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Analyse et Opinion

L’Afrique doit-elle craindre les tensions entre les États-Unis et la Chine ?

L’Afrique doit-elle craindre les tensions entre les États-Unis et la Chine ?
  • Publiémai 16, 2023

Face à la note sombre du FMI suggérant que l’Afrique pourrait être confrontée à un « déclin durable » si les tensions entre l’Occident et la Chine s’intensifiaient, plusieurs économistes affirment que le continent aurait encore la capacité de façonner son propre rôle.

 

Début mai, le FMI (Fonds monétaire international) a lancé un avertissement sévère à l’Afrique subsaharienne. La région « risque de perdre le plus si le monde se divise en deux blocs commerciaux isolés centrés sur la Chine ou sur les États-Unis et l’Union européenne », indiquait un économiste du FMI sur son blog.

Dans le scénario le plus grave, dans lequel les flux de capitaux entre les deux blocs commerciaux seraient complètement interrompus, le FMI estime que l’Afrique subsaharienne « pourrait connaître un déclin permanent allant jusqu’à 4 % du PIB réel après dix ans » et voir un déclin durable de la croissance économique.

Il est certainement vrai que l’Afrique, comme tous les continents, a connu des turbulences économiques à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a aggravé les tensions géopolitiques entre l’Est et l’Ouest. Les chaînes d’approvisionnement en céréales et en blé ont été perturbées, ce qui a entraîné une hausse de l’inflation pour les produits de première nécessité.

On a beaucoup parlé du « découplage » entre les États-Unis et la Chine et de son impact potentiel sur le reste du monde. Pourtant, les relations commerciales entre Washington et Pékin n’ont, d’une certaine manière, jamais été aussi fortes.

Un monde plus volatil a encouragé les investisseurs à placer leurs capitaux dans des actifs financiers « refuges », tels que le dollar, ce qui rend plus coûteux pour les gouvernements africains le service de leurs dettes libellées en billets verts.

En outre, le ralentissement de l’activité commerciale et de la croissance économique mondiale a réduit les recettes commerciales et fiscales des gouvernements africains. Si les prévisions du FMI se réalisent, ces conséquences ne seraient que les premières ressenties par l’Afrique à mesure que la fragmentation géoéconomique s’accentue.

Toutefois, certains experts remettent en question ce pessimisme. Edward Knight, chercheur en géopolitique au Tony Blair Institute for Global Change à Londres, explique à African Business : « La concurrence entre les États-Unis et la Chine n’est pas foncièrement mauvaise pour l’Afrique, ni foncièrement bonne. Je pense que tout dépend de la manière dont les différents gouvernements africains s’engagent avec les États-Unis et la Chine. »

 

L’importance de l’Union africaine

Il cite en exemple le cas des matières premières essentielles. « Les chaînes d’approvisionnement impliquent généralement les États-Unis et la Chine. Les pays africains les exportent vers la Chine, où les matériaux ou les minéraux sont traités, et ils finissent dans les iPhones américains, par exemple. Il est clair qu’une perturbation de cette chaîne peut se produire immédiatement et avoir un impact négatif.  »

D’un autre côté, « si les États-Unis veulent continuer à avoir accès aux minéraux transformés sans la Chine, cela pourrait conduire à une guerre des enchères, ce qui serait bénéfique pour les pays africains. Ils pourraient même aller plus loin et commencer à investir dans des installations de traitement nationales et construire ainsi leur propre type de viabilité », considère Edward Knight.

Teniola Tayo, chercheur en politique commerciale à l’Institut de recherche sur les politiques africaines à Berlin, convient que « cela dépend vraiment de la mesure dans laquelle les pays africains tirent parti de la situation à leur avantage au lieu d’attendre d’être victimes de la situation ; l’Union africaine déterminera le résultat ».

En effet, alors que les prévisions du FMI reposent sur l’hypothèse que « la fragmentation et la polarisation » frapperont le commerce et la croissance économique de l’Afrique, il est possible que les pays africains tirent profit du fait de jouer la Chine et les États-Unis l’un contre l’autre.

La Chine est très active en Afrique sur le plan diplomatique et économique, en particulier depuis le lancement de l’initiative « La Ceinture et la Route » en 2013, et a dépassé les États-Unis en tant que premier partenaire commercial de l’Afrique dès 2009. Les États-Unis sont largement soupçonnés d’avoir négligé leurs relations en Afrique, mais ils tentent aujourd’hui d’y remédier pour tenter de dompter l’influence de la Chine.

