Un secteur logistique prêt à décoller

Le Sénégal va se doter d’un nouveau port en eau profonde à 50 km au sud de Dakar. Quelles sont les conditions de sa réussite ?
Dans le centre de Dakar, d’énormes navires naviguent sur la péninsule rocheuse de la capitale pour accoster dans le principal port du pays. De longues files de camions s’étirent depuis le Port autonome de Dakar, tandis que les entreprises de logistique transportent les conteneurs du port vers les centres de traitement, où les marchandises sont acheminées vers leur destination, au Sénégal ou ailleurs.
Le port a été initialement construit par les Français en 1862, alors que Dakar n’était guère plus qu’un comptoir utilisé par les marchands européens pour protéger leurs intérêts commerciaux. En 1960, le port a été agrandi et transformé en Port Autonome de Dakar dans le cadre de l’un des tout premiers programmes de développement du Sénégal en tant que pays indépendant.
« De grands projets tels que les projets pétroliers et gaziers, ainsi que ceux associés au Plan Sénégal émergent, ont donné lieu à un boom logistique dans le pays. »
Le port reste un rouage essentiel du secteur logistique sénégalais – il a traité environ 22 millions de tonnes de marchandises en 2021 –, mais sa position dans la capitale limite sa capacité, ce qui va à l’encontre des ambitions politiques. En 2022, DP World, le géant portuaire de Dubaï, a entamé la construction d’un port en eau profonde de 1,13 milliard de dollars à 50 km au sud de Dakar. Ce projet est le plus gros investissement jamais réalisé par DP World en Afrique et devrait faire du Sénégal un acteur logistique sérieux sur le continent.
« Le port aura un impact considérable sur le secteur logistique sénégalais, en favorisant le commerce et en stimulant la croissance au fil du temps », confirme Richard Charlton, responsable des capitaux propres dans le secteur des infrastructures (Afrique et Pakistan) chez British International Investment, qui a réalisé un investissement de 300 millions de dollars dans le nouveau port.
« D’après nos études, d’ici 2035, le port devrait permettre des échanges commerciaux équivalents à 80 % du PIB. Par conséquent, 48 % de la population sénégalaise en bénéficiera et il soutiendra 2,3 millions d’emplois. Ensuite, nous nous tournons vers les pays de l’intérieur et nous pensons qu’une partie importante de la population malienne en bénéficiera. »
Une nouvelle ère
À l’heure actuelle, la capacité logistique du Sénégal, en termes de nombre de conteneurs pouvant transiter par le port chaque année, est bien inférieure à celle des autres grands terminaux d’Afrique. Les dix premiers ports d’Afrique sont Tanger (Maroc), Durban (Afrique du Sud), Port Saïd (Égypte), Port Elizabeth (Afrique du Sud), Mombasa (Kenya), Casablanca (Maroc), Djibouti (Djibouti), Lomé (Togo), Abidjan (Côte d’Ivoire) et Tema (Ghana).
En 2021, le port de Dakar traitait, en volumes, 750 000 EVP (équivalent vingt pieds) contre 7 millions d’EVP pour Tanger. En Afrique de l’Ouest, le Ghana et la Côte d’Ivoire avaient tous deux une capacité d’environ 1 million d’EVP en 2020, ce qui est bien supérieur à la capacité actuelle du Sénégal.
Mohamed Diop (photo ci-contre), directeur régional de Bolloré T&L, le spécialiste de la logistique devenu AGL sous la houlette de MSC, considère que l’arrivée du nouveau port devrait annoncer une nouvelle ère pour la logistique au Sénégal. « Nous saluons l’initiative du nouveau port car il contribuera à la modernisation du secteur et accélérera en même temps la transformation des ports et de la logistique », détaille-t-il à African Business.
« Les meilleures pratiques du Port autonome de Dakar sont devenues obsolètes, mais le nouveau port disposera de plus d’espace, de moins de congestions, de plus de compétitivité et de connectivité », ajoute-t-il. « La mise à jour de l’infrastructure logistique est essentielle pour permettre et soutenir la croissance impressionnante qui résultera probablement des projets pétroliers et gaziers. Pour notre part, nous serons là pour soutenir tous les partenaires dans cette croissance. »
Mohamed Diop estime qu’AGL verra ses activités augmenter de façon spectaculaire avec l’arrivée du nouveau port. La société travaille avec des clients publics et privés au Sénégal pour aider à moderniser et à transformer les opérations logistiques.
Il ajoute que d’autres grands projets d’infrastructure ont également donné lieu à une croissance substantielle dans le secteur. « De grands projets tels que les projets pétroliers et gaziers, ainsi que ceux associés au Plan Sénégal émergent, ont donné lieu à un boom logistique dans le pays. »
Opportunités et vents contraires
Pour tirer le meilleur parti des ports existants et prévus, le Sénégal doit capter le commerce des pays de l’arrière-pays ouest-africain comme le Mali et le Burkina Faso. Si le pays est en mesure de se positionner en tant que meilleur accueil maritime pour traiter les marchandises de la région, il pourra alors garantir un flux important de trafic dans ses ports.
Cela signifie qu’il doit rester compétitif pour concurrencer Abidjan, Accra et Lomé : trois ports de poids qui sont accessibles au Mali et au Burkina Faso, un marché de 50 millions de personnes réunies. Toutefois, le lien avec les pays de l’arrière-pays peut également entraîner un ralentissement des échanges si l’instabilité perturbe les marchés.
Lorsque la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) a imposé des sanctions au Mali en janvier 2022, elle a interrompu toutes les exportations transitant par le port de Dakar. Sa décision a entraîné une baisse considérable des échanges commerciaux dans le port jusqu’à ce que les sanctions soient levées en juillet 2022.
« Ce fut une période difficile », reconnaît Mohamed Diop. « Plus de 70 % des exportations du Mali passent par Dakar et le port a été bloqué. Nombre de nos clients exportent du coton du Mali vers le monde entier via le Sénégal et nous avons donc dû trouver des solutions à la fermeture de la voie normale. »
Par définition, la croissance du secteur logistique sénégalais dépend étroitement de la vitalité de l’économie nationale et régionale. Il a cessé de croître, par exemple, pendant la pandémie de Covid-19 et la fermeture mondiale des ports et de la logistique.
« Ce qui passe par le port dépend, dans une certaine mesure, du développement de l’économie sénégalaise », résume Richard Charlton, de BII. « D’après nos prévisions, il devrait y avoir une bonne croissance. Et le nouveau port a la capacité de répondre à l’expansion de l’économie, car il peut lui-même être agrandi dans les années à venir. On ne se heurte pas à un mur de contraintes physiques et géographiques comme dans le cas de l’ancien port. »
@AB