Que peut faire le prochain président de la Banque mondiale ?

Le nouveau directeur de la plus grande banque de développement du monde devrait s’inspirer des présidents de la Banque africaine de développement et de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures.
Les États-Unis ont désigné le chef d’entreprise indien-américain Ajay Singh Banga comme prochain président de la Banque mondiale. Tous les yeux de la communauté du financement du développement seront tournés vers lui pour savoir sur quoi il se concentrera. Va-t-il faire passer la Banque mondiale d’une banque dont l’objectif premier est la réduction de la pauvreté à une banque qui associe cet objectif à la durabilité climatique, voire qui considère cette dernière comme le nouvel objectif ? Un certain nombre d’organisations non gouvernementales internationales, ainsi que la secrétaire d’État américaine au Trésor, Janet Yellen, ont déjà appelé le président sortant, David Malpass, à suivre cette voie.
Si l’on y regarde de plus près, le secret pourrait résider dans le fait que la BAD et l’AIIB ont des structures qui les obligent à mieux écouter leurs pays emprunteurs.
Ou bien, grâce à son sens des affaires, mettra-t-il davantage l’accent sur ce que l’on appelle la « finance mixte » – déjà bien pratiquée par la filiale SFI (Société financière internationale) et orientera-t-il la Banque vers une plus forte orientation vers le secteur privé ? Si tel est le cas, il pourrait même donner la priorité à la relance de l’indice de la facilité de faire des affaires de la Banque.
On se souvient que cette publication phare, qui classait les pays en fonction de la facilité à créer et à exploiter une entreprise, a été abandonnée en 2021 à la suite à des soupçons d’irrégularités.
Alternativement, Ajay Banga peut, en tant que membre de la diaspora indienne et de la diaspora dite du « Sud global », chercher à apporter à la Banque un plus large éventail d’approches économiques, en diversifiant son personnel, ses conseils et ses outils. Il s’agit peut-être d’un moyen moins direct mais plus durable de garantir la mise en œuvre de l’action climatique sur le long terme.

Ou peut-être, Ajay Banga estime-t-il que sa priorité est de s’attaquer à l’efficacité de l’utilisation par la Banque mondiale de son capital pour les prêts et l’allègement de la dette. Cette perspective serait justifiée au vu de la manière dont David Malpass a lutté pour obtenir des prêts de la Banque pendant la pandémie de Covid-19, sans parler de les augmenter, tout en continuant à recevoir les paiements du service de la dette des pays en difficulté.
Les conclusions d’un examen indépendant des cadres d’adéquation des fonds propres des banques multilatérales de développement (BMD) du monde entier appuieraient également une telle approche. Commandée par le G20 et publiée l’année dernière, cette étude a recommandé des changements stratégiques pour permettre à ces prêteurs de se surpasser à un moment où il est nécessaire d’agir pour faire face à l’ensemble des crises à court et à long terme auxquelles le monde est confronté.
Il est peu probable que la réponse à l’une de ces questions soit claire avant que Ajay Banga ne soit officiellement confirmé et ne prenne ses fonctions à la Banque mondiale, en juin. En effet, s’il est un acteur politique habile, il est probable qu’il évoquera toutes ces possibilités dans des interviews et des discours avant et après sa prise de fonction. Et à juste titre, car toutes ces actions sont cruciales.
Conseils pour le nouveau président
Toutefois, comme Ajay Banga n’a jamais travaillé dans une BMD, sans parler d’en diriger une, j’ai un conseil à lui donner avant qu’il ne décide de son approche. Il devrait parler à Akinwumi Adesina, président de la BAD (Banque africaine de développement), ainsi qu’à Jin Liqun, président de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII).
La principale raison de s’adresser à ces deux autres dirigeants est qu’une des premières découvertes qu’il fera lorsqu’il prendra place dans son nouveau bureau d’angle à Washington DC est que, bien que la Banque mondiale s’appelle la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), dans une grande partie du monde, la Banque ne fait pas beaucoup de « reconstruction », et encore moins de « construction ».
Par exemple, sur l’exercice 2019-1920, la Banque a déboursé 14,5 milliards de dollars en Afrique, mais seule une petite partie de cette somme a été consacrée à la construction de nouvelles infrastructures. En comparaison, la BAD a déboursé 5,1 milliards $, dont la grande majorité est allée aux infrastructures. La même année, l’AIIB, qui n’avait alors que cinq ans d’existence et qui était la dernière née des BMD, a déboursé 6,23 milliards $ à ses membres asiatiques pour des projets d’infrastructures vertes dans des secteurs allant de l’énergie à l’eau et au développement urbain, tout en créant une facilité spéciale pour fournir un soutien d’urgence au programme Covid-19.
C’était la bonne chose à faire : les infrastructures sont cruciales. Prenons l’exemple de l’Afrique, un continent trois fois plus grand que la Chine et neuf fois plus grand que l’Inde, mais qui ne dispose que d’une fraction de l’infrastructure logistique et énergétique nécessaire pour pouvoir commercer efficacement, sans parler de la fabrication de produits pharmaceutiques à l’échelle de la Chine et de l’Inde pour assurer leur souveraineté sanitaire.

Le continent exporte plus d’engrais qu’il n’en importe, malgré son besoin d’améliorer la qualité de sa production alimentaire. Cela s’explique en partie par le fait que les infrastructures logistiques existantes, que la Banque mondiale accorde de petits prêts pour « les réhabiliter », sont principalement orientées vers le commerce hors d’Afrique.
Qu’Ajay Banga décide ou non que l’infrastructure est une priorité pour la Banque, il sera crucial pour lui de comprendre comment l’AIIB et la BAD, ainsi que d’autres institutions régionales, fournissent de meilleurs financements à leurs régions en temps de crise.
Écouter les emprunteurs
Que pourraient dire Adesina et Jin à leur nouveau collègue ? Si l’on y regarde de plus près, le secret pourrait résider dans le fait que les deux BMD ont des structures qui les obligent à mieux écouter leurs pays emprunteurs. Contrairement à la Banque mondiale, l’AIIB n’a pas de bureaux dans les pays, mais est gérée depuis la Chine, un pays qui a réussi à donner la priorité au développement des infrastructures. Cette priorité se reflète dans son approche.
La BAD est également obligée de moins s’appuyer sur des équipes nationales – bien qu’elle en ait –, mais, par rapport à la Banque mondiale, son personnel est plus diversifié, avec des théories différentes sur le développement, et la structure de son conseil d’administration est davantage dominée par les bénéficiaires.
Banque mondiale : entre espoirs et débats passionnés
Le défi auquel Ajay Banga devra faire face, quelle que soit sa décision, est qu’il ne sera pas facile de faire tourner un grand navire de près de 80 ans. Le monde a globalement changé depuis la création de la Banque, mais pour les pays qui lui demandent des prêts, dont l’Inde, très peu de choses ont changé. Collectivement, ils conservent la même proportion du PIB mondial qu’en 1944, avant leurs indépendances. Ajay Banga sera-t-il en mesure d’inciter la Banque à contribuer davantage à l’augmentation de cette proportion ? Les enseignements tirés des banques régionales rendront cette possibilité plus réalisable.
@AB