En décembre 2022, le président Biden a accueilli un sommet de dirigeants africains à la Maison Blanche, tandis que la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, s’est lancée dans une tournée de dix jours dans trois pays africains au début de l’année pour tenter de réaffirmer l’engagement des États-Unis à l’égard du continent.

Sandun Munasinghe, de l’Institut Tony Blair, estime que « les États-Unis ont beaucoup plus stagné en Afrique que la Chine, mais qu’ils pourraient commencer à jouer un rôle plus important ».

 

L’Afrique ne veut pas choisir son camp

Compte tenu de la lutte d’influence en Afrique, « les États-Unis pourraient s’engager davantage auprès des gouvernements africains au cours de la prochaine décennie et soutenir les cadres régionaux, notamment la Vision 2063 de l’Union africaine ». Un soutien économique et diplomatique accru des États-Unis à l’Afrique serait sans aucun doute une aubaine pour l’économie africaine, en particulier si les États-Unis et la Chine se retrouvent dans une spirale de surenchère dans leur quête d’un plus grand avantage géopolitique en Afrique.

Les prévisions du FMI reposent également sur l’hypothèse que, si le monde se divise en deux blocs concurrents opposés, l’Afrique sera contrainte de choisir un partenaire plutôt que l’autre. Or, souligne Edward Knight, ce ne serait pas nécessairement le cas, « les gouvernements africains ont toujours dit qu’ils ne voulaient pas avoir à choisir un camp ».

D’ailleurs, poursuit le chercheur, « ils ont été très efficaces pour faire passer ce message. Les États-Unis et la Chine sont plus explicitement en concurrence directe, et ils comprennent que les pays du monde entier ne veulent pas faire ce choix ».

Edward Knight note que les États-Unis ont déjà tenté d’imposer des ultimatums mais qu’une telle stratégie « est rarement couronnée de succès ». Les États-Unis ont longtemps essayé de dissuader les gouvernements africains d’autoriser l’entreprise chinoise de télécommunications Huawei à construire des réseaux sur le continent, par exemple, mais ils ont échoué. Des composants de l’entreprise chinoise sont aujourd’hui utilisés dans environ 70 % des réseaux 4G en Afrique. C’est en partie à cause de cette expérience, estime Edward Knight, que « les États-Unis prennent du recul par rapport à ce type de diplomatie et reconnaissent qu’elle n’est pas aussi efficace ».

Malgré cela, le risque que les scénarios les plus pessimistes du FMI se réalisent demeure. Selon Edward Knight, « les entreprises africaines qui comptent sur la collaboration entre les États-Unis et la Chine doivent être conscientes que cette relation est en pleine évolution et qu’il peut y avoir des risques associés à cela ».

 

Des risques mesurés

Comment l’Afrique peut-elle se prémunir contre ces risques ? Selon Teniola Tayo, « d’autres défis, tels que la pandémie de Covid-19 et la guerre entre la Russie et l’Ukraine, ont déjà mis en évidence la nécessité de développer des chaînes d’approvisionnement alternatives ainsi que des chaînes nationales ». L’analyste de Berlin suggère que les tensions géopolitiques entre l’Est et l’Ouest pourraient encourager les pays africains à « favoriser la production locale de biens et de services en mettant en œuvre la Zone de libre-échange continentale africaine ». De plus, « les pays et les entreprises devraient se positionner pour d’autres avenirs, explorer d’autres marchés et accélérer le programme de production locale ».

On a beaucoup parlé du « découplage » entre les États-Unis et la Chine et de son impact potentiel sur le reste du monde. Pourtant, les relations commerciales entre Washington et Pékin n’ont, d’une certaine manière, jamais été aussi fortes. Selon le Bureau américain d’analyse économique (BEA), les échanges de marchandises entre les États-Unis et la Chine ont atteint un nouveau record en 2022, avec 690,6 milliards de dollars. Le risque de voir le monde « se diviser en deux blocs commerciaux isolés » est-il réaliste ?

« Je pense que les risques peuvent être légèrement exagérés si l’on ne considère que les relations intergouvernementales, ils sont pertinents si l’on ne considère que les relations commerciales », répond Edward Knight.

@AB

Écrit par
Harry Clynch

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