Quel impact de la déflation chinoise ?

Les exportateurs africains de matières premières fortement exposés à la Chine, comme le cuivre de RD Congo, seraient les plus touchés par un ralentissement chinois, tandis que les pays endettés pourraient y trouver leur compte.
Réagissant à l’annonce de la déflation de l’économie chinoise, Joe Biden vient de déclarer que cette situation représentait « une bombe à retardement » dans l’appareil économique et sécuritaire mondial. Soulignant la faiblesse des chiffres de croissance de Pékin, les taux de chômage élevés et le vieillissement de la main-d’œuvre, le président américain considère que « la Chine est en difficulté ».
Les chiffres publiés par le Bureau national des statistiques de Chine (BNS) montrent que l’indice des prix à la consommation a baissé de 0,3 % en juillet. Les prix à la production ont continué à baisser, après avoir chuté de 5,4 % en juin, soit la chute la plus rapide depuis plus de sept ans.
« La situation nous rappelle une fois de plus que les prix des matières premières sont volatils et qu’une économie qui dépend des exportations de matières premières n’est pas une bonne stratégie à long terme. »
Ces chiffres inquiétants s’inscrivent dans le contexte d’une reprise molle post-Covid qui fait craindre que la Chine n’entre dans une ère de baisse des prix, de stagnation des salaires et de faible demande de biens de consommation et de biens industriels.
Mais qu’est-ce que la déflation et l’instabilité économique dans le plus grand marché d’exportation de l’Afrique signifient pour le continent ? L’Afrique pourrait-elle aussi être « en difficulté » ?
Carl Mbao, associé gérant de Frontier Capital Partners à Lusaka, s’inquiète de l’impact que la déflation chinoise pourrait avoir sur la demande du pays en matières premières africaines, en particulier le cuivre. En 2021, la Zambie a vendu pour 1,64 milliard de dollars de cuivre à la Chine, ce produit représentant 70 % des exportations totales du pays. Selon l’expert, la Zambie est donc « extrêmement exposée » à la demande chinoise pour ses produits de base.
Certains voisins africains sont encore plus exposés. La RD envoie près de la moitié de ses exportations vers la Chine continentale. Plus de 90 % des exportations congolaises se composent de cinq produits seulement : le cuivre raffiné et les alliages sous forme brute, le cobalt, le cuivre non raffiné, les minerais ou concentrés de cuivre et le pétrole brut. Une demande plus faible de la part de la Chine et des prix déprimés sur les marchés mondiaux entraîneraient probablement une baisse significative de l’activité d’exportation et des revenus.
Pas que des mauvaises nouvelles
Les prix des produits de base ont déjà baissé sur les marchés mondiaux en réponse à la déflation annoncée par la Chine, même s’il faut au moins quelques mois pour que cette tendance se traduise par une demande réelle. Les yoyos actuels des marchés boursiers, ainsi que ceux du pétrole, traduisent l’incertitude actuelle.
Carl Mbao note que les implications potentielles, tant pour la Zambie que pour les autres exportateurs africains de matières premières, vont au-delà d’une simple (bien qu’inquiétante) baisse de revenus pour les exportateurs. « Le cuivre est notre plus grande source de devises étrangères. Du point de vue budgétaire, il est donc essentiel pour la Zambie », nous confie-t-il.
Dès lors, s’interroge-t-il, « la diminution des entrées de devises pourrait-elle avoir un impact sur notre capacité à assurer le service de la dette libellée en dollars ? » La Chine est le premier créancier bilatéral de la Zambie. Son point de vue sur son propre environnement macroéconomique influe probablement sur la manière dont elle envisage les conversations relatives à la restructuration de la dette.
« Un environnement de hausse des taux d’intérêt aux États-Unis a ses propres effets sur les marchés de capitaux, mais si l’on combine cela avec une croissance et une productivité plus faibles en Chine, tout cela pourrait encourager des positions moins « concessionnaires » sur des sujets tels que la dette », redoute Carm Mbao.
Cependant, tout n’est pas nécessairement mauvais pour l’Afrique. Max Walter, conseiller principal en politique industrielle au Tony Blair Institute for Global Change à Nairobi, estime qu’« il ne faut pas tirer trop de conclusions sur la base des chiffres de l’indice des prix à la consommation d’un mois ».
Certaines analyses suggèrent que la baisse des prix en Chine n’est que temporaire. « L’année dernière a été quelque peu faussée parce que l’économie mondiale et l’économie chinoise sont en train de sortir de la crise. Nous devrons attendre pour voir s’il y a des changements à plus long terme. »
Tout en reconnaissant les implications de la déflation chinoise sur les exportateurs africains de matières premières, l’économiste affirme qu’elles doivent être mises en balance avec les avantages potentiels. Max Walter souligne qu’un yuan chinois plus faible présente divers avantages. Alors que la grande majorité de la dette africaine est libellée en dollars, le service de la dette libellée en yuans devrait être plus facile à assurer.
