L’Afrique est prise dans une impasse géopolitique

Dans un monde multipolaire où le pouvoir se déplace des États-Unis et de l’Europe, comment l’Afrique peut-elle éviter d’être contrainte de choisir entre d’anciennes puissances coloniales et de nouveaux aspirants à la colonisation comme la Chine et la Russie ?
Malgré sa situation actuelle, entravée par le pillage et le gangstérisme politique, l’Afrique du Sud reste un géant économique en Afrique, représentant près d’un cinquième du PIB du continent. Ainsi, la direction géopolitique qu’elle choisit dans un monde de plus en plus turbulent et polarisé revêt une importance cruciale pour les autres pays africains. Doit-elle se tourner vers les autres pays des BRICS – le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine – ou vers ses liens établis de longue date avec l’Occident ?
La solution pour l’Afrique ne serait-elle pas d’être forcée de choisir entre d’anciens maîtres coloniaux à l’Ouest et de nouveaux prétendants à la colonisation néo-coloniale comme la Russie et la Chine ?
Jusqu’à présent, Pretoria semble vouloir jouer sur les deux tableaux. Mais cela est-il encore tenable, surtout lorsque le président américain Joe Biden présente le choix comme étant entre « la démocratie et l’autocratie » ? Entre la Russie du président Poutine et la Chine du président Xi, d’une part, et d’autre part, des gouvernements respectant l’État de droit dans des démocraties constitutionnelles fonctionnelles. Un choix clair pour Biden.
Qui voudrait prendre parti pour la répression de Poutine des droits de l’homme et l’empoisonnement des leaders de l’opposition, ou pour les invasions de la Géorgie et de l’Ukraine ? Ou encore pour l’oppression de Xi envers les musulmans ouïghours, la répression impitoyable des droits de l’homme et les menaces belliqueuses envers Taïwan ? Mais de nombreux dirigeants africains se souviennent de l’impérialisme américain après la Seconde Guerre mondiale qui a envahi le Vietnam, soutenu des dictateurs en Amérique latine et contribué à maintenir l’apartheid. Puis il y a eu l’invasion de l’Irak en 2003, lancée sur la base de renseignements erronés selon lesquels son dictateur Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive, ce qui a provoqué un chaos régional.
En contournant les Nations Unies, les États-Unis et le Royaume-Uni ont encouragé d’autres pays à ignorer le droit international et à envahir des pays quand ils le souhaitaient. La guerre en Irak a détruit la confiance en Occident. Et de nombreux dirigeants africains hésitent à partager la position l’Amérique et de ses alliés sur l’Ukraine, en raison d’un scepticisme de « deux poids, deux mesures » renforcé par le fait qu’Israël reste totalement protégé quelles que soient les horreurs qu’il commet contre les Palestiniens.
De plus, bien que les anciens liens coloniaux européens et les investissements qui ont suivi comptent encore beaucoup en Afrique, l’argent et l’influence venant de Pékin et de Moscou ont également de l’importance. Pékin achète massivement en Afrique, en particulier des ressources, tout en évitant d’être accusé de colonialisme économique.
Le rôle du Moyen-Orient
Moscou n’a pas du tout la même quantité d’argent ou de part dans le commerce, mais Poutine a utilisé sa force de mercenaires, le groupe Wagner, notamment au Sahel, en Libye, au Soudan, en République centrafricaine, au Mozambique, au Zimbabwe et à Madagascar. L’accord proposé par Wagner est la sécurité en échange de concessions minières lucratives, notamment de l’or, car avec les diamants, ils peuvent contourner les sanctions en les vendant et les échangeant en dehors du secteur bancaire réglementé. Ailleurs dans le monde, les choses évoluent également, alors que les anciennes alliances sont mises à rude épreuve. La guerre de Poutine contre l’Ukraine a affaibli les défenses de la Russie : l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN doublera la présence de l’OTAN le long de la frontière russe et renforce ses défenses militaires le long des routes commerciales et des câbles Internet de l’Atlantique nord et de l’Arctique.
