocalisations dans les pays qui avaient délocalisé naguère. Contrairement à ce que pourrait laisser penser l’idée de globalisation où tout serait possible à grande distance, le face-à-face n’a jamais été aussi important ».
Un marché gigantesque
Les deux premiers quartiers d’orange – l’Asie orientale et les Amériques, sur lesquels nous pourrions prendre modèle, disposent déjà d’outils – une banque régionale de développement, un traité de coproduction et de sécurisation des investissements, une structure d’étude de l’intégration régionale – dont la zone Europe-Méditerranée-Afrique est actuellement démunie mais dont elle pourrait s’inspirer pour construire son propre modèle. Aujourd’hui, en Amérique et en Asie, les investissements du Nord vers le Sud, essentiellement assurés par de grands groupes privés, approchent ou dépassent les 20%.
Ils ne sont que de 3 % entre l’Europe et ses voisins du Sud alors même que l’Afrique constitue un fabuleux potentiel de relais de croissance pour le vieux continent menacé par une stagnation économique et démographique.
L’ensemble de cette zone représentera « un marché gigantesque » puisqu’elle comptera 3 milliards d’habitants en 2050 – « 2 milliards en Afrique subsaharienne où les classes moyennes explosent, 500 millions dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée, 500 millions en Europe » –, et devra valoriser l’abondance des réserves énergétiques « au Maghreb mais aussi en Méditerranée orientale depuis les récentes découvertes d’hydrocarbures au large de l’Égypte, de Chypre et d’Israël, et dans tout le bassin méditerranéen demain grâce au solaire, pour nourrir l’ambition d’une grande filière énergétique ».
Une association entre l’Afrique, la Méditerranée et l’Europe aurait aussi pour mérite « de tordre le cou à la dérive fascisante de l’Islam radical ». L’ancrage à l’Europe permettrait ainsi à bon nombre de pays du sud de la Méditerranée de « s’éloigner du modèle promu par les Salafistes saoudiens».
Cette verticale positionnée sur la Méditerranée serait ainsi construite sur «une composante réelle, une composante imaginaire, et une composante symbolique», un New Deal organisé autour de valeurs communes permettant à chaque pays d’échapper au devenir de «confettis ballottés dans la mondialisation», afin de permettre l’émergence, demain, d’un monde multipolaire, qui ne serait pas seulement dominé par le G2.