Audace, solidarité et coopération internationale

De plus, avec la crise en Ukraine, l’Afrique a subi la hausse des prix des produits énergétiques et non énergétiques, la déstabilisation des chaînes d’approvisionnement, et les perturbations sur les marchés financiers, rappelle la BAD.
Ces turbulences et la volatilité des marchés internationaux vont avoir des effets sur le continent. Car faut-il le rappeler la Russie et l’Ukraine sont des acteurs importants des marchés mondiaux de l’agro-alimentaire, du pétrole et du gaz. Ainsi, les prix des matières premières ont rapidement augmenté pour atteindre des niveaux record. En avril 2022, les prix mondiaux de blé et du maïs ont augmenté respectivement de 72,5% et de 21,9% par rapport à leurs niveaux d’avril 2021. Certes, les pays exportateurs de pétrole et d’autres pays exportateurs de matières premières ont tiré bénéfice de cette augmentation des prix sur les marchés mondiaux, mais cette volatilité a fortement heurté les pays africains et a été à l’origine de la résurgence de l’inflation après des années d’accalmie. De plus, ces développements ont été à l’origine de grandes difficultés d’approvisionnement des produits alimentaires pesant sur la sécurité alimentaire de beaucoup de pays africains et accroissant la pauvreté.
Un ralentissement de la croissance
Après un rebond en 2021 où la croissance africaine a atteint 6,9%, les prévisions pour l’année 2022 montrent une forte décélération de la croissance qui ne devrait pas dépasser les 3,9% et qui sera pour l’une des premières fois moins importantes que la croissance globale. Cette baisse de la croissance est à l’origine d’une diminution de la part de l’Afrique dans le PIB mondial qui sera de 4,7% en 2022 qui est la part la plus faible depuis 2002, selon les calculs de l’OCDE.
Cette forte baisse de la croissance s’explique aussi par les vulnérabilités liées au resserrement de la politique monétaire dans les grands pays développés qui auront des effets négatifs sur la dette africaine et sur la capacité des pays à accéder au financement.
La croissance africaine est encore marquée par l’influence de la pandémie et l’apparition de nouveaux variants, ce qui est à l’origine de grandes perturbations dans les entreprises et dans les chaines de production. De plus, la persistance des effets de la pandémie en Afrique s’explique aussi par le faible taux de vaccination qui s’est situé autour de 15,3% au mois de mars 2022, nettement en dessous de la moyenne globale qui se situe à 60%.
La pandémie a eu des effets dévastateurs sur les entreprises africaines. Une enquête de la Banque mondiale effectuée dans huit pays africains a montré que 18% des entreprises ont dû arrêter temporairement ou définitivement leurs activités au cours des années 2020 et 2021. Selon la BAD, les fermetures varient de 5,2% au Mozambique jusqu’à 65,8% au Tchad et selon les secteurs ou les secteurs hôteliers et des services ont été plus touchés que le secteur manufacturier.
La croissance africaine est également touchée par les changements climatiques et l’Afrique est le continent qui a subi le plus grand nombre de chocs climatiques dans le monde. Ainsi en 2019, cinq pays africains se trouvaient parmi les pays les plus touchés au monde par les variations climatiques. Entre 2020 et 2021, l’Afrique a été touché par 131 catastrophes météorologiques extrêmes dont 99 inondations, 16 tempêtes, 14 périodes d’intenses sécheresses et deux incendies de forêt.
L’instabilité politique est venue se joindre aux effets des chocs exogènes pour ralentir fortement la croissance africaine. Après plusieurs années de stabilité démocratique, l’Afrique est rentrée dans une phase de grande instabilité avec la multiplication des coups d’État.
Une détérioration des grands équilibres
Les chocs externes sont à l’origine d’une détérioration des grands équilibres macroéconomiques en Afrique. Les prévisions du déficit budgétaire se situent autour de 4% mais devraient s’approfondir compte-tenu de l’affaiblissement de la croissance. L’accélération du déficit s’explique par les politiques de relance et de sauvetage pour les entreprises et de soutien aux couches sociales les plus défavorisées mises en œuvre dans la plupart des pays africains pour faire face aux effets de la pandémie.
Pour le déficit courant, les prévisions du déficit moyen devraient se situer autour de 2% pour l’année 2022.
Les pays africains vont également connaître une accélération de l’inflation qui devraient se situer autour de 13,5% en 2022. Plusieurs facteurs ont contribué à cette accélération de l’inflation dont une partie importée est liée au renchérissement des prix internationaux de céréales et de pétrole mais aussi la dépréciation du taux de change et la hausse des prix locaux du fait des pénuries et des difficultés des chaînes de distribution.
