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Analyse et Opinion

La pénurie d’eau est aussi affaire de gouvernance

La pénurie d’eau est aussi affaire de gouvernance
  • Publiéaoût 24, 2023

Une étude de la Banque mondiale centrée sur la région MENA vient rappeler qu’au-delà des défis climatiques, une gestion trop centralisée des ressources hydrauliques, le manque de confiance des populations, une certaine désorganisation des services, aggravent les difficultés.

 

La région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) est confrontée à une pénurie d’eau sans précédent. Cette situation empêche d’assurer aussi bien la vie que de préserver les moyens de subsistance. Les agriculteurs et les villes sont en concurrence pour les ressources en eau, poussant les systèmes hydriques au bord de la rupture, rappelle une étude de la Banque mondiale (BM).

« Cette transparence de la part des élus locaux persuade les habitants de l’urgence de la situation et les rend plus susceptibles de se conformer aux restrictions. »

L’analyse, Aspect économiques de la pénurie d’eau au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, datée d’avril 2023, est relayée en cette fin août par la BM. Certes, la région MENA s’est attaquée au manque d’eau en mettant en œuvre plusieurs moyens destinés à accroître l’approvisionnement en eau (construction de barrages supplémentaires, exploitation des eaux souterraines et accroissement du dessalement), mais « sans traiter de manière adéquate les problèmes critiques d’efficacité et de gouvernance ».

Et donc, « cette situation n’est viable ni sur le plan financier ni sur le plan environnemental », commente la BM. De même, peu d’efforts ont été faits pour réduire les pertes d’eau et adopter des mesures d’efficience permettant d’économiser cette ressource. Par exemple, la moitié des services publics de l’eau précisent que plus de 30 % de l’eau qu’elles produisent n’est pas facturée aux clients en raison à la fois des fuites dans les canalisations, de l’inefficacité des compteurs d’eau et des branchements illégaux.

Les prélèvements excessifs des eaux souterraines ont permis aux décideurs de retarder la réforme de la gestion de l’eau et des services. Pendant ce temps, ces prélèvements et l’augmentation des rejets de saumure des usines de dessalement dégradent les écosystèmes marins.

Alors, la région MENA a de plus en plus recours aux importations d’eau « virtuelle » : l’eau utilisée pour la production de produits de base tels que les céréales. La dépendance à l’égard des importations d’eau virtuelle expose les pays à des problèmes d’approvisionnement, comme ceux provoqués par la récente guerre en Ukraine.

Les institutions qui gèrent l’attribution des ressources en eau au regard de tous les besoins concurrents, en particulier entre l’agriculture et les villes, sont fortement centralisées et technocratiques, ce qui limite leur capacité à opérer des arbitrages en matière d’utilisation de l’eau au niveau local, déplore la BM.

 

Manque de confiance

Dans ce contexte, « des réformes sont nécessaires pour accroître l’autonomie et décentraliser les décisions concernant la gestion de l’eau et la prestation de services ». Le rapport recense une série de réformes institutionnelles devant viser les agences nationales et les services publics de l’eau et propose de déléguer la prise de décision sur l’attribution de l’eau à des administrations représentatives à l’échelle locale, ce qui aiderait la région à faire face aux problèmes d’eau et à les surmonter.

Le rapport aborde deux problèmes cruciaux : le défaut de légitimité et le manque de confiance. Les données tirées de l’Enquête mondiale sur les valeurs montrent que les habitants de la région estiment que l’une des principales fonctions de l’État est de maintenir les prix à un niveau bas et que les pouvoirs publics hésitent à augmenter les tarifs en raison du risque de protestations généralisées.

Au Maroc, les études de cas portant sur l’utilisation des eaux souterraines décrivent comment les agriculteurs enfreignent régulièrement la réglementation publique, car ils ne pensent pas que l’État devrait restreindre leur utilisation de l’eau, et sont persuadés qu’aucun de leurs voisins de la communauté ne respecte les règles…

Le transfert de pouvoirs plus importants sur les décisions d’attribution de l’eau à des administrations locales représentatives dans le cadre d’une stratégie nationale de l’eau, conférerait davantage de légitimité aux arbitrages difficiles autour de l’utilisation de l’eau que des directives émanant des administrations centrales.

De plus, l’octroi d’une plus grande autonomie aux services publics de l’eau pour communiquer avec les clients sur les modifications tarifaires pourrait également permettre à ces clients de mieux respecter les structures tarifaires, réduisant ainsi le risque de protestations et de troubles publics.

La réforme de la gestion des services d’eau pourrait contribuer à renforcer la confiance dans la capacité des organismes publics à gérer des financements à long terme au profit des infrastructures hydrauliques, en fournissant des services fiables, en réduisant les déchets et les fuites, et en générant des recettes permettant d’assurer le service de la dette à long terme.

Pour que les réformes institutionnelles soient couronnées de succès, il faut une meilleure communication sur la pénurie d’eau et les stratégies nationales de l’eau, poursuit la BM qui cite en exemple le Brésil et l’Afrique du Sud.

 

Un contrat social à renégocier

Dans ces pays, les efforts de communication stratégique ont accompagné les réformes visant à réduire la consommation d’eau. Dans la ville du Cap par exemple, les autorités municipales partagent un « tableau de bord de l’eau », qui donne des informations hebdomadaires sur la consommation totale d’eau dans la ville alors qu’elle approchait du « jour zéro » (moment où les ressources en eau devaient être totalement épuisées). « Cette transparence de la part des élus locaux persuade les habitants de l’urgence de la situation et les rend plus susceptibles de se conformer aux restrictions. »

Ces réformes institutionnelles, concluent les analystes de la Banque mondiale, pourraient aider les gouvernements à renégocier le contrat social avec les populations de la région MENA.

Plutôt que de fixer les tarifs de l’eau et de réglementer l’utilisation de cette ressource par des directives « verticales », déléguer plus de pouvoirs aux organismes techniques de gestion des ressources en eau, aux services publics et aux collectivités locales pourrait renforcer la légitimité de l’État ainsi que la confiance dans sa capacité à gérer la pénurie d’eau.

@AB

 

Écrit par
Aude Darc

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