Réglementation de l’IA : l’Afrique doit faire entendre sa voix

Les revendications africaines devront figurer dans les futures règles de l’Intelligence artificielle, dont l’utilisation ne doit pas exacerber les inégalités numériques. Exprimons-les, à quelques mois du premier sommet sur la réglementation mondiale de l’IA.
Au cours des derniers mois, il est devenu impossible de consulter un site d’information sans y trouver des articles sur l’Intelligence artificielle (IA). Selon ces articles, cette technologie atteint un point de basculement et est sur le point de révolutionner et de changer à jamais la façon dont nous vivons.
Les Africains peuvent déjà voir l’IA dans de nombreux aspects du fonctionnement des entreprises et des ONG, qu’il s’agisse d’interagir avec des chatbots lors de la réservation de vols, d’aider aux prévisions d’expédition ou d’utiliser le ChatGPT dans nos études. Mais la prochaine génération de programmes d’IA devrait être existentiellement différente ; avec des impacts similaires à « avant et après l’Internet » ou même « avant et après l’utilisation du moteur à combustion interne ».
La crainte est que les nouvelles règles agissent dans l’intérêt de ceux qui ont un siège à la table métaphorique et de ceux qui crient le plus fort. Or, à l’heure actuelle, les entreprises africaines ne semblent pas en faire partie, et la société civile africaine, encore moins.
Je suis plutôt sceptique face à ce battage médiatique mais force est de constater le nombre considérable d’articles sur le retard de l’Afrique par rapport au reste du monde en ce qui concerne le développement de l’IA, et sur la crainte que la région soit laissée à la traîne.
Tel que celui-ci, publié par le Magazine de l’Afrique.
L’article affirmait qu’avec « des données de formation limitées correspondant aux réalités culturelles et économiques africaines, les résultats de ChatGPT pourraient être biaisés et renforcer l’hégémonie culturelle et idéologique de l’Occident ».
La crainte d’une domination européenne, américaine et asiatique dans le domaine de l’IA en général et des programmes tels que ChatGPT en particulier est fondée et réelle. Il suffit de considérer la répartition des entreprises d’IA.
En 2021, au milieu de la crise Covid-19, on estimait que le Royaume-Uni comptait 2 000 entreprises spécialisées dans l’IA. Ce chiffre aura rapidement augmenté depuis. Les États-Unis compteraient aujourd’hui plus de 13 000 start-up spécialisées dans l’IA, tandis que la Chine en compterait bien plus de 2 000. Les États-Unis et la Chine accueillent également les plus grandes et moyennes entreprises d’IA au monde.
Tout est dans la réglementation
Sur notre continent, un rapport de 2022 indique qu’il existe plus de 2 400 entreprises africaines d’IA, dont l’Égypte, l’Afrique du Sud, le Nigeria et le Kenya sont les principales plaques tournantes. La prédominance de ces centres n’est pas une coïncidence. Ces pays ont publié des stratégies nationales en matière d’IA ou de numérique et, dans certains cas, disposent même de centres nationaux d’IA et d’instituts de formation.
Cela mis à part, ce genre de comparaisons n’est pas inhabituel et, encore une fois, ce n’est pas une coïncidence. Malgré les efforts de nombreux gouvernements africains, en raison d’une combinaison de contraintes financières et de perceptions du risque, la région est à la traîne du reste du monde en ce qui concerne les volumes de Recherche & Développement et les investissements étrangers, ainsi que l’infrastructure numérique. Il n’est donc pas surprenant que l’utilisation et le développement de l’IA soient relativement limités, même s’ils connaissent une croissance rapide et sont très innovants là où ils existent.
Il demeure un aspect de l’IA en particulier laissé de côté dans beaucoup trop de discussions sur la question lorsqu’il s’agit de l’Afrique : la réglementation de cette technologie.
La manière dont la nouvelle génération de programmes d’IA est réglementée déterminera ce qu’elle signifie pour les entreprises et les ONG et, en fin de compte, pour le continent africain. Comme c’est souvent le cas pour les nouvelles technologies, ces réglementations sont décidées ailleurs dans le monde, sans grande considération pour le continent africain.
Dans les années 1990, on prédisait que l’Internet allait changer notre façon de vivre et de faire des affaires. Ces prédictions étaient justes, bien sûr, mais la façon dont il a changé nos vies a été fortement déterminée par les réglementations mises en place à l’époque.
