Technologie : fortes croissances et difficultés de financement

Le secteur technologique sénégalais est l’un des plus avancés d’Afrique de l’Ouest. Il pourrait se développer davantage, à condition d’adopter une batterie de mesures pour favoriser son écosystème.
Le secteur technologique est au service de l’une des économies les plus importantes et les plus dynamiques de la région. Bien que les solutions technologiques ne soient pas aussi répandues que dans certains pays d’Afrique anglophone, les citoyens sénégalais peuvent désormais envoyer de l’argent, commander un taxi et faire leurs courses par téléphone.
Le gouvernement a adopté une approche proactive et accommodante à l’égard du secteur, en introduisant une loi sur les start-up en 2019. L’an dernier, ces jeunes pousses ont levé 151 millions de dollars, selon un rapport d’Africa : The Big Deal, contre 11 millions $ en 2017, c’est un signe que la scène se développe rapidement. Toutefois, les entrepreneurs affirment que le manque de financement sur le marché local reste un problème récurrent, en raison de l’isolement de l’Afrique francophone par rapport aux grands investisseurs technologiques.
« Lorsque vous dites Sénégal à un investisseur américain, il ne sait pas de quoi vous parlez. C’est un gros problème en matière de financement. »
L’afflux récent d’applications de covoiturage est un bon indicateur de la croissance. Voici encore quelques années, il était impossible de commander un trajet à partir de son téléphone. On devait marchander avec les omniprésents taxis jaunes pour se faire conduire. Le marché comprend aujourd’hui Heetch, basé à Paris, la société russe Yango et l’application algérienne de covoiturage Yassir. Malick Diagne, directeur national de Heetch, explique à African Business qu’il existe un énorme espace de croissance sur le marché et que l’entreprise a dépassé les attentes depuis son lancement au Sénégal, au début de 2022.
« Nous avons en fait dû changer notre objectif », se réjouit-il. « Lorsque nous nous sommes lancés, nos chiffres étaient faibles en termes de projection. Nous avons sous-estimé la demande sur le marché. En juin de l’année dernière, nous nous sommes rendu compte que nos prévisions étaient faibles et nous avons en fait augmenté notre budget. »
Bien qu’il refuse de révéler le nombre de trajets effectués par Heetch chaque jour – une information précieuse pour les concurrents sur un marché très disputé –, Malick Diagne affirme que la population sénégalaise, jeune et férue de technologie, a offert à tous les acteurs un espace suffisant pour se développer sur le marché.
Interventions du gouvernement
Le dirigeant peut toutefois révéler que le nombre de chauffeurs Heetch a doublé depuis juin dernier : là aussi, un signe de croissance solide sur un marché qui a été lent à internaliser la révolution mondiale du covoiturage.
En effet, en 2019, le bruit qu’Uber frappait à la porte du Sénégal a couru ; mais en 2022, la société a déclaré qu’elle n’avait « aucun plan immédiat » dans le pays. Quelle qu’en soit la raison, aucun équivalent sénégalais n’a émergé et le gouvernement a décidé d’ouvrir le secteur à d’autres acteurs internationaux.
L’introduction par le gouvernement sénégalais du Startup Act en 2019 est un signe concret que l’administration actuelle prend la technologie au sérieux. La loi vise à améliorer l’environnement réglementaire des entreprises tech en créant un cadre juridique pour l’enregistrement et la labellisation des start-up.
Elle a également créé un centre de ressources dédié aux entreprises technologiques, ainsi qu’un ensemble de mesures incitatives telles qu’une fiscalité allégée pour les start-up, l’accès au mentorat, la formation gratuite et d’autres mesures de croissance. Un fonds de 50 millions $ a été constitué par la Délégation générale à l’entreprenariat rapide des femmes et des jeunes (DER) pour catalyser l’entreprenariat.
Matt Sellar est PDG de Mbay Mobility, une start-up qui introduit des véhicules électriques sur le marché. Il considère qu’il est plutôt facile de créer une entreprise au Sénégal et que le gouvernement a introduit quelques mesures clés pour aider les entrepreneurs.
