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Analyse et Opinion

Une monnaie des BRICS est-elle envisageable ?

Une monnaie des BRICS est-elle envisageable ?
  • Publiéoctobre 18, 2023

La demande d’une alternative au dollar en tant que principale monnaie mondiale gagne du terrain. La réponse peut-elle être une monnaie des BRICS ? De nouveaux éléments de réflexion.

 

Compte tenu de la domination du dollar dans le monde et de son pouvoir de contrôle effectif sur le commerce international, il est compréhensible que les attentes concernant le lancement d’une monnaie alternative, exprimées lors du 15e sommet des BRICS aient été accueillies avec enthousiasme.

Toutefois, cette euphorie s’est vite dissipée au cours du sommet, tenu en août à Johannesbourg, en raison de l’absence – compréhensive – du président russe Vladimir Poutine et de l’absence – plus mystérieuse – du président chinois Xi Jinping, lors de la session clé des dirigeants.

Surtout, l’expression « monnaie alternative des BRICS » n’a jamais figuré dans les différents discours de l’hôte, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, y compris dans son résumé final des résultats de la déclaration Johannesburg II, ou dans la déclaration commune des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales du bloc.

L’émergence d’une monnaie alternative au dollar est à la fois inévitable et logique étant donné le déplacement des capitaux des marchés traditionnels des États-Unis, de l’Europe et du Japon vers le Moyen-Orient, la Chine et la Russie.

Au lieu de cela, la surprise a consisté en l’annonce de l’élargissement de l’organisation à six nouveaux membres ; l’Égypte, l’Éthiopie, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Argentine et l’Iran – à compter de 2024. Ce faisant, l’élargissement à un ensemble hétéroclite de onze membres complique davantage l’adoption d’une éventuelle monnaie unique des BRICS.

Les dichotomies sont évidentes. La Russie et l’Iran ont effectivement été exclus des systèmes financiers et de paiement mondiaux. La Chine fait l’objet de sanctions sélectives. L’Égypte, l’Éthiopie, l’Afrique du Sud, l’Argentine et le Brésil connaissent des difficultés économiques et financières persistantes. Il ne reste plus que l’Inde, dont l’ambition de leadership mondial est motivée par le fait qu’elle a récemment dépassé le Royaume-Uni en tant que cinquième économie mondiale et par le succès de sa mission lunaire, Chandrayaan.

L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, riches en liquidités, dépendent fortement des revenus du pétrole et du gaz, et leurs monnaies sont en fait liées en permanence au dollar, qui reste de loin la monnaie internationale la plus importante pour le commerce des matières premières et les contrats à terme.

 

Un ancrage au G20

Toute perturbation des échanges due à l’introduction d’une nouvelle monnaie pourrait entraîner d’énormes coûts d’opportunité pour les pays qui choisissent d’y adhérer, car la transition pourrait prendre jusqu’à dix ans, notamment pour mettre en place l’infrastructure structurelle nécessaire.

Il s’agit notamment du rôle de prêteur en dernier ressort, des réserves obligatoires en termes de devises et d’or détenues par les banques centrales, du mécanisme de change et de la valeur de conversion des réserves actuelles dans la nouvelle monnaie, ainsi que des conditions relatives à la gestion de la politique monétaire, en particulier des différentes mesures d’inflation, de taux d’intérêt et d’autres paramètres.

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase s’est fait sentir à New Delhi en septembre, lors du sommet du G20. Le président américain Joe Biden, a persuadé le Premier ministre indien Narendra Modi et les présidents Ramaphosa et Lula da Silva du Brésil – trois membres clés des BRICS – de publier une déclaration commune pour « réaffirmer notre engagement commun envers le G20 en tant que principal forum de coopération économique internationale pour apporter des solutions à notre monde commun ».

Cyril Ramaphosa, président de l'Afrique du Sud.
Cyril Ramaphosa, président de l’Afrique du Sud.

Dans cet esprit, ajoute la déclaration, « avec le président de la Banque mondiale, nous saluons l’engagement du G20 à construire des banques multilatérales de développement meilleures, plus grandes et plus efficaces ».

L’un des principaux griefs des pays en développement est que les banques multilatérales de développement de Bretton Woods, créées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, en particulier le groupe de la Banque mondiale et du FMI, sont trop centrées sur l’Occident et défendent un programme économique et financier occidental au détriment des pays du Sud. Cette hégémonie financière perçue comme occidentale tient les pays en développement en otage des conditions des facilités de financement, des allocations de DTS (Droits de tirage spéciaux, l’unité monétaire du FMI) et du coût du financement, autant d’éléments qui contribuent souvent à la spirale du piège de la dette souveraine : les économies des pays emprunteurs ne peuvent générer suffisamment de revenus pour assurer le service de la dette, ce qui les contraint à emprunter encore davantage.

 

Des partenariats à confirmer

Une partie de la solution pour ce que le Sud considère comme une architecture financière plus juste consisterait à trouver une alternative au dollar en tant que principale monnaie de réserve mondiale, qui pourrait remplir la plupart des fonctions financières que le dollar remplit actuellement.

