Tshisekedi peut-il réformer le secteur minier ?

Tandis que le président Etienne Tshisekedi semble reprendre la main face aux partisans de Kabila, le secteur minier de la RD Congo entrevoit-il la fin des transactions douteuses ? Les premiers pas sont à saluer, mais les interrogations demeurent.
Par Shoshana Kedem
Plus de la moitié des gisements mondiaux de cobalt se trouvent sous les forêts luxuriantes qui parsèment la ceinture de cuivre dans le sud de la RD Congo. Le métal recherché utilisé dans les ordinateurs portables, les smartphones et les voitures électriques alimente la transition technologique et climatique de la planète. Pourtant, bien qu’elle possède certaines des couches de cobalt les plus riches du monde, la RD Congo tire très peu de valeur de ses exportations.
Avant la pandémie, la bonne gouvernance des ressources et des finances publiques était déjà un défi. La pandémie est venue réduire davantage les revenus, donc pour les pays qui dépendent des ressources naturelles, il n’est pas d’autre moyen pour se remettre que de lutter contre la corruption.
« Sur la chaîne de valeur de 300 milliards de dollars associée au cobalt, le pays qui en produit 70% n’en obtient que 3% », calcule l’économiste Carlos Lopes. Dans un pays qui se classe 170e sur 180 dans l’indice mondial de perception de la corruption de Transparency International, la culture de la corruption est si profondément ancrée que l’argot de rue pour « manger » implique « détourner ». Pourtant, le secteur minier de la RD Congo s’apprête à un grand nettoyage, tandis qu’au plan politique, le président Félix Tshisekedi écarte les alliés de Joseph Kabila.
Ces dernières semaines, l’emprise de l’ancien président sur le gouvernement s’est affaiblie après un bouleversement politique majeur. Les efforts semblent porter leurs fruits : 400 députés sur 500 à l’Assemblée nationale sont désormais considérés comme des alliés du Président. Ayant passé une grande partie de sa vie en Belgique, Tshisekedi devient un architecte improbable de la répression de la corruption au Congo.
Jean Pierre Okenda, analyste senior au sein de l’ONG Resource Matters, basée à Bruxelles, affirme que les victoires de Tshisekedi pourraient donner une impulsion aux efforts de réforme. « Enfin, le nouveau président va devenir le seul président », soupire l’avocat congolais. « Nous nous attendons à des progrès maintenant car, finalement, l’accord politique entre lui et l’ancien président est caduc. Nous nous attendons à voir des changements, des progrès. »
Le premier a consisté, pour le gouvernement, à reprendre le contrôle de la filière artisanale, dont le caractère informel se prête aux abus.
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Publier tous les contrats
Dans un secteur où la lumière du soleil est le meilleur désinfectant aux « accords sales », le secteur minier de la RD Congo a longtemps souffert d’un manque de transparence. En 2012, le FMI a suspendu son prêt de 532 millions $ sur trois ans parce que le gouvernement n’avait pas publié les détails d’une vente minière en 2011 à une société basée aux îles Vierges britanniques. Malgré la reprise des prêts du FMI en 2019, qui est conditionnelle à la transparence, la RD Congo a donc perdu dix places à dans l’indice Transparency International.
En 2007, la RD Congo a rejoint l’Initiative pour la transparence des industries extractives, qui insiste pour que les pays membres publient les contrats, licences et accords nouveaux et modifiés conclus avec des sociétés extractives. Mais si une nouvelle impulsion de l’ITIE a vu une vague de contrats publiés, les accords les plus lucratifs et les plus importants restent un mystère, déplore Jean-Pierre Okenda.
Des ONG ont appelé le gouvernement à ouvrir des enquêtes sur les allégations de corruption dans la gestion des ressources, mais jusqu’à présent, aucune affaire n’a été ouverte. Avec Kabila marginalisé et un cabinet fidèle maintenant en place, Tshisekedi pourrait ouvrir des enquêtes sur des allégations de corruption et des accords passés.
Après son investiture, le Président a promis de publier tous les contrats miniers à l’avenir, mais la question est de savoir si les addenda, où réside souvent la corruption, seront également rendus publics, s’interroge Sasha Lezhnev, directrice adjointe de la politique chez The Sentry, un organisme anti-corruption, cofondé par George Clooney.
