Opinion : Mugabe le bilan
Le vieux lion du Zimbabwe a quitté le pouvoir le 21 novembre 2017, après 37 ans de règne. Son pays, essentiellement tourné vers lui-même, a économiquement plutôt bien traversé cette période.
Par Christian d’Alayer
Le diable est parti ! Honni par l’Occident, Robert Mugabe a été littéralement déposé par les siens, à l’âge de 93 ans. Il est vrai qu’à cet âge, il n’était pas directement visé, mais plutôt sa succession. Et finalement, c’est son ancien vice-Président, Emmerson Mnangagwa, qui lui succède manu militari mais avec les honneurs.
Du coup, les éditoriaux « mesurés » se succèdent : le Libérateur s’est mué en dictateur, il ne faut quand même pas désespérer les trois-quarts des Subsahariens qui voient plus en lui un héros qu’un salaud. Mais même parmi ses partisans francophones, l’ère dictatoriale passe mal : ils n’en connaissent absolument pas les tenants, se contentant des innombrables dénonciations de ses dénis de démocratie et de leurs conséquences économiques.
Commençons donc par ces dernières : durant les 37 années du règne de Mugabe, on peut voir très nettement l’influence de la politique extérieure sur cette évolution. Au cours des dix premières années, la croissance est soutenue après les baisses normales dues aux passations de pouvoir entre Blancs et Noirs, des investisseurs blancs quittant le pays.
Et ce, malgré la guerre civile qui sévit de 1983 à 1986 entre les Shonas et les Ndébélés, les deux principales ethnies du pays. Puis une première récession se produit entre 1991 et 1995. Une deuxième et plus longue récession arrive ensuite entre 1997 et 2009, suivie d’une vigoureuse reprise jusqu’en 2014.
Le pays rembourse ses dettes
Voyez à présent les financements extérieurs, aide publique au développement comme investissements directs étrangers (graphique 2) : la courbe est plus simple avec une atonie générale (correspondant à ce qui se passe dans toute l’Afrique subsaharienne) à l’exception des années 1995 à 2002 et 2010-2013.
La première exception correspond exactement à la période au cours de laquelle le Zimbabwe aide militairement (et victorieusement) le Congo- Kinshasa à résister aux assauts des forces ougando-tutsis. Comme il s’agit d’un conflit international avec les Anglo-Saxons d’un côté et les Français de l’autre, on imagine aisément d’où sont venus – ou pas – les financements. Quant au deuxième pic, il indique que le pays est devenu « bankable » comme disent les anglophones, l’incertitude sur la succession de Mugabe expliquant la baisse de ces trois dernières années. D’ailleurs, c’est au cours de ces trois dernières années que le pays a fini de rembourser ses dettes auprès des organismes internationaux.
La troisième courbe est toute aussi intéressante mais en sens contraire : le Zimbabwe, en déficit chaotique jusqu’en 2000, a accru sensiblement ce déficit entre 2012 et 2017. La principale étant le remplacement, par les fermiers noirs des cultures d’exportation des fermiers blancs par des cultures vivrières destinées aux marchés locaux.
Un autre élément la sortie de capitaux du pays à l’aube d’un changement de dirigeants ainsi que le remboursement de la dette du pays, achevé l’an dernier. Cette faiblesse de la balance des paiements a joué contre le dollar zimbabwéen, remplacé dans les transactions par le rand et le dollar américain.
Ici, on pourrait dire que la période Mugabe n’a pas été aussi difficile que cela pour son pays. Mais si on regarde que qui s’est passée autour du Zimbabwe au cours des 37 dernières années, alors le tableau est plus dur : vous constatez dans le premier graphique que le PIB du Zimbabwe a pratiquement doublé entre 1980 et 2016.
Mais si on prend les chiffres de toute l’Afrique au cours de la même période, soit 2 237 milliards de dollars en 2016 contre 557 en 1980, et même de la seule région Afrique de l’Est, soit une progression de 56 milliards $ en 1980 à 371 milliards en 2016, on voit que le pays de Mugabe a été distancé très nettement : multiplication du PIB africain par 4 au niveau continental et par près de 7 au niveau sous-régional.
Pression britannique
Tout cela, c’est l’aboutissement. Voyons à présent les tenants qui les expliquent :
– Le premier élément, à l’origine de la diabolisation occidentale du président zimbabwéen, est le refus du Premier ministre britannique Tony Blair d’honorer les engagements signés par Margareth Thatcher envers le Zimbabwe. Après plusieurs péripéties et la déroute des forces de Ian Smith, la Grande Bretagne convie en 1979 les belligérants à négocier la paix près de Londres, à Lancaster House.
Dans l’accord supervisé par Lord Carrington et signée par la Dame de fer, l’Angleterre s’engage à financer le rachat des terres des fermiers blancs par les Noirs au terme de dix années de période intermédiaire.