Le commerce intrarégional, un outil de l’industrialisation

La diversité des capacités technologiques des nations africaines constitue davantage une force qu’un défi, relèvent les économistes réunis par la CEA. Qui considèrent que le libre-échange intra africain peut permettre à chaque pays de tirer parti de ses avantages comparatifs.
Les nations africaines peuvent collectivement stimuler l’industrialisation en adoptant la diversité technologique et en encourageant la collaboration régionale. Tel est le point de vue d’économistes exprimés à l’occasion de la Conférence économique africaine 2023 à Addis-Abeba, en Éthiopie.
Cette diversité est marquée par le fait que certains pays font preuve de solides prouesses technologiques, tandis que d’autres rattrapent leur retard et que des concurrents émergents entrent en scène. Ce paysage ouvre la voie au transfert de connaissances entre pays, créant un environnement propice aux efforts de collaboration.
« Le déficit de financement des infrastructures en Afrique est d’environ 100 milliards de dollars. Pour combler ce déficit, il est nécessaire de faire appel au secteur privé. »
Ce sont aussi quelques-unes des principales conclusions de l’article intitulé « Technological Capability and Industrialization in Africa » (« Capacités technologiques et industrialisation en Afrique »), rédigé par Gideon Ndubuisi. L’étude porte sur un échantillon de 50 pays africains entre 2000 et 2018, et a révélé de fortes hétérogénéités dans les niveaux de capacités technologiques entre les pays du continent.
Alors que certains pays ont des capacités technologiques inexistantes ou faibles, d’autres présentent un potentiel ou disposent déjà de capacités technologiques adéquates pour l’industrialisation.
L’étude montre également que la capacité technologique moyenne des États africains a presque doublé, passant de 25 % à 41 %, ce qui est lié à l’augmentation de la pénétration de l’internet et à la diffusion rapide des technologies numériques dans les pays.
« Nos résultats démontrent clairement l’interdépendance du développement technologique et industriel entre les pays d’Afrique. Contrairement à la géographie ou à la distance, nous constatons que le canal par lequel cette interdépendance se propage est le commerce régional intra-africain », explique Gideon Ndubuisi. « Nos résultats ont des implications importantes sur la nécessité de promouvoir les chaînes de valeur régionales en Afrique et sur le rôle actif que la ZLECAf doit jouer à cet égard. » Selon l’économiste, ces données montrent qu’il existe une fenêtre d’opportunités pour les pays africains de collaborer afin de faire progresser l’industrialisation en augmentant le commerce intrarégional.
L’étude des interactions sociales
De son côté, Jacob Assa, conseiller stratégique principal au PNUD, considère que la recherche reste pertinente pour comprendre le chemin de l’Afrique vers l’industrialisation. Selon sa lecture de l’étude, l’Afrique possède déjà des germes d’industrialisation et qu’elle n’a donc pas besoin de réinventer la roue.
L’« étude fournit des preuves au niveau national de la relation entre les capacités et l’industrialisation », juge Jacob Assa. Qui estime toutefois que l’analyse doit aller au-delà de l’Afrique pour être pleinement validée. Cela serait utile pour l’analyse comparative, car cela permettrait de voir que certains pays d’Afrique sont au même niveau que des pays d’Amérique latine ou d’Asie de l’Est, et de procéder à une analyse interrégionale.
Dans un autre article, intitulé « Explaining Capacity Utilization among Firms in Kenya », les chercheurs Kefa Simiyu et Beatrice Mbinya se sont penchés sur les dynamiques complexes qui façonnent l’utilisation des capacités dans les entreprises kenyanes.
S’appuyant sur les données des enquêtes de la Banque mondiale sur les entreprises menées en 2013 et 2018, l’étude a introduit une nouvelle dimension dans l’analyse : les interactions sociales, représentées par la proximité des entreprises au sein d’un secteur.
