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Pourquoi l’Afrique ne construit-elle pas assez de pont

Pourquoi l’Afrique ne construit-elle pas assez de pont
  • Publiéavril 12, 2023

Les gens qui passent deux ou trois jours à essayer de traverser une rivière restent dans la pauvreté, ainsi que leur pays. Alors comment l’Afrique peut-elle construire plus de ponts ?

 

 

La fin des travaux de construction du pont sur le Logone, qui fera le lien entre la ville camerounaise de Yagoua et la ville tchadienne Bongor, est annoncée pour le premier trimestre 2024, vient-on d’apprendre cette semaine. Ceci, en dépit d’un taux de réalisation actuel des travaux estimé à seulement 43% depuis leur lancement en février 2020, calcule Investir au Cameroun.

De son côté, la ville d’Onitsha, au Nigeria, a enfin pu célébrer, après des décennies de retard, l’ouverture de son deuxième pont sur le fleuve Niger, fin 2022. La construction d’un nouveau pont est envisagée depuis les années 1970, mais les administrations successives n’ont pas réussi à faire avancer le projet. Pendant ce temps, les embouteillages à Onitsha étaient de plus en plus cauchemardesques. Quiconque traversait le seul pont existant, qui ne permet qu’une seule voie de circulation dans chaque sens entre Onitsha et Asaba, sur la rive occidentale du Niger, devait alors subir de nombreuses heures d’attente.

L’ouverture du nouveau pont de 1,6 km, après quatre ans de construction, offrira un répit bien nécessaire aux habitants d’Onitsha, même si la route d’accès qui l’accompagne doit encore être achevée. Mais au Nigeria et dans toute l’Afrique, il faut bien plus de projets de ce type. Le nouveau pont d’Onitsha est l’une des rares traversées du Niger dans tout le Nigeria.

« Le continent compte suffisamment de capitaux disponibles à déployer sur le continent ; son handicap est le manque de structures bancables où la répartition des risques est ce qu’elle devrait être. »

En l’absence de ponts en nombre suffisant, les passages fluviaux deviennent des goulets d’étranglement qui exacerbent la congestion et étouffent le commerce. Investir dans de nouveaux ponts est donc une étape essentielle pour réduire le coût du commerce et stimuler les performances économiques globales. Le ministre nigérian des travaux publics, Babatunde Fashola, a pu déclarer, lors de l’inauguration du nouveau pont d’Onitsha : « Passer deux à trois jours à essayer de traverser un pont, c’est de la pauvreté. Cela ne devrait prendre que quelques minutes pour que vous puissiez aller faire des choses plus productives. »

 

Construire des ponts

Les propositions et les projets de nouveaux ponts ne manquent pas en Afrique, mais leur concrétisation s’est souvent révélée être un processus tortueux. Pour illustrer le décalage entre les promesses et les réalisations, l’excentrique ancien président de la Gambie, Yahya Jammeh, a ajouté le titre de « Babili Mansa » – qui signifie « constructeur de ponts » ou « conquérant des rivières » – à son nom en 2015. Ironiquement, cependant, Jammeh n’a pas réussi à construire un pont sur le fleuve Gambie pendant ses plus de deux décennies au pouvoir. Un passage n’a été achevé, grâce à un financement de la BAD, qu’en 2019, deux ans après le départ en exil de Jammeh.

La construction d’un grand pont routier ou ferroviaire est, bien sûr, une entreprise d’ingénierie et financière majeure. De nombreuses villes dans le monde, y compris dans les pays développés, ont du mal à construire suffisamment de ponts pour assurer une circulation fluide.

Mais le manque d’investissement dans les infrastructures de pont en Afrique reflète l’insuffisance générale des routes et des chemins de fer sur le continent. Le continent compte à peine plus de 200 km de routes pour 1 000 km² (en 2010), soit environ un cinquième de la moyenne mondiale. Seule une poignée de villes africaines disposent d’un réseau ferroviaire léger, tandis qu’au moins treize pays africains ne disposent d’aucune infrastructure ferroviaire.

« L’Afrique a des coûts de transport qui, selon certaines mesures, sont deux fois plus élevés que dans d’autres régions du monde », déclare Patrick Kouamé, directeur des investissements chez African Infrastructure Investment Managers (AIIM). Qui y voit « un gros obstacle au commerce et à la compétitivité des pays africains ».

 

Le pont Kinshasa-Brazzaville prend forme

Nulle part en Afrique le besoin d’un pont n’est plus criant que sur le fleuve Congo entre Kinshasa et Brazzaville. Actuellement, le seul moyen de voyager entre les deux villes, qui se trouvent sur des rives opposées du fleuve, est le ferry. Le pont le plus proche, le seul à traverser le fleuve Congo proprement dit, se trouve à environ 260 km en aval, à Matadi.

Aujourd’hui, enfin, les plans pour un pont entre les deux capitales semblent prendre forme. Les gouvernements des deux Congo ont signé en novembre 2019 un accord pour poursuivre la construction d’un pont routier, avec une liaison ferroviaire qui pourrait suivre à l’avenir. La structure Africa50 fournira des fonds propres, préparera un cadre de partenariat public-privé et dirigera la préparation et le développement du projet ; la BAD interviendra en tant que bailleur de fonds.

« Ces projets de transport ont acquis une nouvelle importance avec la signature de l’accord de libre-échange continental africain », a déclaré Akinwumi Adesina, le président de la BAD, lors de la rédaction de l’accord intergouvernemental. « La réduction proposée de 90 % des tarifs de fret n’aura aucun effet si les marchandises ne peuvent pas traverser les frontières rapidement. »

Africa50 estime que le pont permettra au trafic de passagers entre les villes de passer de 750 000 à 4 000 000 par an et affirme que les volumes de fret pourraient être presque décuplés.