Toutefois, le sommet du G20 à Delhi a révélé des failles potentiellement graves qui pourraient compromettre l’établissement même d’une monnaie des BRICS. Narendra Modi a profité de l’absence de Xi Jinping et de Vladimir Poutine à New Delhi pour faire avancer son propre programme internationaliste de leadership mondial, en riposte au différend frontalier entre la Chine et l’Inde et aux revendications territoriales de Pékin en mer de Chine méridionale. Il est récompensé par une coopération plus étroite avec les États-Unis en matière de défense et d’économie.

Il y a également eu le lancement de deux corridors clés et inclusifs impliquant des pays à revenus faibles et moyens.

Il s’agit d’un nouveau corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe, « pour inaugurer une nouvelle ère de connectivité avec un chemin de fer, relié par des ports reliant l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie », mais en réalité pour contrer l’initiative chinoise de la Ceinture et de la Route ; et un engagement fort des États-Unis et de l’UE pour développer le corridor transafricain de Lobito par le biais d’une ligne ferroviaire nouvelle, reliant la RD Congo et la Zambie aux marchés commerciaux régionaux et mondiaux via le port de Lobito, en Angola.

Le financement des projets susmentionnés se fait sous l’égide du Partenariat pour l’infrastructure et l’investissement mondiaux (PGII), créé l’année dernière pour investir dans les infrastructures des pays à faible et moyen revenu.

Le président Biden a personnellement souligné l’engagement du cheikh Mohammed bin Zayed Al Nahyan des Émirats arabes unis en faveur du PGII. Abu Dhabi et l’Arabie saoudite, deux des membres invités des BRICS, devraient jouer un rôle important dans le Partenariat. Les ministres conjoints des finances et les gouverneurs des banques centrales des BRICS ont créé un groupe de travail sur les partenariats public-privé et l’infrastructure.

Les pays africains connaissent également une dichotomie entre crédibilité et engagement. Prenons l’exemple de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) : les pays membres dirigés par l’Afrique du Sud sont liés par son traité pour établir une monnaie unique.

 

Examen des options

L’échéance initiale de 2018 est dépassée depuis longtemps, et tout porte à croire que la date de mise en œuvre n’interviendra pas avant plusieurs années. Comment l’Afrique du Sud envisagerait-elle alors l’adhésion à une monnaie proposée par les BRICS ? Serait-elle prioritaire par rapport à une monnaie unique de la SADC ?

Quelles sont donc les options pour l’évolution d’une monnaie alternative des BRICS ? Seul le renminbi chinois (RMB) a la capacité potentielle, la portée et le soutien financier nécessaires pour rivaliser avec le billet vert en tant que monnaie internationale. Cela pourrait prendre plus d’une décennie avant de se concrétiser et soulèverait les mêmes questions concernant la domination, l’hégémonie, le prêteur en dernier ressort et les fluctuations des taux de change que celles qui se posent pour le dollar.

Quoi qu’il en soit, les dernières données de SWIFT montrent que le RMB a encore un long chemin à parcourir pour égaler la domination du dollar en tant que monnaie active pour les paiements globaux en valeur dans le monde.

Une autre solution pourrait être un panier de monnaies fortes, à l’instar du DTS du FMI qui, bien qu’il ne s’agisse pas d’une monnaie mais d’un actif de réserve international, est soutenu par le dollar, l’euro, le RMB, le yen et la livre sterling. Le seul problème est que le RMB est la seule monnaie « forte » de la cohorte des BRICS.

Une autre option est l’émergence d’une monnaie des BRICS adossée à l’or, par l’intermédiaire du Shanghai Gold Exchange – ce qui s’apparente à un retour à l’étalon-or –, au lieu de réserves de change détenues en dollars, comme c’est le cas actuellement.

Au deuxième trimestre 2023, les réserves d’or totales détenues par les cinq nations des BRICS s’élevaient à 5 495,59 tonnes. La Russie détenait 2 329,63 tonnes, suivie par 2 113,46 tonnes pour la Chine, 797,44 tonnes pour l’Inde, 125,41 tonnes pour l’Afrique du Sud et 129,65 tonnes pour le Brésil. En revanche, les réserves d’or agrégées du G7 s’élevaient à un total stupéfiant de 17 220,8 tonnes, avec en tête les États-Unis (8 133,46 tonnes), soit bien plus que l’ensemble des réserves des BRICS.

Cela dit, l’émergence d’une monnaie forte internationale alternative au dollar est à la fois inévitable et logique étant donné le déplacement des capitaux mondiaux des marchés traditionnels des États-Unis, de l’Europe et du Japon vers le Moyen-Orient riche en pétrole, la Chine et, dans une moindre mesure, la Russie. La seule question est de savoir quand et sous quelle forme. Nous vivons dans un monde où ce qui était irréalisable hier fait partie des meubles aujourd’hui ; tout est donc possible.

@ABanker

 

 

 

Écrit par
Mushtak Parker

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