En 1996, Bill Clinton, alors président des États-Unis, a signé la loi Communications Decency Act. Ce règlement comportait une petite section intitulée « Section 230 ». On peut dire que la section 230 est la clé de l’évolution de l’ensemble de l’internet depuis lors. Elle stipule ce qui suit : « Aucun fournisseur ou utilisateur d’un service informatique interactif ne doit être considéré comme l’éditeur ou le locuteur d’une information fournie par un autre fournisseur de contenu d’information ». En pratique, cela signifie que les plateformes internet bénéficient d’une protection juridique contre les poursuites judiciaires liées au contenu qu’elles hébergent.
Des effets dans le monde entier
Sans la section 230, les géants de l’Internet tels que Facebook, Twitter, Reddit et YouTube n’existeraient tout simplement pas. L’Union européenne a fait de même avec sa directive sur le commerce électronique en 2000. Des réglementations similaires ayant des implications pour d’autres modèles commerciaux existent en Chine, par exemple, et ont permis la croissance d’Alibaba, de Tencent et d’autres entreprises similaires.
Pensez maintenant à l’impact de ces plateformes sur les industries de l’édition, le commerce électronique ou les paiements électroniques dans le monde entier, ou même à la manière dont la démocratie fonctionne ou ne fonctionne pas sur notre continent. Il devient vite évident que, dans notre monde globalisé, les réglementations internationales peuvent avoir un impact sur des continents situés à des milliers de kilomètres.
Et une réglementation accrue en matière d’IA se profile à l’horizon.
En mai 2023, plus de 300 cadres, chercheurs et ingénieurs travaillant sur l’IA ont publié une déclaration appelant à une meilleure réglementation. Même Elon Musk a appelé à une meilleure réglementation ! La Grande-Bretagne prévoit d’organiser un sommet sur la réglementation de l’IA, dans l’espoir que Londres devienne le siège d’un organisme mondial de surveillance de cet outil.
L’Afrique s’empare de l’Intelligence artificielle
La question est évidemment de savoir dans l’intérêt de qui les nouvelles réglementations seront élaborées. Quels nouveaux modèles d’entreprise ces réglementations vont-elles libérer et permettre, et quels modèles vont-elles étouffer dans le monde entier ?
La crainte est bien sûr qu’elles agissent dans l’intérêt de ceux qui ont un siège à la table métaphorique et de ceux qui crient le plus fort. Or, à l’heure actuelle, les entreprises africaines ne semblent pas en faire partie, et la société civile africaine, encore moins.
Ces inquiétudes deviennent encore plus inquiétantes lorsque l’importante population de l’Afrique est citée comme la principale raison d’« investir en Afrique ». L’IA a besoin de personnes – d’informations, de points de données – pour s’épanouir.
C’est pourquoi les voix africaines, au moins celles des pôles d’IA de notre continent, devraient être représentées dans l’élaboration des nouvelles règles qui façonneront l’avenir de l’IA.
Quelles sont les meilleures règles pour l’Afrique ?
Nous devons nous demander quelles sont les règles et réglementations en matière d’IA qui nous conviennent le mieux. Quelles règles et réglementations reconnaissent et font progresser certaines caractéristiques uniques des marchés africains – telles que nos progrès en matière d’inclusion financière grâce à la technologie numérique, ou la nécessité de créer davantage d’emplois sur le continent ? Quelle propriété intellectuelle, y compris nos marques, nos droits d’auteur et nos modèles d’entreprise, devons-nous farouchement protéger ?
En effet, l’idée d’un nouvel organisme de surveillance international chargé de superviser cette nouvelle technologie pourrait être très utile.
Mais compte tenu du rôle futur de l’Afrique sur les marchés mondiaux, il y a de bonnes raisons pour que ce nouvel organisme soit basé au Caire, à Lagos, à Nairobi ou au Cap, plutôt qu’à Londres. En effet, si ce n’est pas le cas, il existe un risque réel que les inégalités numériques entre l’Afrique et le reste du monde soient exacerbées par l’IA, au lieu d’être réduites ou gérées.
Il est temps de réfléchir à ces questions – et de planifier à l’avance – avant que l’IA ne prenne réellement de l’ampleur sur le continent, car à ce moment-là, il sera trop tard pour faire marche arrière.
@NA