« Je veux apporter de la beauté aux plus démunis »

Francis Kéré a reçu le prestigieux prix Pritzker, la plus haute distinction de l’architecture ; le Burkinabé est le premier Africain à être ainsi distingué. Ce prix récompense un homme, ainsi qu’une une vision pour le continent et l’utilisation durable de ses richesses.
Par Paule Fax
Le prix Pritzker échoit en 2022 à Francis Kéré, un architecte burkinabé de réputation internationale, grâce à ses réalisations et à son engagement pour l’Afrique. « Grâce à son engagement pour la justice sociale et à l’utilisation intelligente de matériaux locaux pour s’adapter et répondre au climat naturel, Francis Kéré travaille dans des pays marginalisés, où les contraintes et les difficultés sont nombreuses et où l’architecture et les infrastructures sont absentes », expliquent les organisateurs, la Fondation Hyatt.
Parmi les réalisations phares, figure l’école primaire de Gando, le village du Burkina Faso où est né l’architecte, en 1965. L’histoire raconte que dès ses sept ans, l’âge où son père l’envoie à l’école, à 20 kilomètres de chez lui, Francis Kéré est indigné par les conditions imposées aux enfants et à leurs enseignants. Le jury du prix Pritzker y voit « les bases de son idéologie : bâtir une source avec et pour une communauté afin de répondre à un besoin essentiel et de corriger les inégalités sociales ».
« Au Burkina Faso, beaucoup de gens utilisent de la terre, ce qui est dénigré en Occident, et par ricochet chez nous. » C’est pourquoi l’architecte n’« accepte pas qu’on dise qu’utiliser les matériaux naturels est synonyme de pauvreté ».
« Une bonne architecture au Burkina Faso, c’est une salle de classe où l’on peut s’asseoir, avoir une lumière filtrée qui pénètre comme on veut l’utiliser, sur le tableau noir ou sur un bureau », explique l’architecte.
« Cette décision était inattendue, je la prends comme un grand honneur et la reconnaissance de ce que j’ai toujours considéré comme quelque chose de personnel, c’est-à-dire utiliser mes connaissances au service des gens de chez moi », a réagi le lauréat. « Ce prix m’encourage beaucoup à poursuivre mes recherches, à travailler dans le même sens. »
Moderniser la terre
Évoquant les origines de sa démarche, il confirme s’être « toujours révolté en voyant des enfants assis dans des salles de classe où il fait très chaud et où il n’y a pas de lumière ! » Selon l’architecte, il faut donc utiliser ce qui est déjà abondant, dans les pays africains, pour concevoir des salles de classe qui procurent un confort aux enseignants et aux élèves, et qui inspirent. « Je veux aussi apporter de la beauté aux plus démunis. C’est en procédant ainsi que j’ai utilisé les techniques pour créer les surfaces, construire un toit, protéger l’ensemble des intempéries, etc. » C’est pourquoi l’architecte considère qu’il n’a fait que « moderniser la terre », en y ajoutant des agrégats un peu de ciment, par exemple, en composant des blocs comprimés. Il utilise les matériaux comme la latérite, abondante au Burkina Faso. « Je la coupe pour créer des façades qui donnent un sentiment de modernité. J’utilise aussi du bois local, par exemple du bois de cactus, qui créent des parois permettant des espaces ombragés ».
Le lycée Schorge, Burkina Faso (Iwan Baan, KereArchitecture)
L’école qu’il a construite est conçue pour résister à la chaleur et à des ressources limitées. Son succès a permis son extension, la construction de logements pour les enseignants et d’une bibliothèque. Avec toujours la même ligne directrice, des bâtiments sobres aux tons chauds, sable ou ocre, qui s’insèrent dans le paysage et où la lumière est cruciale.
Parmi d’autres réalisations, figure la rénovation du parc National du Mali à Bamako, ou plus récemment un campus pour un incubateur de start-up au Kenya.
« Il n’est pas toujours facile de convaincre », confie-t-il au micro de France 24. « Au Burkina Faso, beaucoup de gens utilisent de la terre, ce qui est dénigré en Occident, et par ricochet chez nous. » C’est pourquoi l’architecte n’« accepte pas qu’on dise qu’utiliser les matériaux naturels est synonyme de pauvreté ». Il doit prouver sans cette que ce que possèdent les pays africains peut leur servir de base de développement. « Et aujourd’hui, je suis en position de construire des pavillons de luxe aux États-Unis, en Angleterre, un peu partout ! »
Francis Kéré partage désormais sa vie entre l’Afrique et Berlin, après avoir acquis la nationalité allemande. Avant ce prix, l’architecte était déjà connu pour son implication dans des projets à destination du grand public, et nombre de ses ouvrages sont situés sur le continent, notamment au Bénin, au Burkina Faso, au Mali, au Togo, au Kenya, au Mozambique. En 2004, il avait déjà reçu le prix Aga Khan d’architecture.
Le village opéra de Laongo, au Burkina Faso (AFP)
@PauleFax