La détérioration des grands équilibres macroéconomiques sera à l’origine d’une forte augmentation des besoins de financement et d’une grande vulnérabilité liée à l’accroissement de la dette.
Vulnérabilité financière et crise de la dette
Les grandes turbulences et les chocs externes subis par le continent ont augmenté les besoins financiers et le renforcement du poids de la dette devenue un important facteur de vulnérabilité de beaucoup de pays africains. Cette vulnérabilité ne se limite pas aux pays les moins avancés mais touche également les pays intermédiaires.
Le ratio de la dette/PIB se situe en 2022 autour de 70%, qui représente un niveau nettement plus élevé que celui d’avant la pandémie. En février 2022, 23 pays africains étaient considérés comme surendettés. Parallèlement à l’accroissement de la dette, son service a également beaucoup augmenté en passant de 3,1% à 4% du PIB entre 2019 et 2020.
Cette augmentation est le résultat d’un courant haussier entamé par l’Afrique depuis quelques années dont le résultat est que le niveau de la dette africaine est aujourd’hui le plus élevé depuis 2002. Après avoir baissé au cours des années 2000 du fait de la forte croissance économique et d’annulations dans le cadre de l’initiative PPTE, la dette africaine va de nouveau commencer à augmenter pour atteindre 28% du PIB en 2008 avant d’arriver à 56% du PIB en 2019.
L’accroissement de la dette africaine, parallèlement aux besoins importants des finances publiques liés aux chocs exogènes, s’explique également par la dépréciation des taux de change, l’accroissement des taux d’intérêt suite aux détériorations des notes souveraines effectuées par les agences de notation et le changement rapide de son profil.
Il faut noter que les créditeurs des pays africains ont joué un rôle crucial dans le trend haussier de la dette. Parallèlement aux créditeurs traditionnels bilatéraux et membres du Club de Paris, il faut noter l’arrivée de nouveaux créditeurs non membres dont la Chine. On peut également la montée en puissance des créanciers privés suite à la sortie des pays africains sur les marchés internationaux et leur part est passée de 4% à 11% du PIB entre 2010 et 2020.
Il faut mentionner que sans certaines initiatives prises par la communauté internationale la situation aurait été encore plus dangereuse et la vulnérabilité plus forte. A ce niveau, l’allègement temporaire du paiement du service de la dette et les liquidités fournies par la communauté internationale ont permis de réduire l’impact du remboursement de la dette pendant la pandémie.
Le Cadre commun (ISSD) pour la suspension temporaire du service de la dette mis en place par le G20 et entré en vigueur en mai 2020 et prolongé jusqu’en décembre 2021 a permis aux 38 pays africains bénéficiaires de réduire le poids de remboursement de la dette de 13 milliards $.
Quelques mois plus tard, la décision du FMI d’effectuer une allocation générale de DTS de 650 milliards de $, le 23 août 2021, a permis aux pays africains de disposer de nouvelles ressources pour faire face à leurs besoins de financements. Calculé sur la base de leurs quotes-parts au FMI, les pays africains ont pu disposer de 33,2 milliards de $ ce qui ne représente que 5% de leur allocation totale de DTS.
Même si ces initiatives ont contribué à atténuer les tensions de trésorerie sur les pays africains, ils sont loin de leur fournir les moyens de financements dont ils ont besoin.
Un recul des progrès en matière d’ODD
Les turbulences économiques et les chocs exogènes ont été à l’origine d’une aggravation de la crise sociale. La baisse de la croissance et les périodes de confinement suite à la pandémie ainsi que la hausse des prix des produits alimentaires ont jeté 30 millions d’africains dans l’extrême pauvreté et 22 millions d’africains ont perdu leurs emplois au cours de l’année 2020, relève la BAD. Cette tendance va se prolonger au cours des prochaines années et on estime que 1,8 et 2,1 millions d’africains pourraient tomber dans l’extrême pauvreté successivement en 2022 et 2023.
Les effets de la crise vont également toucher les infrastructures sociales, notamment les systèmes éducatifs et les systèmes de santé. Ainsi, les deux chocs exogènes d’une rare violence ont été à l’origine de quatre grandes crises dont l’affaiblissement de la croissance, la détérioration des grands équilibres macroéconomiques, une plus grande vulnérabilité financière et une crise sociale sans précédent qui est venue peser sur un contrat social en grande perte de vitesse.
C’est à ces défis que les pays africains doivent répondre.
@AB