L’Afrique doit adopter l’Intelligence artificielle

Dans la course à la croissance, la technologie et l’intelligence artificielle sont un facteur clé pouvant générer des revenus colossaux pour les entreprises et résoudre des problématiques comme l’urbanisation, la mobilité, la santé, la justice sociale. Chaque pays a sa stratégie.
Oxford Insights a suivi l’évolution de 180 pays, classés en termes de degré de préparation pour accélérer l’adoption IA dans leurs nations depuis 2017. Des pays ont su se mobiliser rapidement pour définir leurs stratégies IA et l’utiliser pour renforcer leurs niveaux de compétitions technologiquement en tant que leaders. Les trois en tête de liste sont les États-Unis, le Royaume-Uni et Singapour.
Seuls une dizaine de pays émergent : Égypte, Maurice, Tunisie, Afrique du Sud, Ghana, Rwanda, Kenya, Nigeria, Sénégal, Maroc. Qui travaillent à des échelles variées sans avoir tous défini des stratégies d’IA.
La stratégie IA de ce pays semble pragmatique avec une approche que je qualifie de « Down to Earth ». Elle s’appuie sur cinq axes dont le premier est le financement de la recherche fondamentale en IA. Le second axe requiert la collaboration multidisciplinaire afin de produire des solutions aux principaux défis de Singapour, à savoir la santé, les solutions urbaines et la finance. L’axe 3 est constitué du financement de cent expérimentations proposant des solutions d’IA évolutives aux problèmes identifiés par l’industrie. L’axe 4 est un programme d’apprentissage en IA structuré sur neuf mois et visant à favoriser une nouvelle cohorte de talents en IA. Le dernier axe repose sur un conseil consultatif sur l’utilisation éthique de l’IA et des données pour aider le gouvernement à élaborer des normes et des cadres de gouvernance pour l’éthique de l’IA. De son côté, la Chine, classée au 17e rang mondial par Oxford Insights, a consacré un volume impressionnant d’investissements à l’IA. Sa stratégie, que je qualifie de « IA en mode production à l’échelle » est axée production concrète en développant des produits intelligents connectés (des véhicules, des robots de service et des systèmes d’identification), des capteurs intelligents et des puces de réseaux. Puis en investissant dans les ressources de formation de l’industrie, les tests standards et la cybersécurité. Puis, en définissant un fort partenariat avec les entreprises technologiques nationales pour développer la recherche et le leadership industriel dans des domaines spécifiques de l’IA (la liste est juste impressionnante en matière d’avantages compétitifs). La Chine développe le plus grand parc technologique au monde avec un investissement de 2,1 milliards de dollars pour la recherche sur l’IA à Pékin. Qui poursuit sa stratégie industrielle « Made in China 2025 », pour devenir un géant hi-tech de l’innovation. Quand on perçoit l’ascension exponentielle de ce pays, nous devons croire profondément au potentiel de l’Afrique.
Les pays africains en tête de podium des stratégies IA
Maurice est le premier pays à représenter le continent africain dans le classement Oxford Insights, au 57e rang, suivi de l’Égypte à la 65e place, puis de l’Afrique du Sud à la 68e place et Tunisie en 70e position. L’Égypte, classée 111e en 2019, a réalisé de grands progrès en moins de trois ans. Ceci s’explique par les nombreux efforts du gouvernement égyptien, alliant expansion de l’utilisation des services digitaux et investissement de 1,6 milliard de dollars pour l’infrastructure de communication. De son côté, l’Afrique du Sud est le seul pays africain à avoir accès à une infrastructure 5G commerciale et à un des meilleurs fournisseurs de Cloud.
Le second facteur fort appréciable dans ce pays est le rôle du régulateur en télécommunication qui a entrepris des actions pour réduire le coût de la donnée mobile. Nous pouvons détailler les stratégies IA des deux premiers pays en Afrique. Pour Maurice, les principaux domaines d’intervention sont la hiérarchisation des secteurs et l’identification des projets nationaux ; l’attraction des compétences et le renforcement des capacités ; les incitations à catalyser la mise en œuvre (développer le volet pratique appliquée) ; les considérations éthiques de l’IA ; le développement d’alliances stratégiques dans les technologies émergentes ; des campagnes de sensibilisation ; l’adoption de nouvelles technologies pour une meilleure prestation des services publics. Maurice a développé le pilier gouvernemental et le pilier infrastructure aux dépens de celui du secteur privé technologique.
