Les pays africains peuvent se sortir du piège de la dette

La transparence, une gouvernance fiscale et monétaire saine et des relations bilatérales franches avec les créanciers sont les indicateurs politiques d’un traitement efficace de la dette, juge un « Livre blanc » qui va à l’encontre du pessimisme des agences de notation.
D’ici à 2024, de nombreux États souverains africains en difficulté auront restructuré avec succès leurs prêts les plus inabordables. Tel est la conclusion, qui peut surprendre, de la société de conseils Pangea-Risk, spécialiste des prévisions sur l’Afrique et le Moyen-Orient. Laquelle actualise un livre blanc publié voici quelques semaines, consacré à la politique de la restructuration de la dette africaine, à la nécessité de préparer les États souverains africains en difficulté à une nouvelle vague de capitaux de durabilité.
La restructuration attendue des dettes africaines, d’ici à l’an prochain, qui placera les pays en bien meilleure position pour attirer des investissements privés, en particulier ceux venus d’investisseurs axés sur la durabilité et l’impact, afin de combler le déficit annuel de financement des infrastructures de 100 milliards de dollars.
Les auteurs estiment, en écho aux orientations de la BAD, que les gouvernements doivent créer « de toute urgence un environnement propice à l’augmentation de la participation du secteur privé dans les infrastructures, en particulier sous la forme de flux d’investissements étrangers collés ».
Cette analyse diffère de celles des notations de crédit dont les jugements impliquent des taux prohibitifs imposés à de nombreux États souverains en difficulté, limitant les activités de financement du climat et d’autres financements du développement dans ces pays.
La transparence de la dette, une gouvernance fiscale et monétaire saine et des relations bilatérales franches avec les créanciers sont les principaux indicateurs politiques d’un traitement efficace de la dette, même si les initiatives multilatérales d’allègement de la dette, telles que le cadre commun du G-20, échouent. D’ici à la fin de 2023, les États africains lourdement endettés, comme le Kenya et le Ghana, devraient avoir restructuré avec succès leur dette en repoussant les échéances des obligations en devises, en échangeant des prêts nationaux contre des financements concessionnels et en limitant les décotes pour certains détenteurs d’obligations.
Les créanciers chinois et les détenteurs d’obligations internationales sont les plus exposés aux défaillances, alors que le choc des restructurations de la dette pour les banques locales et les détenteurs d’obligations nationales sera souvent amorti. Dans le cadre de traitements de la dette bien gérés, les créanciers concessionnels et du secteur privé seront moins exposés à des décotes arbitraires et à d’autres pertes, ce qui renforcera la solvabilité des États souverains et améliorera leur position pour attirer des flux records de financement climatique et d’autres investissements d’impact dans les années à venir.
Pas d’effet domino
Pourtant, la dette extérieure privée et publique de l’Afrique, qui a plus que quintuplé pour atteindre plus de 700 milliards $ entre 2000 et 2020, n’est plus viable. Selon le FMI, 22 pays africains à faible revenu sont déjà en situation de surendettement ou présentent un risque élevé de surendettement.
Toutefois, les craintes d’un « effet domino » venu notamment de Zambie semblent infondées, car de nombreux États souverains en difficulté « restructurent volontairement leur dette de manière innovante, transparente et crédible ». Depuis le début de la pandémie, les États souverains africains ont pour la plupart évité les scénarios de défaillance désordonnés comme celui de la Zambie et se sont au contraire activement engagés avec leurs créanciers à restructurer leurs obligations dans le cadre de plans coordonnés et volontaires. Le Kenya, le Ghana et le Nigeria échangent actuellement la majeure partie de leur coûteuse dette intérieure contre des obligations plus abordables, telles que des obligations à long terme, des financements concessionnels et d’autres instruments.
Certes, sur le front extérieur, les progrès ont été moindres, ce qui est principalement dû à l’infaisabilité du Cadre commun, qui a remplacé l’Initiative de suspension du service de la dette (ISDS) au début de l’année 2021. Seuls quatre pays africains ont répondu ce cadre, à savoir la Zambie, l’Éthiopie, le Ghana et le Tchad. Seul ce dernier a pu conclure un accord, bien que le rééchelonnement de la dette du Tchad ait été principalement un accord bilatéral avec des partenaires commerciaux, plutôt qu’un traitement multilatéral de la dette.
