Désiré Mandilou, sortir du moule
Bien sûr, l’Afrique rêve de démocratie. Mais elle n’a pas à imiter les modèles occidentaux en se dotant des mêmes institutions. Pour Désiré Mandilou*, les opposants — et les dirigeants — doivent privilégier la conviction aux combinaisons politiciennes.
La démocratie est l’infrastructure du rêve occidental. Rêve d’« une vie de qualité », dans laquelle les conflits politiques sont résolus au moyen d’une instance anonyme et impartiale : le suffrage universel. La transposition de cette infrastructure en Afrique est, qu’on le veuille ou non, une contamination culturelle des Africains. Contamination légitimée par les « miracles matériels » produits par les sociétés occidentales.
Il est sain que les civilisations se transmettent, entre elles, ce qu’elles ont de meilleur. Reste que cette transmission n’est pas un long fleuve tranquille. En Afrique, les gouvernants comme les opposants doivent digérer cet apport culturel. Ils doivent bâtir un projet collectif en s’appuyant sur l’infrastructure du rêve d’autrui.
Cela crée des espoirs et des peurs, des frictions, des insécurités, des exaltations suivis d’abattements, et inversement. Tout cela donne au continent une image brouillée. À la fois champ de bataille, et champ de tous les possibles. Mais qu’est-ce donc qu’être opposant en Afrique aujourd’hui ? Ironie de l’histoire, on peut situer en Afrique le premier opposant au monde. Il s’appelait Moïse. Si l’on en croit la Bible et Sigmund Freud qui lui consacra un ouvrage, Moïse et le monothéisme, la force de Moïse résidait dans le fait qu’il proposait une nouvelle source de sens.
« Écoute Israël. Notre seigneur est Dieu. Notre Seigneur est Un ». Moïse a consacré 40 ans de sa vie à répéter le même message. Contre cela, Pharaon et sa multitude de dieux ne pouvaient rien. Son opposant offrait une vision, une destination où son peuple allait pouvoir se rendre et saurait pourquoi il s’y rendrait.
Depuis les temps bibliques, les qualités requises pour être un opposant en Afrique et avoir des chances de l’emporter sont connues : avoir une vision et être persévérant. Rien de tel sous nos latitudes aujourd’hui. L’opposition est devenue alimentaire. Elle est une posture qui permet de se vendre au Pharaon, après avoir fait monter les enchères.
L’organisation de marches, les discours incendiaires sur les ondes, le déversement de haine sur les réseaux sociaux, etc., ont pour unique finalité l’amélioration de la situation matérielle de l’opposant. Non de celle du reste de la population. Quant à la vision… Depuis Kwame Nkrumah, on cherche en vain en terre africaine une pensée politique structurée, offrant une alternative crédible dans quelque pays que ce soit. À telle enseigne que la communauté internationale impose au continent des gouvernements d’union nationale associant la chèvre et le chou, comme au Kenya, au Zimbabwe, en Côte d’Ivoire, etc.
Pourquoi vous étriper alors qu’il y a à manger pour tous au pouvoir ? Il semble ainsi que l’on peut s’exonérer du modèle canonique de la démocratie, en brandissant le drapeau de la paix. Au nom de la paix, on peut s’affranchir de la majorité comme de l’opposition.
Mais il s’agit d’une paix volcanique. Susceptible de lâcher une nouvelle éruption de violence. Une paix avec les kalachnikovs posés sur la table. À la moindre contradiction, on reprend l’artillerie. Comme on a pu l’observer en Côte d’Ivoire. Des années de gouvernement d’union nationale, n’ont pas empêché la guerre d’advenir. Guillaume Soro et Laurent Gbagbo continuaient d’aiguiser leurs couteaux, sous la table du conseil des ministres. On était loin, très loin, de l’opposition fondée sur une vision, une autre cartographie du futur.