Un déficit commercial à combler
« Bien sûr, si les prix des matières premières baissent et si la demande chinoise pour les produits africains diminue, il pourrait être plus difficile de rembourser les prêts existants, mais d’un autre côté, si la monnaie chinoise s’affaiblit, les dettes libellées en yuans seront moins chères à rembourser », nous explique-t-il.
De plus, « les prêts assortis d’un taux d’intérêt variable – les prêts commerciaux et privés de la Chine à l’Afrique – seront également affectés par la nouvelle baisse du taux de base de la Banque centrale, ce qui facilitera légèrement le remboursement des emprunts ».
La Banque populaire de Chine a pris des mesures énergiques pour réduire les taux d’intérêt afin d’encourager les dépenses et de stimuler l’activité économique.
De son côté, Edward Knight, chercheur en géopolitique à l’Institut Tony Blair de Londres, souligne également que l’exposition de l’Afrique à la Chine est variée. Si l’accent a été mis sur les prix des matières premières – et donc sur les exportateurs de matières premières tels que la Zambie et la RD Congo, l’Afrique dans son ensemble accuse un déficit commercial avec la Chine qui, en 2022, s’élevait à 47 milliards $.
« La plupart des pays africains n’ont pas d’excédent commercial avec la Chine – c’est en fait un nombre relativement restreint de nations riches en ressources qui seront affectées négativement », analyse Edward Knight. Selon qui la déflation en Chine et l’affaiblissement du yuan se traduiront par des importations moins chères, ce qui est particulièrement positif pour les pays souffrant d’inflation.
Cette période d’instabilité économique survient à un moment où les grandes puissances mondiales rivalisent de plus en plus pour exercer une plus grande influence économique et diplomatique en Afrique.
La faiblesse économique de la Chine pourrait-elle compromettre les tentatives de Pékin d’exercer une plus grande influence sur les pays africains ? Edward Knight estime que « nous assistons à une évolution des relations entre la Chine et l’Afrique, qui deviennent plus politiques et moins purement économiques ; les conditions économiques actuelles pourraient potentiellement accélérer cette évolution ».
Un aiguillon à la diversification
Les investissements chinois en Afrique ont atteint leur apogée en 2016, l’évolution des priorités nationales et une série de prêts non remboursés ayant encouragé Pékin à reconsidérer ses relations « purement économiques » avec le continent. La Chine a prêté aux gouvernements africains un total de 28,4 milliards $ en 2016, mais ce chiffre est tombé à seulement 1,9 milliard $ en 2020. La faible croissance en Chine devrait inciter Pékin à consacrer encore moins de ressources à l’Afrique, les décideurs politiques se concentrant sur la stimulation de l’activité économique à l’intérieur de ses propres frontières.
Du point de vue de l’Afrique également, la perception de la faiblesse économique de Pékin pourrait soulever d’autres questions sur le degré d’exposition du continent à la Chine. Edward Howell, maître de conférences en politique chinoise à l’université d’Oxford, estime que la situation économique actuelle pourrait amener de nombreux pays africains à reconsidérer la viabilité de la Chine en tant que partenaire politique et économique, mais que les doutes concernant les activités de Pékin en Afrique augmentent depuis un certain temps.
« La Chine a signé des protocoles d’accord avec plusieurs pays africains, dont 52 ont conclu des accords dans le cadre de la BRI, mais nombre de ces pays, dont l’Angola est un excellent exemple, ont souffert de la « diplomatie du piège de la dette » et n’ont pas remboursé les prêts accordés à la Chine », explique Edward Howell.
Qui ajoute que le ralentissement de l’économie chinoise affectera certainement la décision de ces pays de s’appuyer financièrement sur la Chine, « mais les échecs de la BRI et les questions sur la Chine en tant que partenaire économique ont été perçus bien avant que les problèmes économiques intérieurs de la Chine ne commencent ».
S’il est peu probable que les prix des matières premières restent bas indéfiniment – le cuivre, en particulier, est considéré comme essentiel à la transition écologique du monde –, nos spécialistes interrogés estiment que cette période de volatilité pourrait encourager certains pays à réfléchir à la manière de diversifier leurs économies et de se prémunir contre de tels risques à l’avenir.
« Cela nous rappelle une fois de plus que les prix des matières premières sont volatils et qu’une économie qui dépend des exportations de matières premières n’est pas une bonne stratégie à long terme », explique Max Walter. Les dirigeants africains sont de plus en plus désireux et intéressés par une stratégie industrielle plus agressive, afin d’essayer d’éloigner leurs économies de la dépendance aux matières premières et de les orienter vers une production à plus forte valeur ajoutée.
« En fin de compte, c’est la seule façon pour ces économies de devenir plus résilientes à long terme. »
@AB