Les Émirats arabes unis, autrefois un allié fidèle des États-Unis et du Royaume-Uni, ont diversifié leurs partenariats stratégiques. Ils continuent d’accueillir des troupes américaines et des navires de l’US Navy, tout en s’alignant sur la Russie en Afrique. Dubaï est également devenu un important centre de contournement des sanctions russes, avec plus de 4 000 de ses entreprises basées dans l’Emirat. Aux niveaux des investissements sur le continent africain, les Émirats arabes unis ont augmenté leurs investissements, en particulier dans les ports, et travaillent avec les mercenaires de Wagner pour lutter contre l’extrémisme islamique et le djihadisme. Le président des Émirats arabes unis s’est également imposé comme un médiateur régional au Moyen-Orient, cherchant à affaiblir l’islamisme fondamentaliste, par exemple en intervenant en Libye, au Soudan, en Éthiopie et au Yémen. De son côté, un autre allié des États-Unis autrefois fidèle, l’Arabie saoudite, a défié Washington en réduisant la production de pétrole et en se rapprochant de la Chine en matière de coopération sécuritaire.
La Turquie, membre de l’OTAN, a montré une indépendance similaire aux yeux des États-Unis en resserrant ses relations avec la Russie. L’Afrique du Sud affirme que son attitude attentiste face aux atrocités russes en Ukraine est due à son « non-alignement ». N’est-ce pas hypocrite lorsque de nombreux pays ont été justement critiqués pour leur « non-alignement » en restant sur la défensive vis-à-vis de l’apartheid ?
L’attrait du non-alignement
Le rapprochement du président Cyril Ramaphosa avec Poutine expose également l’Afrique du Sud au risque d’être exclue de la loi américaine sur la croissance et les opportunités en Afrique (AGOA), qui accorde un accès en franchise de droits et en quantités illimitées au marché américain pour certains pays africains. Bien que l’Union soviétique ait pu être un important soutien de la lutte contre l’apartheid, la Russie d’aujourd’hui n’offre que peu d’avantages économiques à l’Afrique du Sud. Les échanges commerciaux entre la Russie et l’Afrique du Sud sont minimes (moins d’un pour cent) par rapport à l’Europe et aux États-Unis (plus de trente pour cent).
Tout cela contribue à un monde multipolaire beaucoup plus complexe. Les États-Unis restent peut-être la puissance dominante, mais la géopolitique se déplace vers la Chine et l’Inde, qui sont toutes deux destinées à dépasser les États-Unis sur le plan économique. Il est intéressant de noter que Lord Sedwill, ancien responsable de la sécurité nationale du Royaume-Uni, a écrit dans The Economist : « Une grande partie du monde redécouvre l’attrait du non-alignement. Le monde occidental devrait donc réinvestir dans ses relations avec des pays tels que le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud, la Turquie et les États du Golfe. »
Bien que de nombreux pays redoutent des voisins agressifs et que peu soutiennent l’invasion de M. Poutine, ils se plaignent également de l’arrogance occidentale et des doubles standards. Les anciens amis que nous avons négligés accueillent favorablement les investissements de la Chine et son appétit insatiable pour les matières premières dont dépendent l’économie moderne et la transition écologique. Un investissement privé occidental accru dans le « sud global » pourrait être libéré s’il était garanti par un investissement politique dans des relations durables et stables. Ces conseils sont d’autant plus judicieux alors que l’Afrique est le seul continent à avoir une population jeune – les populations du reste du monde vieillissent rapidement.
Mais il y a aussi la possibilité du retour de Donald Trump pour déstabiliser à nouveau l’équilibre mondial. Les républicains de Trump se sont plaints du soutien des États-Unis à l’Ukraine et Trump presserait sans aucun doute un accord de paix inacceptable pour l’Ukraine, qui se bat pour son autodétermination nationale dans une lutte vitale. L’Ukraine craint que tout accord ne soit une pause tactique permettant à Poutine de se regrouper, de se réarmer et de se préparer à une nouvelle attaque pour coloniser l’ensemble de l’Ukraine.