Malgré la promesse de changement, l’incertitude plane. En février 2021, le président Tshisekedi a nommé le directeur de la Gécamines, Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, au poste de Premier ministre. Cela pourrait signaler la poursuite de la mauvaise gestion des ressources naturelles du pays aux mains des entreprises d’État, redoute Jean-Pierre Okenda. « En RD Congo, les entreprises publiques jouent un rôle essentiel dans la gestion des ressources naturelles, notamment minières. La gouvernance de ces entreprises est si mauvaise. »
Malgré la nouvelle autonomie du gouvernement, les groupes de défense des droits craignent l’avènement d’une nouvelle génération de copinage. « La donne est changée. Mais la question est : le changement de jeu profitera-t-il à l’État ou aux citoyens congolais ? », s’interroge l’avocat.
Des investisseurs attentifs à la gouvernance
Selon qui la bonne gouvernance n’est pas la seule responsabilité de la nouvelle administration, mais nécessite l’adhésion des entreprises pour garantir que leurs relations avec le gouvernement sont transparentes et que leur collaboration avec d’autres sociétés minières est conforme à la législation du pays.
Cette bonne volonté affichée de la RD Congo arrive à un moment où les investisseurs internationaux accordent une attention accrue aux conséquences éthiques de leurs actions. Les départements des risques se concentrent de plus en plus sur la gouvernance, a indiqué Nigel Beck lors d’une récente conférence minière africaine. Une nouvelle génération de professionnels est également en train de forger un avenir pour la finance mondiale où l’investissement durable règne en maître, expliquait le magnat des relations publiques Lord Charles Vivian lors de la conférence Mining Indaba, en février 2021. « Aller dans le droit chemin devient un aspect important de toute décision d’investissement. »
De son côté, la RD Congo tente de sortir par le haut de l’affaire Dan Gertler. Le milliardaire israélien a été frappé par les sanctions américaines en 2017 pour avoir profité d’« accords pétroliers opaques et corrompus ». À tort ou à raison, le gouvernement américain a calculé qu’« entre 2010 et 2012 seulement, la RD Congo aurait perdu plus de 1,36 milliard $ de revenus en raison de la sous-tarification des actifs miniers vendus à des sociétés offshore liées à Gertler ».
En vertu d’une nouvelle licence, les institutions américaines sont autorisées à lever le gel des avoirs et à négocier avec Gertler et ses entités sanctionnées pendant au moins un an, pendant que les allégations font l’objet d’une enquête. Aucune raison n’a été donnée pour justifier cette décision, qui a contourné un processus d’examen normalement rigoureux. Alors que l’espoir grandit que le Congo tourne le virage vers des pratiques corrompues et opaques dans le secteur minier, les groupes de défense des droits soulignent que maintenant plus que jamais, il doit y avoir des conséquences pour les personnes impliquées dans des transactions illicites dans le pays.
Pour Sasha Lezhnev de The Sentry, « si, en effet, les sanctions contre Gertler sont entièrement appliquées et que le gouvernement Tshisekedi lance certaines de ces nouvelles réformes de transparence, nous pourrions dire que nous avons pris un virage sur certaines des pires pratiques abusives jamais vues dans le secteur minier mondial ».
Saisir l’opportunité de l’après-Covid
Si la RD Congo est l’un des pays les moins transparents d’Afrique centrale, elle n’est pas la seule dans une région où l’extraction est intimement liée aux dynamiques politiques. D’autres pays voisins mettant en œuvre l’ITIE, tels que la République du Congo, la Zambie, le Cameroun et le Gabon, ont également vu leurs scores baisser dans l’indice de Transparency International. Alors que les pays s’efforcent de consolider leurs finances dans un monde post-Covid, la lutte contre la corruption et ses conséquences humanitaires prend une importance nouvelle. Lorsque la pandémie a frappé, les prix du cuivre sont tombés à leur plus bas niveau en trois ans, tandis que le cobalt coûte à peine un tiers de ce qu’il a fait à son apogée.
« Même avant la pandémie, la bonne gouvernance des ressources naturelles et des finances publiques était un défi qui entravait la capacité de ces pays à améliorer la vie des citoyens », précise Jean-Pierre Okenda. La pandémie est venue réduire davantage les revenus, donc pour les pays qui dépendent des ressources naturelles, il n’est pas d’autre moyen pour se remettre que de lutter contre la corruption. « Utilisons la pandémie comme une opportunité ; c’est peut-être le bon moment maintenant. »
SK