Il tente de remplacer les taxis sénégalais par des alternatives respectueuses du climat. L’entreprise commencera par un modèle interentreprises, en vendant des véhicules électriques directement aux entreprises de logistique. Elle ciblera ensuite les propriétaires de taxis individuels en établissant des partenariats avec des banques pour prêter des fonds aux chauffeurs afin qu’ils puissent également devenir propriétaires de leur outil de travail.
Le principal argument de vente pour les chauffeurs est qu’ils économiseront 33 $ par jour en frais de carburant, soit un total de 12 000 $ par an, selon les calculs de l’entreprise. Matt Sellar espère développer le marché local, puis déployer les VE sur d’autres marchés tels que la Côte d’Ivoire et le Ghana, dont la valeur totale du marché s’élève à 29 milliards $.
Le choix du Sénégal s’est imposé
En effet, à mesure que les marchés francophones gagnent en maturité, les start-up commencent à s’étendre au-delà des frontières. Mathias Léopoldie, cofondateur de Julaya, une entreprise qui traite les paiements pour les entreprises africaines, explique que le Sénégal était le choix évident pour l’expansion après l’implantation en Côte d’Ivoire.
« Nous nous sommes lancés en janvier 2022 et cela a été très facile : cela n’a pris que deux mois, car le pays fait partie de la même union monétaire. En termes de technologie, le pays est beaucoup plus développé que la Côte d’Ivoire, avec l’argent mobile et des entreprises comme Wave qui font régulièrement partie de la vie des gens. » La concurrence entre les entreprises est également plus forte au Sénégal qu’en Côte d’Ivoire.
De plus, le gouvernement a fourni des outils utiles comme la DER. En conséquence, le Sénégal représente déjà environ 40 % du portefeuille de Julaya, performance obtenue en un an seulement, contre cinq ans d’activités à Abidjan. Parmi ses principaux partenaires figurent Casamançaise, une importante société de distribution d’eau, et Senecor, un grand exportateur de produits capillaires africains. Petit bémol au marché sénégalais : les marges sont plus faibles, signale Mathias Léopoldie.
Problèmes d’écosystème
Grâce à ses prouesses agricoles, la Côte d’Ivoire est l’un des rares pays africains à avoir une balance commerciale positive, ce qui a des répercussions positives sur l’ensemble de son économie. Le Sénégal, en revanche, a une production intérieure relativement faible, ce qui pèse sur l’économie en augmentant le besoin d’importations. Cela étant, le principal problème des jeunes entreprises sénégalaises, en particulier dans les premières phases, est le manque de financement.
Matt Sellar, de Mbay Mobility, déplore le manque flagrant de groupes d’investisseurs locaux qui peuvent fournir aux entreprises en phase de démarrage le capital nécessaire pour les faire décoller. Jusqu’ présent, les solutions, telles que le Club des Investisseurs Sénégalais – un organisme du secteur privé qui a été créé en 2018 pour réaliser des investissements transformateurs dans l’économie locale – ne sont pas à la hauteur du battage médiatique, n’ayant réalisé que très peu d’investissements depuis sa création.
En termes de levées de fonds, les start-up des pays africains francophones ont du mal à obtenir des tickets importants par rapport à leurs équivalents anglophones. « La première raison est la barrière de la langue », explique Mathias Léopoldie. « Lorsque vous dites « Sénégal » à un investisseur américain, il ne sait pas de quoi vous parlez. C’est un gros problème en matière de financement. » La Banque mondiale et d’autres institutions aident à créer de nouveaux instruments et fonds pour canaliser davantage d’investissements vers les entreprises dans toute l’Afrique francophone. Malgré l’ampleur des opportunités, avec le Ghana, le Nigeria, le Kenya ou l’Afrique du Sud qui sont tous très actifs, il reste encore beaucoup à faire pour faire passer le message.
L’Afrique n’a plus besoin d’aides mais de partenariats positifs !
@AB