Si Ebola m’était conté
Le douloureux épisode d’Ebola montre l’incapacité des pays africains, y compris les plus riches, à se doter d’un système de santé efficace et à s’organiser pour prévenir et combattre l’épidémie.
Insensiblement, Ebola devient un problème occidental. Le système onusien aussi lourd à manoeuvrer qu’un tanker, intervient avec retard. Les États-Unis, parrains historiques du Liberia, mobilisent hommes et capitaux. À partir de quelques cas isolés, l’Union européenne peaufine ses protocoles de lutte contre Ebola. Sans compter la marche forcée scientifique vers un traitement internationalement validé.
À côté de ce bouillonnement international, les pouvoirs publics africains sont transparents. Ils font profil bas. Ils veulent taire la question Ebola. Passer l’épidémie en pertes et profits. Quand la presse ramène tout de même Ebola sur la table, la réponse des politiques africains est toujours sous le mode « cela se passe chez le voisin pas chez moi ».
Ainsi, « Il n’y a pas d’Ebola au Sénégal », clament en choeur les politiques sénégalais. Au Nigeria aussi, il n’y aurait plus un seul cas d’Ebola. Propos imprudemment entériné par un communiqué de l’OMS Afrique. Tout cela est trop beau pour être vrai. Qui donc aurait la naïveté de croire un gouvernement nigérian incapable de localiser et de libérer environ deux cents jeunes filles retenues prisonnières depuis plus de six mois ?
Avec Ebola, les Africains, qui se gargarisent de solidarité, découvrent brutalement les vertus de l’individualisme. Pour masquer leur déficit de solidarité et leur inertie depuis le déclenchement de la catastrophe sanitaire. Ebola agit en fait comme un réactif chimique : il révèle à la face du monde l’incapacité des Africains à construire une réponse coordonnée à l’échelle de plusieurs pays. Dans quelque domaine que ce soit. Dans quelque contexte que ce soit. Dans l’urgence ou dans la sérénité.
La lutte contre Ebola a en effet une dimension policière : il faut souvent retracer les itinéraires des uns et des autres, sur une période minimale de trois semaines.
Face à une maladie hautement contagieuse, la réaction aurait dû être quasi militaire. C’est-à-dire organisée en fonction d’une stratégie, mise en oeuvre par une chaîne de commandement clairement identifiée, et déployée sur le terrain avec rapidité sinon effet de surprise. En l’occurrence, la stratégie était dictée par l’impératif d’isolement des aires contaminées. Il fallait instantanément créer une force de réaction rapide composée de militaires, de médecins et agents de santé, dont la tâche aurait été de contenir la maladie dans les zones où vivaient les premiers sujets infectés.
Dans un univers où les populations sont en mouvement perpétuel par-delà les frontières, cette force devait évidemment être multi-étatique. De plus, s’agissant d’une maladie dont le traitement s’affine à mesure que l’on traite les cas avérés, il était évident que les moyens des seuls pays touchés seraient insuffisants.
Devaient s’impliquer les 51 autres États africains. Pour une fois, l’Union africaine aurait pu démontrer son utilité institutionnelle, en remplaçant les sempiternelles résolutions et autres déclarations d’intentions par des actes. Une décision panafricaine de redéploiement à la lutte contre Ebola d’à peine 2 % des dépenses budgétaires de la cinquantaine d’États africains aurait pourtant suffi.
À défaut d’être maîtresse des événements, l’Afrique aurait essayé d’en limiter l’impact. Il y aurait eu « sur le front ouest-africain » assez d’hôpitaux de campagne, de médecins, d’agent de santé, de militaires, sinon d’enquêteurs de police. La lutte contre Ebola a en effet une dimension policière : il faut souvent retracer les itinéraires des uns et des autres, sur une période minimale de trois semaines. Ceci, pour être en mesure d’anticiper les circonvolutions géographiques de l’épidémie.