La solution pour l’Afrique ne serait-elle pas d’être forcée de choisir entre d’anciens maîtres coloniaux à l’Ouest et de nouveaux prétendants à la colonisation néo-coloniale comme la Russie et la Chine ? N’y aurait-il pas une opportunité pour les pays africains de promouvoir l’autodétermination avec une bonne gouvernance, la démocratie et les droits de l’homme, et d’inviter de nouveaux échanges commerciaux avec les BRICS tout en approfondissant les liens économiques plus anciens et plus profonds avec l’Occident ? Il ne s’agit pas tant de chercher à plaire à tout le monde, mais de trouver sa propre voie.
Lord Peter Hain est un ancien leader anti-apartheid et ancien membre du Cabinet britannique. Il est actuellement le président d’IC Intelligence.
Texte paru en anglais dans le neuvième numéro de la revue Insighs IC Intelligence.
@NA
1 Commentaire
« La solution pour l’Afrique ne serait-elle pas d’être forcée de choisir entre d’anciens maîtres coloniaux à l’Ouest et de nouveaux prétendants à la colonisation néo-coloniale comme la Russie et la Chine ? N’y aurait-il pas une opportunité pour les pays africains de promouvoir l’autodétermination avec une bonne gouvernance, la démocratie et les droits de l’homme, et d’inviter de nouveaux échanges commerciaux avec les BRICS tout en approfondissant les liens économiques plus anciens et plus profonds avec l’Occident ? Il ne s’agit pas tant de chercher à plaire à tout le monde, mais de trouver sa propre voie. »
C’est tout ce que l’Afrique demande, mais qui l’en empêche? Qui lui force de choisir entre un camp et un autre, sous chantages de sanctions économiques? L’occident a déjà cessé ses relations économiques avec la la Russie, demain ça sera sûrement la fin des relations économiques avec la Chine, certains pays du golf(très grands producteurs d’énergie) tournent déjà le dos aux occidentaux à causes de leurs menaces incessants… . Pour l’hégémonie occidentale c’est : « ou vous êtes avec nous, ou vous êtes contre nous. » Si encore c’était de manière gagnant gagnant, cela aurait au moins un sens, et une raison pour les pays qui accepteraient d’être avec l’occident. Mais la réalité, c’est que l’occident ne veut que des vassaux. Vous devez faire ce que l’occident exige, quand il l’exige et surtout vous devez brader vos ressources pour l’hégémonie occidentale. La question est donc toute simple: qu’est ce que les pays du sud global avec leur histoire (esclavage, colonialisme, néocolonialisme) ont-il à gagner à être du côté occidental?
Une question: est-ce que l’occident à-t-il encore les moyens de mettre sous sanctions (punir) les pays africains s’ils refusent de se plier aux volontés occidentales? Fâché, avec la Russie, la Chine, une partie du golf…l’occident peut-il encore s’offrir le luxe de mettre aussi l’Afrique sous sanctions et de se priver de ses matières premières? Que lui restera-t-il alors dans ce cas? Avec qui va-t-il encore commercer? Où va-t-il trouver les matières premières? Il y a encore une chose, très importante: l’occident arrivait à dominer le monde grâce à la force et à l’hégémonie du dollar…aujourd’hui le dollar tangue, le sud global s’en méfie, et certains voudraient même sa tête au bout d’une pique, et vu la direction que prend l’Arabie Saoudite, c’est sûrement la fin du pétrodollar, dans les mois à venir. Ce qui fera sûrement s’effondrer l’économie occidentale et peut-être même mondiale. Et sans le dollar comme monnaie de réserve mondiale, comment l’occident va-t-il s’en sortir pour encore effrayer le sud global et l’obliger à soumettre? L’on parle là d’un occident avec une population de moins 1 milliard de personnes, contre en face 8 milliards d’être humains décidé a ne plus se contenter des miettes et qui exigent aussi leur part du gâteau.
La balle est dans le camps occidental…ce n’est pas à l’Afrique, ni a tous les non alignés de choisir un camps. C’est à l’occident de choisir entre la paix et la guerre globale, sellons qu’il continuera sa politique (qui mène le monde droit dans le mur) ou en changera. « Ou l’on gagne tous, ou l’on perd tous. »