« Les entreprises dirigées par des hommes ont généralement des cadres supérieurs qui ont passé 19 ans en moyenne dans le secteur, tandis que les cadres supérieurs des entreprises dirigées par des femmes ont en moyenne 14 ans d’expérience, mais nous nous rendons toujours compte que l’utilisation des capacités reste très faible », résume Kefa Simiyu.
L’étude révèle que l’utilisation des capacités est entravée par des défis financiers, des problèmes conjoints de corruption et de transport, et l’impact de la concurrence informelle associée aux problèmes de transport. Elle montre également que l’utilisation des capacités diminue à mesure que les entreprises d’un même secteur s’éloignent les unes des autres, ce qui témoigne de l’impact des interactions sociales sur l’efficacité opérationnelle. Les résultats montrent également que les femmes cadres expérimentées se révèlent être une force positive, augmentant de manière significative l’utilisation des capacités au sein des entreprises, ce qui souligne l’importance de la diversité des genres au sein de l’encadrement supérieur.
Encourager les PPP
Et pourtant, la corruption, dans le contexte de la concurrence informelle, peut augmenter l’utilisation des capacités. Cependant, elle n’atténue pas les problèmes de transport. Le document plaide en faveur d’un renforcement institutionnel solide pour enrayer la corruption, en soulignant la nécessité de réformes économiques, judiciaires et de gouvernance.
Selon Ali Zafar, économiste principal au PNUD, les conclusions de l’étude répondent à certaines des questions empiriques soulevées par la littérature : « Lorsque l’on compare l’Afrique à l’Asie, on constate d’énormes différences dans l’utilisation des capacités. En Chine, l’utilisation des capacités est de 80 %à 90 %, alors qu’en Afrique, elle est de 60 % ou moins. »
Par ailleurs, la CEA travaille avec les pays africains afin d’améliorer le dispositif des PPP (partenariats public-privé) dans le financement des infrastructures.
« Les gouvernements et le secteur privé devraient travailler ensemble pour créer des PPP efficaces », a déclaré Robert Lisinge, directeur par intérim de la division du développement et des finances du secteur privé à la CEA.
« Le financement des infrastructures africaines reste un défi majeur pour de nombreux pays du continent. Pour combler le déficit d’infrastructures, les partenariats public-privé sont essentiels au développement des infrastructures en Afrique. » Selon les calculs de la Banque africaine de développement, entre 130 et 170 milliards $ sont nécessaires pour le développement des infrastructures chaque année, ce qui laisse un déficit de financement substantiel de 68 à 108 milliards $.
Traditionnellement, les gouvernements africains et les partenaires internationaux comme la Chine ont été les principaux investisseurs dans les infrastructures. Toutefois, en raison des contraintes financières, il est de plus en plus nécessaire d’explorer les partenariats public-privé. Ceux-ci peuvent exploiter les investissements, la technologie et l’expertise du secteur privé, améliorant ainsi l’efficacité et la rentabilité de la prestation de services.
Selon Robert Lisinge, l’expérience des PPP varie d’un pays à l’autre en raison des différences de PIB, de la taille et de la profondeur du marché des capitaux. La CEA travaille avec les pays africains pour améliorer leurs PPP pour le développement de l’infrastructure, en entreprenant le renforcement des capacités et en les aidant à mobiliser des ressources pour le développement de l’infrastructure.
De son côté, Eniye Ogbebor, experte juridique à l’Association mondiale des unités et professionnels des PPP (WAPPP-Afrique), considère que le développement des infrastructures est essentiel pour le développement durable dans divers secteurs, y compris l’énergie verte, l’eau propre et l’assainissement, afin d’atteindre les ODD (Objectifs de développement durable).
« Le déficit de financement des infrastructures en Afrique est d’environ 100 milliards de dollars. Pour combler ce déficit, il est nécessaire de faire appel au secteur privé. » Dès lors, les PPP offrent des options de financement et favorisent le partage des risques, y compris les risques financiers et techniques.
@AB