L’exemple trop peu suivi de la Côte d’Ivoire

Les succès de la Côte d’Ivoire dans la transformation de la noix de cajou montrent les avantages potentiels d’une stratégie industrielle active. Pourtant, cet exemple n’est que trop peu suivi sur le continent. Une occasion ratée ?
L’Afrique laisse échapper des opportunités économiques qu’elle peut difficilement se permettre de perdre. À savoir les bénéfices, le développement économique et les emplois qu’elle pourrait ramener chez elle si l’Afrique avait la capacité de transformer ne serait-ce qu’un quart des produits alimentaires primaires qu’elle exporte sur les marchés mondiaux. Au lieu de cela, en exportant chaque année des millions de tonnes de produits agricoles de base de faible valeur, l’Afrique laisse échapper des opportunités génératrices de valeur à d’autres pays qui ont investi dans les moyens de traiter et de transformer les produits bruts.
Ces questions seront au centre des préoccupations du gouvernement et des investisseurs lorsqu’ils se rencontreront en septembre en Côte d’Ivoire, pour visiter le nouveau parc agro-industriel de Korhogo et le centre de formation professionnelle de Yamoussoukro.
La valeur qui pourrait être capturée si l’Afrique pouvait retirer davantage de ses propres produits est considérable : La CNUCED estime à plus de 1,8 milliard de dollars la valeur inexploitée des exportations de produits alimentaires manufacturés dans la zone de libre-échange continentale africaine. D’autres voient des opportunités plus près de chez eux, notant qu’avec les taux de croissance démographique les plus élevés au monde et une urbanisation rapide, la demande alimentaire pour des aliments transformés de plus grande valeur est en forte croissance, en Afrique même.
Si le domaine de la transformation alimentaire du continent n’est pas en mesure de répondre aux tendances et aux opportunités évidentes des marchés extérieurs et intérieurs, il renonce à ses propres possibilités de transformation agricole, de création d’emplois à plus forte valeur ajoutée en milieu de chaîne de valeur et d’augmentation de la disponibilité d’aliments sains pour ses citoyens à une époque où la malnutrition ne cesse de s’aggraver.
Prenons le marché la noix de cajou, qui connaît actuellement une demande mondiale en plein essor alors que les régimes alimentaires des pays riches deviennent moins dépendants des produits laitiers et des protéines animales. Le continent africain produit 60 % de la noix de cajou brute mondiale. De nombreux pays producteurs africains ont le potentiel nécessaire pour augmenter leur production : la Côte d’Ivoire a réussi à doubler ses volumes au cours de la dernière décennie.
Ce qui ne se passe pas
Pourtant, le continent ne saisit pas l’occasion de récolter le maximum de valeur, en transformant moins de 10 % de son propre produit et en exportant la grande majorité des noix de cajou brutes vers le Vietnam et l’Inde, les géants mondiaux de la transformation du cajou, qui transforment environ 90 % de la production mondiale de cette denrée. Et ce, malgré la proximité de l’Afrique de l’Ouest avec le marché européen, qui lui confère un avantage concurrentiel par rapport à l’Asie du Sud-Est en matière de coûts de transport. Il en va de même pour l’accès en franchise de droits au marché américain dont bénéficient de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, grâce à la loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (AGOA).
Si l’on constate une augmentation des investissements dans la transformation sur le continent africain, cette augmentation ne se fait pas à l’échelle requise. L’un des principaux défis auxquels sont confrontés les investisseurs est qu’en Afrique, la fabrication de produits alimentaires est dominée par des PME dont la productivité est relativement faible en raison des faibles niveaux d’automatisation et de mécanisation.
Pour se développer et se formaliser en opérations à haute productivité, les entreprises ont besoin d’aide pour développer leur capacité d’innovation, pour accéder au transfert de connaissances de l’étranger et à des sources de capital patient. La capacité de transformation moderne nécessite l’introduction de processus de numérisation pour améliorer la traçabilité des produits et la capacité de démontrer la conformité avec les normes internationales de qualité, de sécurité alimentaire et de travail. Tout cela doit être encouragé par une stratégie industrielle spécifique et un environnement politique favorable à l’investissement.
Dans la noix de cajou, le gouvernement de la Côte d’Ivoire a mis en œuvre une stratégie industrielle visant à renforcer les capacités de production nationales. Cette stratégie prévoit des investissements publics dans des centres de formation professionnelle afin d’améliorer les compétences tout au long de la chaîne de valeur. Elle comprend la création d’un organisme dédié à la régulation et au développement du secteur, et l’établissement de quatre parcs industriels financés par la Banque mondiale, dotés d’une capacité de transformation à grande échelle prête à être louée à des investisseurs et à des opérateurs.
Améliorer les incitations
La Côte d’Ivoire dispose d’un guichet unique pour simplifier les processus d’investissement et financer publiquement la recherche et le développement pour la fabrication locale d’équipements de transformation.
La stratégie vise surtout à améliorer les incitations pour les investisseurs, en introduisant des exonérations limitées dans le temps des droits de douane, de l’impôt sur les sociétés et de la TVA sur les équipements de transformation importés. Enfin, pour stimuler le développement de l’industrie naissante, le gouvernement a fixé des limites aux volumes d’exportation autorisés pour le cajou brut et a introduit le paiement de subventions pour le cajou transformé localement, augmentant ainsi les marges des transformateurs nationaux.
Ces questions seront au centre des préoccupations du gouvernement et des investisseurs lorsqu’ils se rencontreront en septembre en Côte d’Ivoire, pour visiter le nouveau parc agro-industriel de Korhogo et le centre de formation professionnelle de Yamoussoukro, éléments phares du cadre de la politique industrielle de la Côte d’Ivoire.
La Côte d’Ivoire constate déjà une amélioration du volume de la transformation intérieure. En 2022, la Côte d’Ivoire transformait 22 % de la noix de cajou brute qu’elle produit, contre 6 % en 2016.
Si les gouvernements des pays voisins pouvaient introduire des stratégies industrielles similaires adaptées au soutien de la valeur ajoutée à travers le continent, les gains démontrés par la Côte d’Ivoire pourraient représenter le début d’une transformation de l’agriculture africaine.
Daouda Yao est conseiller principal en agro-industrie chez TBI (Tony Blair Institute for Global Change).
Liz Kirk est conseillère en alimentation et agriculture chez TBI.
@AB
1 Commentaire
Bonjour a vous, merci pour cet article, mais la limite de cette politique dite » industrielle » est qu’elle ne profit pas aux TPE ou PME ivoiriennes. C’est la Fiscalité que l’Etat gagne avec les installations des entreprises étrangères. Ne vous contentez pas d’analyser le pourcentage de noix de cajou transformé qui les fait?? Nous avons déjà fait des études en comparaison avec l’année de 1960 à 1980 et de 2012 à 2025 s’appuyant sur les plans Nationaux de Développement, le résultat est mitige pour les PME Ivoiriennes car ce n’est pas elles qui transforment mais les entreprises étrangères. C’est une politique qui favorise peu les entreprises ivoiriennes de transformation. Thank you