Il est toutefois surprenant de constater que le pont Kinshasa-Brazzaville ne sera pas construit entre Kinshasa et Brazzaville. Il sera plutôt situé à 55 km en amont de Kinshasa, à Maluku. Le projet profitera donc le plus directement aux commerçants qui cherchent à contourner les deux villes.

Les opérateurs de ferry, qui sont souvent perdants lors de la construction de ponts, continueront à monopoliser le trafic entre les centres-villes.

Le calendrier de la construction du pont, qui coûtera 713 millions d’euros selon les dernières estimations, reste à déterminer. Mais il serait optimiste de croire que le trafic pourrait être fluide sur le pont d’ici la fin de la décennie, étant donné que la conception et la structure de financement du projet doivent encore être finalisées. Les progrès dépendront également du maintien de bonnes relations entre les deux gouvernements pendant que les détails techniques seront réglés.

« Lorsqu’il s’agit d’un pont transfrontalier, comme celui de Kinshasa-Brazzaville, le problème supplémentaire est qu’il s’agit d’un passage frontalier et qu’il faut donc examiner d’autres éléments » », explique Paromita Chatterjee, directeur des investissements à l’Emerging Africa Infrastructure Fund (EAIF). Malgré la nécessité de résoudre les problèmes d’immigration et de douane, le pont représente un « fruit mûr » : « Vous pourriez immédiatement voir comment cela aurait un impact sur le commerce transfrontalier entre ces deux pays. »

 

Trouver des financements

Un défi majeur pour tout grand projet de pont en Afrique où un financement privé est nécessaire est de convenir d’une structure financière qui satisfasse le gouvernement et les différentes institutions susceptibles d’apporter une dette ou des fonds propres. Selon Paromita Chatterjee, les deux principaux modèles d’investissement du secteur privé impliquent que l’opérateur perçoive des péages pour récupérer le coût de l’investissement ou reçoive des paiements réguliers du gouvernement.

Même lorsque les péages sont perçus, le gouvernement doit presque toujours fournir une forme de subvention. Les exploitants doivent généralement obtenir l’approbation des autorités de réglementation pour modifier les tarifs de péage. « Selon la proximité des élections, c’est un sujet très sensible et les autorités sont très réticentes à augmenter les péages », fait observer Paromita Chatterjee.

« En tant qu’investisseurs, nous sommes également d’avis que les coûts doivent être reflétés. C’est bien de prévoir des aides et des subventions, mais pour attirer les investissements du secteur privé… nous devons montrer que le modèle économique fonctionne, il y a donc un équilibre à trouver. »

 

Des modèles pour le financement privé

Paromita Chatterjee s’attend à ce que le modèle de construction-exploitation-transfert devienne plus courant à mesure que le trafic et le commerce continuent d’augmenter. Lorsque les investisseurs sont assurés que les projets routiers recevront des volumes de trafic élevés et prévisibles, ils sont beaucoup plus susceptibles de prendre le risque de percevoir les recettes des péages.

Un modèle alternatif consiste à ce que les investisseurs récupèrent leur investissement par le biais de paiements du gouvernement au cours d’un contrat à long terme. Au Kenya, l’AIIM a récemment accepté de financer le programme routier du pays, dans le cadre duquel les entrepreneurs sont chargés de la construction et de l’entretien des routes, en échange du versement d’annuités régulières.

« C’est une structure innovante – et je pense que nous devons en voir davantage », juge Patrick Kouamé. « Les gouvernements commencent à se rendre compte qu’ils ne peuvent pas continuer à tout faire par eux-mêmes, et qu’ils doivent donc trouver des moyens innovants pour attirer les investisseurs privés dans ce secteur…. Pour attirer les investisseurs dans le secteur routier, il faut mettre au point une matrice de répartition des risques qui ait du sens pour les investisseurs internationaux et qui leur donne une certitude suffisante quant aux recettes et aux rendements prévus. »

 

Rendre les villes vivables

Il ne fait aucun doute que les nouveaux ponts, et plus largement les infrastructures routières et ferroviaires, devront constituer une priorité croissante pour les gouvernements africains dans les années à venir. « Le continent compte suffisamment de capitaux disponibles à déployer sur le continent ; son handicap est le manque de structures bancables où la répartition des risques est ce qu’elle devrait être », explique Paromita Chatterjee. « Ce changement est en train de se produire, donc nous sommes en fait assez optimistes. »

En effet, une liste croissante de projets de ponts récents démontre que les défis techniques et financiers de la construction peuvent être surmontés. Outre le nouveau pont d’Onitsha, 2022 a également vu l’ouverture d’un pont sur le Nil à Juba, qui a permis à la capitale sud-soudanaise de ne plus dépendre d’une ancienne structure préfabriquée.

Parallèlement, le pont Maputo-Katembe, le plus long pont suspendu d’Afrique, a contribué à transformer l’extrême sud du Mozambique depuis son ouverture en 2018. En plus de favoriser un développement urbain rapide sur la rive sud de la baie de Maputo, le pont et les routes de liaison qui l’accompagnent ont considérablement réduit les temps de trajet entre Maputo et la province sud-africaine du KwaZulu-Natal.

La construction du pont doit maintenant s’accélérer davantage, à mesure de l’accroissement de la population. Le continent poursuivra également son urbanisation rapide au cours de cette période. La construction de ponts et la suppression des goulets d’étranglement dans les transports seront des étapes essentielles pour atténuer l’enfer du trafic et rendre les villes africaines plus vivables.

@AB

 

Écrit par
Ben Payton

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