Il est vrai que ce segment n’est pas développé en Afrique et représente le plus faible score de l’ensemble des pays. Avec les exceptions du Kenya, du Nigeria et de l’Afrique du Sud qui attitrent le capital-risque ; l’Afrique du Sud détient en outre un beau tissu académique de grandes universités reconnues. L’Égypte profite d’un positionnement de proximité avec le Moyen-Orient, comptant de très belles multinationales implantées comme Microsoft, IBM, Google et autres. Sa stratégie nationale pour l’IA repose sur trois axes principaux qui sont l’éducation et la formation, puis la valorisation pratique du volume de données denses en Égypte et la mise à disposition de ces données au secteur privé. Cet environnement d’innovation ainsi favorisé incite à ouvrir davantage de centres technologiques pour stimuler la recherche et le développement dans le domaine de l’intelligence artificielle et de travailler en étroite collaboration avec les PME et les développeurs Open source.
L’Afrique vers un mouvement d’Intelligence Artificielle généralisé
En tant que stratégiste en IA et contributrice pour la définition de la Stratégie IA en Tunisie, je constate qu’il n’est pas tâche facile d’unifier 54 pays africains à travers une seule stratégie IA. Ils ont des spécificités variées et des défis différents. Certains ont su instaurer des piliers avec des forces de leaderships visionnaires. À titre d’exemple, notons la présence de l’Internet haut débit au Rwanda et l’ouverture du centre pour la quatrième Révolution Industrielle en partenariat avec le World Economic Forum. Le président Kagamé sait parler « technologie » et a investi pour épargner son peuple de la pauvreté digitale.
Le président de l’Afrique du Sud est un autre leader qui parle technologie et met tout en œuvre pour attirer les acteurs mondiaux à s’installer pour développer des coopérations gagnantes. Dans le contexte de l’automobile, le gouvernement incite les fabricants à s’implanter en proposant des subventions et en créant des zones économiques spéciales. Il est clairement plus facile de collaborer avec une entreprise implantée sur place et non seulement exportatrice de ces technologies dans l’Afrique. Aujourd’hui, nous n’avons aucune usine Apple en Afrique. Par contre, d’autres entreprises technologiques américaines ont commencé à s’implanter en Afrique comprenant l’importance de ces investissements. IBM soutient des laboratoires de recherche au Kenya et en Afrique du Sud. Google fait de même en Éthiopie, au Ghana, au Kenya et en Afrique du Sud.
En matière de développement de compétences, le Kenya, en 2022, a réformé son curriculum national en intégrant les cours de développement informatique depuis le primaire (développer du code). Aujourd’hui, il est difficile de parler d’une Afrique qui a su embrasser le monde digital. Seuls une dizaine de pays émergent : Égypte, Maurice, Tunisie, Afrique du Sud, Ghana, Rwanda, Kenya, Nigeria, Sénégal, Maroc. Ils travaillent à des échelles variées sans avoir tous défini des stratégies d’IA.L’Afrique a besoin de généraliser l’adoption de l’IA en développant le capital humain avec une main-d’œuvre technologiquement qualifiée et des talents en IA ; en investissant sur l’infrastructure nécessaire au développement local de l’IA.
Il faut définir des réglementations pour relever les nouveaux défis et opportunités de l’IA aux niveaux national et sectoriel et en construisant des partenariats industriels et internationaux.Certains pays investissent sur le développement de l’IA dans l’agriculture, la santé, l’éducation, les services financiers, l’énergie et les transports et le changement climatique. L’Afrique regorge de talents. Ces talents ont besoin d’accéder à ces connaissances en Intelligence artificielle afin de définir des solutions à l’échelle pour des problématiques du continent. Ceci ne peut se faire sans un investissement sur les infrastructures et l’accès à la donnée de confiance.
L’Afrique a besoin de développer ses propres solutions et non pas utiliser celles imposées par l’occident. Le développement des partenariats internationaux mais régionaux en Afrique est clé pour faire bouger l’ensemble des pays. Certains pays se trouveront certainement pénalisés dans cette course vers les opportunités technologiques. L’Afrique ne devra pas baisser sa garde contre toute possibilité de néocolonialisme à travers les solutions et les produits intelligents développés par l’Occident. De plus, l’Afrique a besoin d’attirer sa diaspora afin de créer un vivier de talents innovants qui combattront le fléau de la pauvreté digitale.
Lobna Karoui est stratégiste en Intelligence artificielle appliquée pour des grands groupes internationaux. Elle est préside l’association internationale AI Exponential Thinker qui œuvre à éduquer et sensibiliser les jeunes générations au sujet des opportunités des technologies exponentielles dont l’intelligence artificielle et de leurs risques. Dr. Karoui se défini comme une Tech Philanthropist qui croit dans un avenir meilleur pour Tous grâce aux technologies exponentielles de confiance « Trust ».
@AB