Patrice Fonlladosa ( Président Afrique du Centre d’études et de prospectives stratégiques) : Répondre aux schémas voulus par les Africains

L’ancien président du comité Afrique du MEDEF, Patrice Fonlladosa, se redéploie dans le conseil et le débat d’idées, au sein du cercle de réflexions CEPS. Son expérience du continent via des responsabilités dans des entreprises comme Veolia, notamment, sont reconnues.
Entretien avec Hichem Ben Yaïche
Comment expliquez-vous votre basculement de la présidence du comité Afrique du MEDEF au think-tank CEPS ? C’est un cheminement d’idées pour se faire plaisir ?
Pas du tout. J’ai quitté le MEDEF parce que c’était la fin de mon mandat, au 30 juin. Nous étions d’accord avec Frédéric Sanchez, président du MEDEF International, pour y entamer une mutation forte. Ce changement répond à une nécessité : lorsque vous représentez les entreprises françaises, vous devez soit être membre d’un comité exécutif, soit d’un conseil d’administration d’un grand groupe français.
Nous devons lutter contre la façon dont nous, Français, percevons le continent en matière d’affaires, une perception très éloignée de la réalité. Ce qui se traduit par des primes de risque très importantes, et par le choix des décideurs, dans les groupes ou dans les sociétés, d’aller voir ailleurs plutôt qu’en Afrique.
J’ai choisi cette deuxième option, d’une part en rejoignant le comité stratégique d’Avisa Partnerst, ainsi que la présidence de plusieurs Think-Tanks dont Ressources, qui travaille sur l’eau et l’énergie dans les pays en développement. Et d’autre part, Loïc Tribot La Spière m’a demandé de reprendre la présidence Afrique du CEPS, avec des objectifs très clairs : réactiver les trois clubs qui existent à ce jour en Afrique. Nous y travaillons d’arrache-pied, autant sur la redéfinition de la mission, du format, que du contenu.
Les idées comptent ! Elles précèdent l’action. J’ai été dans l’action pendant de nombreuses années. Désormais, je souhaite nourrir ma réflexion pour pouvoir continuer les actions que je mène à travers mon cabinet de conseil. On ne peut travailler correctement dans l’action qu’avec une pensée construite.
On constate aujourd’hui, en France, une très grande faiblesse de l’expertise et de la réflexion à propos de l’Afrique, alors que le pays compte parmi les meilleurs connaisseurs…
Vous avez raison. Le paradoxe réside précisément dans le fait que nous sommes considérés comme un pays « fin », affûté dans nos idées et nos constructions intellectuelles. En général, nous rencontrons davantage de problèmes d’exécution que de réflexion.
Concernant l’Afrique, nous rencontrons chaque jour des idées sottes et préconçues – formatées par toute une génération – alors qu’une Afrique nouvelle émerge et se développe ; elle a besoin de rencontrer un écho en France auprès de gens qui pensent différemment des modèles traditionnels, et sur lesquels les Africains ont décidé d’avancer sans nous attendre.
Quelle est la meilleure démarche pour approcher le continent africain d’une manière opérationnelle et concrète ?
La première chose est de ne pas réfléchir en ayant agrandi son rétroviseur intellectuel. Il faut avant tout s’ouvrir et écouter la façon dont les Africains conçoivent leur avenir et leur continent. C’est à nous, Européens, Français, entreprises françaises, de faire la preuve de nos capacités à nous adapter à leurs demandes, à leurs souhaits d’organiser leurs sociétés et leur avenir.
Nous sommes toujours très doués pour reproduire des modèles, mais nous devrions plutôt utiliser notre intelligence pour répondre aux schémas que les Africains souhaitent mettre en oeuvre. C’est ce dialogue, qui devrait être extrêmement fructueux, que je souhaite nourrir aujourd’hui au sein du CEPS.
Vous avez présidé le Comité Afrique pendant trois ans : quel bilan peut-on en tirer ?
Nous avons dressé ce bilan avec Frédéric Sanchez, il montre un renouveau complet de la gouvernance et du mode de fonctionnement, mais aussi de la représentativité du MEDEF International. Voici trois ans, l’organisation vivait beaucoup sur son passé, avec des fruits mûrs, très raffinés, et produits en matière de représentation à l’étranger, mais aussi avec une écrasante représentativité des grands groupes, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
Si vous regardez les dernières délégations que nous avons menées, elles comprennent entre 70 % et 78 % d’ETI (entreprises de taille intermédiaire), de PME, ou de start-up. Toute la politique de recrutement de nouveaux membres a été redessinée il y a un peu plus d’un an, et elle porte ses fruits. Nous le verrons d’ailleurs nettement dans le bilan de cette fin d’année.
Pourtant, quelque chose est en train de se passer : un sentiment de rejet de la France dans les opinions publiques, alors que la réalité de terrain est plus contrastée.
Vous avez raison de distinguer la réalité de sa perception. La France doit agir plus encore, pour mieux se faire comprendre dans son action internationale, et en Afrique en particulier, car ces problèmes de perceptions ne sont pas irréels. Ils sont là, bien présents. C’est un réflexe français que d’avoir négligé la question de la façon dont nous étions perçus localement, à la fois sur l’excellence technique que nous étions capables d’apporter, mais aussi, à travers l’amour que nous portons à ce continent, par une certaine forme d’aveuglement.
Aujourd’hui, ces questions de perception – effectivement très déformées par rapport à la réalité –, sont essentielles ! Nous avons un travail très important à faire sur la perception, un travail d’idées. Nous devons, aujourd’hui, débattre de nos idées avec les Africains, pour changer la perception qu’ils ont de la façon dont nous travaillons sur leur continent.