Jimmy Robert : Appui, tendu, renversé

L’artiste Jimmy Robert a l’excellente particularité de mettre l’identité et la représentation du corps noir au cœur de son univers artistique.
Par Serges David, envoyé spécial à Sète
Depuis au moins 21 ans, Jimmy Robert aborde la question du corps noir à l’image un territoire au croisement de l’intime et du politique. Il repousse les frontières dans les mécanismes contradictoires de désir et de peur qui sont en mouvement dans le regard sur l’autre, tout en les triturant. Lui-même, nous en parle…
Qui est Jimmy Robert ?
Je suis un artiste. Et je suis né en 1975 en Guadeloupe. J’ai vécu principalement en France, en Angleterre, en Hollande, en Belgique et plus récemment à Berlin. Je suis professeur d’art aussi.
Sur le plan artistique, ce qui m’intéresse ce sont les photos, les films expérimentaux, la performance et aussi tout ce qui se passe entre une image, un objet et la performance. Ces différents modes de traductions, comment on passe d’un texte à une image, d’une image à un objet, d’un objet à une performance sont des domaines que j’explore.
Vous venez de l’évoquer plus globalement, mais de manière intime en quoi consiste le déroulé de votre travail ?
Il consiste à des installations d’images dans l’espace – les images ne sont généralement pas encadrées – donc il faut les encadrer afin d’avoir une relation plus intime avec elles et un contact plus proche.
Les images ont tendance à tomber du mur, à occuper l’espace, elles sont pliées et deviennent dimensionnelles. Il y a aussi des textes qui sont directement sur les murs, qui invitent à faire des performances. Voici donc mon univers. Dans cette cosmogonie, des films aussi sont projetés dans lesquels le corps est très présent. Cette idée du corps revient beaucoup dans certaines de mes œuvres.
Faisons-nous une bonne lecture si nous disons que vous êtes aujourd’hui avec votre nouvelle exposition dans un reploiement de vous-même qui vous différencie de vos œuvres antérieures.
La différence fondamentale de cette exposition avec les autres œuvres, c’est qu’elle représente 20 ans de travail. Elle a une valeur rétrospective de ce qui a été fait jusque-là.
Votre travail fait énormément appel à l’image et aux sonorités. Ces outils sont-ils un moyen efficace pour faire comprendre notre monde ?
Nous vivons dans une société de l’image. Les gens travaillent, par exemple, avec Instagram. Pour moi, l’importance de l’image est très forte dans nos différents quotidiens.
L’image a une force. Ce qui m’intéresse, c’est de déstabiliser cette force, de la questionner avec ce point de vue qui est de se dire comment se transmettent ces images, est-ce légitime de leur donner la force qu’on affirme être la leur !
Justement on tombe sur un pan important de votre travail. Comment la compréhension des images permet-elle de faire une lecture de notre société avec ses violences et ses contradictions ?
Ce qui est certain, c’est que cette compréhension permet de se poser des questions notamment sur la force de l’image. Et c’est cela qui fait qu’on peut appréhender le monde dans lequel on vit. Ce qui m’intéresse de ce point de vue, c’est la vulnérabilité du corps dans l’image : Qui sommes-nous si nous sommes des signes vulnérables ? Pourquoi essayons-nous d’avoir des images aussi fortes de nous-mêmes ? Autant de questions qui poussent donc à la recherche permanente.
Votre travail interroge-t-il aussi les questions liées au racisme et au nationalisme ?
Oui, bien sûr. Il y a des pièces qui font référence à l’absence des corps noirs dans l’art contemporain en Belgique, et dans la grande histoire. En fait, ne pas être représenté, c’est aussi une part de violence ! J’ai des pièces qui tentent de représenter le corps noir pour dire +Oui, je suis là, j’existe aussi+. Le seul fait de devoir dire cela est une violence en soi.
Il y a une performance « Imitation of lives » que j’avais faite à New York. Elle posait la question de la représentation du corps noir dans l’espace urbain. Cette œuvre jouait aussi sur la question de « Black lives matter » BLM (…). c’était d’ailleurs au même moment que la problématique BLM est arrivée en Europe (ce n’était pas aussi prégnant qu’aujourd’hui), mais, au moins, elle permettait de se poser des questions légitimes.
Quel est le rapport de votre travail à la Guadeloupe et plus globalement à l’Afrique ?
C’est vrai qu’on ne me l’a pas beaucoup posé cette question. J’ai fait récemment une exposition en Ecosse qui parlait du commerce triangulaire, en particulier le tabac, et comment l’Ecosse s’était enrichie avec le commerce triangulaire. On retrouve l’idée de la circulation des formes. Par exemple, le madras qui vient de l’Inde : Comment il est passé par tous ces pays pour atterrir en Guadeloupe ?