Et les auteurs de s’en prendre au « mythe populaire » du piège de la dette chinoise. En fait, l’accumulation de prêts chinois au cours des deux décennies précédant la pandémie s’élève à 153 milliards $ sur un total de plus de 700 milliards $, alors qu’une grande partie de ces prêts ont été remboursés, annulés ou rééchelonné.
Depuis 2019, la Chine a ralenti ses prêts à l’Afrique, s’est montrée plus disposée à les rééchelonner et a offert un allègement limité de la dette.
Des investissements crédibles attirent les capitaux
La Chine a annulé au moins 3,4 milliards $ et restructuré ou refinancé environ 15 milliards $ de dettes en Afrique. Il n’y a pas eu de saisie d’actifs et la Chine n’a pas utilisé de recours juridiques pour contraindre les remboursements, contrairement aux récits populaires.
Les pays africains les plus exposés aux prêts chinois sur une base cumulée ont été à l’avant-garde des traitements de la dette bilatérale, notamment l’Angola et le Kenya. Par rapport à leur PIB, les pays les plus exposés aux prêts chinois au cours des vingt dernières années sont l’Angola (63 %), la Zambie (45 %) et la République du Congo (32 %). Mais pour la plupart des grandes économies africaines, l’exposition à la dette chinoise est « négligeable », comme pour le Nigeria (1,6 %), l’Afrique du Sud (1,3 %) et l’Égypte (1,9 %), ainsi que pour le quatrième emprunteur de la Chine, le Kenya (8,4 %).
Plus généralement, les émetteurs qui s’engagent à mettre en œuvre un programme d’investissements crédible pour relever les défis environnementaux et sociaux seront les mieux placés pour accéder à des capitaux supplémentaires. Les euro-obligations ne sont pas les seules obligations financières des pays africains, qui devront rembourser un total de 185 milliards $ de prêts entre 2022 et 2024. La plupart des États africains ont emprunté commercialement auprès de banques et d’agences de crédit à l’exportation, bilatéralement auprès d’autres gouvernements, à des conditions préférentielles auprès de banques de développement ou d’institutions financières multilatérales, ou encore auprès d’entités contrôlées par l’État chinois. « Cela rend moins utile la mise en œuvre de mécanismes multilatéraux d’allègement de la dette, tels que le cadre commun. »
Ce livre blanc affirme que les États souverains africains tentent d’éviter les défauts de paiement chaotiques et non transparents, tels que ceux de la Zambie en 2020 et du Mozambique en 2016, qui ont déclenché des crises financières, des années de désinvestissement et un effondrement de la confiance des investisseurs. La majorité des États surendettés suivent plutôt le paradigme établi par le reprofilage de la dette de l’Angola négocié bilatéralement en 2020 et plusieurs autres traitements de la dette appliqués ces dernières années, y compris ceux du Tchad et le Congo.
Éviter les déceptions
Les données économiques et financières suggèrent que les États souverains africains qui évitent les défauts de paiement désordonnés et se soumettent plutôt à des traitements de la dette gérés sont plus susceptibles de connaître une reprise économique et de retrouver la stabilité financière dans un délai plus court. « Cette tendance est positive, car l’Afrique s’apprête à s’engager dans un montant record de financement climatique et d’autres investissements d’impact. »
Ainsi, les gouvernements dotés d’institutions démocratiques solides, comme ceux du Ghana et du Kenya, sont plus enclins à mettre en œuvre un programme d’échange volontaire de la dette que les États plus faibles ayant des antécédents d’emprunts non divulgués. Les pays dont la gestion de la dette est opaque, comme le Mozambique, la Zambie et le Congo, ont peu de chances d’inspirer la confiance des créanciers extérieurs ou intérieurs. Le rôle du FMI reste déterminant en offrant à la fois un soutien au crédit en dernier recours et un ancrage politique pour attirer le soutien financier d’autres organismes multilatéraux et du secteur privé.
@ABanker