Pour une stratégie africaine de l’ESG

La crise sanitaire n’a fait que renforcer le besoin d’une politique responsable des normes environnementales, sociales et de gouvernance. L’Afrique est bien engagée dans cette voie et les initiatives ne manquent pas, mais un cadre régional semble nécessaire.
Par Ali Bougrine, Managing Partner chez UGGC Africa*
Depuis plusieurs années, l’ESG, acronyme de « Environmental, Social and Governance » se développe sur le continent africain. L’ESG recouvre la notion française de RSE (Responsabilité sociétale des entreprises).
Née aux États-Unis dans les années 1950, cette notion repose sur l’idée d’une prise en compte volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales dans le cadre de leurs activités commerciales et de leurs relations avec leurs partenaires commerciaux.
Quelque 72 % des dirigeants africains interrogés par OBG dévoilent que la Covid-19 a eu un impact sur leur compréhension et leur attrait pour le modèle ESG ; 42% qualifient cet impact de significatif.
L’OCDE a été précurseur en la matière grâce à ses Principes directeurs, en vigueur depuis 1976 et révisés en 2011. Ils sont constitués de recommandations non contraignantes adressées aux entreprises en matière de droits de l’homme, d’emploi, d’environnement, de lutte contre la corruption, etc.
Depuis, les Nations unies et l’ISO (Organisation internationale de normalisation) ont également édicté leurs propres recommandations. Sous l’impulsion de ces diverses organisations internationales, l’Afrique développe petit à petit sa propre stratégie ESG.
Nous le savons, la jeune population africaine – sur un total estimé de 2,5 milliards de personnes en 2050 –, est employée dans le secteur agricole, très sensible au climat et à ses dérèglements modernes.
Dans ce contexte, les enjeux ESG pour une population jeune et directement exposée aux effets du changement climatique deviennent ainsi particulièrement concrets.
En parallèle, l’essor d’une stratégie ESG pourrait constituer une voie de réponse aux problèmes structurels de corruption, de transparence et de gouvernance qui entravent certains pays d’Afrique, en fixant un ensemble d’objectifs, de normes et de valeurs pour les opérateurs économiques face à ces dérives.
Respect des principes de l’Équateur
Enfin, les stratégies ESG représentent une forte opportunité de développement pour les entreprises sur le continent africain.
Tandis que les actionnaires et les investisseurs, tant africains qu’étrangers, tiennent désormais compte de la stratégie et de la trajectoire ESG dans leurs décisions, les consommateurs deviennent plus sensibles aux valeurs de l’entreprise.
Ils sont soucieux de son sens de l’équité, à la durabilité des biens qu’ils utilisent et à leurs impacts sur l’environnement.
Les multinationales présentes en Afrique, conscientes de ces enjeux, incluent le plus souvent leurs filiales africaines dans la politique de groupe en matière ESG et nombre d’investisseurs – notamment les institutions financières de développement –, portent un soin tout particulier au développement du modèle ESG dans les entreprises qu’ils ciblent.
Ces investisseurs sont pour la plupart adhérents aux « Principes de l’Équateur », qui prévoient la prise en compte des enjeux ESG pour l’octroi de tout financement ou investissement supérieur à 10 millions de dollars.
La crise liée à la pandémie de Covid-19 aurait pu ralentir le développement de l’ESG en Afrique. Pourtant, une étude menée par la société mondiale de recherche et de conseil Oxford Business Group (OBG) intitulée « Renewed focus : How the Covid-19 pandemic shaped priorities around ESG principles », nous apprend l’inverse.
En effet, 71,6% des dirigeants africains interrogés dévoilent que la Covid-19 a eu un impact sur leur compréhension et leur attrait pour le modèle ESG ; 42% qualifient cet impact de significatif.
@ABF
Quelles initiatives africaines ?
Il résulte de cette étude que la crise sanitaire, loin d’entraver le développement des politiques ESG en Afrique, a au contraire participé à une prise de conscience collective en faveur de leur déploiement.
Un nombre croissant d’initiatives en matière d’ESG ont vu le jour sur le continent, à l’image de la Charte RSE et développement durable au Sénégal et de la création d’un Institut Afrique RSE.
En Tunisie, l’article 1er de la loi n°2018-35 du 11 juin 2018 vise à consacrer la conciliation des entreprises avec leur environnement social, à travers la participation au processus de développement durable et la bonne gouvernance.
De son côté, la BOAD (Banque ouest-africaine de développement) met en œuvre une politique et une stratégie RSE pour la période 2020-2024. De nombreux forums sont également consacrés à la question à travers le continent, notamment le Séminaire international de formations sur la RSE au Congo Brazzaville et le Forum Congo Demain.
Néanmoins, il existe encore plusieurs freins et barrières au développement de l’ESG sur le continent. D’une part, la mise en application de ces initiatives manque, en tout cas pour partie, d’une prise en compte régionale ou harmonisée entre les États africains.
D’autre part, l’importance du secteur informel et la réalité politique, culturelle et socio-économique du monde des affaires en Afrique doivent être prises en compte à chaque étape du processus de développement de la responsabilité sociétale.
Il est ainsi difficile pour les acteurs économiques d’entamer des démarches RSE sans prendre en compte ces différents éléments et spécificités locales.
Or, toujours selon l’étude menée par OBG, seulement 22,4 % des chefs d’entreprises interrogés en Afrique ont investi dans ces critères. Pour OBG, l’« Afrique bénéficierait grandement de réglementations plus strictes, de plus d’incitations, et de plus de sensibilisation et d’informations liées aux critères ESG ».
La constitution d’un cadre normatif en matière d’ESG, particulièrement au niveau des organisations africaines régionale ou panafricaine (comme l’OHADA), constituerait à cet égard un appui décisif au développement de la RSE en Afrique.
@NAF