Mon intérêt n’était point porté sur les accusations, mais sur comment circulaient les choses d’un endroit à un autre. J’aurai bien aimé faire cette exposition en Guadeloupe, ce n’est pas le cas actuellement. Ça viendra…J’ai déjà exposé à la Biennal de Dakar. Maintenant quant à savoir, pourquoi si peu d’expositions en ces endroits ? Je ne dois pas être le seul à répondre à cette question. Il faut aussi poser la question au niveau des institutions dans les Caraïbes et en Afrique. Personnellement, j’aimerais exposer dans ces deux endroits.
A travers vos œuvres artistiques, peut-on imaginer que vous soyez une courroie de transmission de la culture noire vers le monde occidental et vice-versa ?
Pourquoi pas ? Au préalable, j’aimerais savoir ce que les gens pensent de mon travail, comment ils l’appréhendent et c’est après cela qu’on saura s’il peut être ce trait d’union. Il ne me revient pas de me positionner ex-nihilo dans cet élan.
C’est une mission, et puisque j’aime établir le dialogue, établir la communication, si je peux le faire, je le ferai.
Vingt ans après vos débuts, avez-vous le sentiment d’être audible, en tout cas sur les questions que vous soulevez ?
Je ne sais pas s’il me revient de dire que je suis audible ou pas. Le fait qu’on ait un entretien vous et moi peut prouver que je suis écouté, et même entendu. Et aussi le fait que mon exposition ait lieu ici à Sète peut porter un témoignage.
Vingt-ans après que devons-nous retenir de vous univers artistique et à quoi devrions-nous nous attendre ?
Il y a beaucoup de questions qu’on se pose sur l’art contemporain notamment sa pratique aujourd’hui. Et ce à quoi nous devons aspirer, c’est (peut-être) continuer à se poser des questions. Il y a beaucoup de plaisir à avoir à faire des choses, il ne faut donc surtout pas s’arrêter. Car, je tire mon inspiration partout, dans les pires comme dans les meilleurs moments et endroits.
Tout autre registre, la mort de George Floyd aux USA, vous a-t-elle inspirée ?
Il est des évènements qui forcément n’ont pas une inspiration en tant que tel, mais ont une vraie influence sur la façon dont vous pensez ou vous réagissez !
Cette influence peut ne pas s’exprimer au moment des faits, mais c’est quelque chose qui reste en vous et qui va se déployer et qui va lentement se développer en quelque chose d’autre !
Oui ce tragique événement m’a inspiré dans le sens où ça m’a mis en colère (je ne sais pas si c’est une forme d’inspiration), mais ça fait réfléchir, ça pousse des pensées qui étaient déjà là qui vont encore se développer d’une certaine manière ou d’une autre, ou encore des travaux artistiques qui restent à faire.
C’est quelque chose qui germine, qui prend un peu de temps avant de devenir (peut-être) une autre pièce, une œuvre d’art.
Certains artistes ont la possibilité de voir les choses un peu avant qu’elles n’arrivent, et ces questions étaient déjà dans la tête quelque part et donc elles ne font que continuer à évoluer avec des événements pareils.
@SD
POUR EN SAVOIR DAVANTAGE

Appui, tendu, renversé de Jimmy Robert du 09 octobre 2021 au 6 février 2022 au Centre régional d’art contemporain (CRAC) de Sète. Ouvert tous les jours de 12h30 à 19h00 sauf mardi.