Orange appuie l’innovation pour faciliter l’employabilité des jeunes

Les excellents résultats d’Orange en Afrique confortent sa politique d’investissements diversifiés. Attentif aux enjeux économiques de ses 17 pays africains d’implantation, le groupe veut lier croissance et RSE. Alioune Ndiaye, PDG d’Orange Afrique Moyen-Orient, revient sur sa stratégie.
Entretien avec Hichem Ben Yaïche et Nicolas Bouchet
Vous avez pris vos fonctions en mai 2018. Comment avez-vous vécu les deux années de Covid ? Ont-elles été pour Orange l’occasion de se réinventer ou un élément qui a freiné ses ambitions ?
La zone Afrique et Moyen-Orient a réalisé une très belle performance pendant l’année 2021 malgré la crise sanitaire. Pendant la crise, du fait des restrictions, les infrastructures télécom se sont révélées plus essentielles que jamais pour les populations, pour les entreprises et pour les États. Sur l’année 2021, on a pu observer dans certains pays jusqu’à une croissance de 60% du trafic internet. C’est presque un doublement du trafic par client par rapport à l’année précédente.
La Covid-19 a plutôt constitué un accélérateur de l’activité très haut débit et nous comptons aujourd’hui près de 44 millions de clients en 4G, qui représente deux clients d’Orange sur trois aujourd’hui.
Depuis votre arrivée, avez-vous entièrement achevé la transformation ou la mutation du business model ?
On ne peut pas dire que cette mutation soit achevée mais nous en avons réalisé une part très importante. Pour mémoire, en 2015, le groupe Orange a décidé de créer une entité dédiée nommée OMEA S.A. pour donner plus de visibilité et de lisibilité à son activité sur le continent africain. Cette réforme a été suivie par le plan de transformation lancé en 2017 nommé Kilimandjaro. Son objectif est de développer l’ancrage sur le continent.
Les compétences numériques seront essentielles pour le futur de l’Afrique. Nous essayons de recruter les meilleurs talents des meilleures écoles internationales. Et nous avons aussi lancé un programme de recrutement des jeunes talents qui sortent de ces établissements. On en compte une trentaine ces dernières années dont plus de la moitié sont des femmes.
Nous étions l’un des seuls opérateurs majeurs sur le continent à ne pas avoir un siège opérationnel dans la zone. Nous avons établi, à l’instar de ce qu’ont fait certains grands groupes internationaux comme Vodafone avec sa filiale sud-africaine Vodacom ou Airtel avec Airtel Africa, une entité dédiée au continent africain.
L’implantation du siège à Casablanca est un élément, parmi une vingtaine d’autres, pour nous rapprocher de nos clients sur le continent. Nous avons maintenant des centres de service mutualisés et partagés dans plusieurs pays. Nous avons des hubs à Abidjan, à Dakar et en Jordanie.
Justement, vous êtes aujourd’hui un opérateur multiservice. Cela vous oblige à une révolution pour pouvoir fonctionner sur un autre modèle. Orange opère dans l’énergie ainsi que dans de nombreux autres domaines. Êtes-vous cependant tout à fait à l’aise avec cet élargissement de vos activités ?
C’est en effet très important. Tous les opérateurs télécoms ont compris que, dans les années qui viennent, la fourniture aux clients de la connectivité, des services de voix et d’Internet constitueront le cœur de notre métier.
Tout le monde s’est rendu compte que ces services de base, bien qu’ils soient essentiels, seront demain des commodités comme le sont aujourd’hui la fourniture d’eau ou d’électricité. Or, ce n’est pas avec ces métiers que nous générerons demain de la croissance et c’est ce qui justifie que nous ayons l’ambition d’être un acteur multiservice dans la région.
En 2008, nous avons lancé le service financier mobile Orange Money pour permettre aux populations d’accéder à des services de porte-monnaie électronique, de transfert d’argent, de paiement de services et marchands, de paiement d’impôts, de taxe, de factures d’électricité et d’eau. Aujourd’hui, sur 135 millions de clients dans 18 pays (en comptant la Jordanie), nous comptons 70 millions de comptes Orange Money ouverts dans 17 pays. C’est vraiment une manière de participer à l’inclusion financière des populations africaines.
Pour entrer dans le concret de votre quotidien, avez-vous pu visiter tous les pays de votre champ d’action ?
Je suis allé dans tous les pays de la zone. J’ai passé plus de 180 jours à voyager en 2019. C’est à chaque fois l’occasion de rencontrer les équipes et de procéder à une business review avec le comité de direction et de rencontrer les autorités du pays. Vous le savez, nous sommes dans un continent où se posent beaucoup de sujets environnementaux, fiscaux, légaux, réglementaires.
Il faut en discuter avec les autorités pour avoir une vision commune sur le secteur des télécoms. Faire comprendre qu’il est mieux d’avoir un niveau de taxes et d’impôts raisonnable et qui permet à l’inclusion numérique de se développer que de brider l’activité au départ par un niveau trop élevé. Et seulement après, développer plus d’impôts par le développement de l’activité. Nous maintenons ce dialogue avec les autorités politiques et les bailleurs de fonds.
Quelles sont les impulsions que vous allez donner à vos chantiers, sur le continent ?
D’abord, il nous faut développer des relais de croissance. On sait que, au sud du Sahara, un Africain sur deux n’a pas accès à l’énergie. On sait aussi que seules 20% des populations ont accès à un compte bancaire. C’est un potentiel important. Avec nos actifs existants, c’est-à-dire les réseaux de télécoms, les réseaux de distribution qui comptent un million de points de vente, une marque forte à laquelle les gens font confiance, et nos ressources humaines, nous pouvons répondre à des besoins essentiels pour les populations africaines. En matière de prospective, c’est ce qu’un positionnement multiservice doit nous permettre de faire.
En dehors du business à proprement parler, nous nous investissons beaucoup à travers nos fondations et nos actions de RSE, dans la contribution au développement économique et social dans les pays où nous opérons. Pour prendre un exemple, nous avons inauguré dix Orange Digital Centers. Nous y formons gratuitement des jeunes aux métiers du numérique et au codage. On les accompagne quand ils ont une start-up. Nous procédons de l’incubation, de l’accélération et même du financement.
La véritable richesse du continent, c’est l’énergie de ses jeunes, à condition qu’ils soient formés et outillés. Avec les Orange Digital Centers, nous aidons à donner les moyens de prendre en charge le destin numérique de l’Afrique.
Comment intégrez-vous la dimension start-up et les innovations pour aider les Africains à aller plus loin dans la formation et entrer pleinement dans leur époque ?
Je distinguerai plusieurs volets. D’abord, l’aspect de l’accompagnement des projets des jeunes et de l’écosystème d’innovation de manière générale. Nous faisons cela avec les Digital Centers et nous continuons à les développer en réseau dans les pays. C’est notre projet phare pour l’accompagnement d’écosystèmes d’innovation. On sait que, d’ici à 2030, 60% des emplois du continent requerront des compétences numériques. C’est là qu’il faut aller.
Nous facilitons aussi l’employabilité. Nous avons formé 38 000 jeunes depuis que nous avons ouvert ces centres et, parmi eux, 17 000 ont trouvé un emploi assez facilement. Les autres poursuivent des projets individuels dans lesquels Orange les accompagne. Notamment avec l’incubation, l’accélération, les Fab labs qu’on met à leur disposition pour faire du prototypage de projets, et le financement par le fonds dédié Orange Venture. Il est doté de 50 millions d’euros dédiés uniquement aux projets de start-up africaines dans le domaine du numérique.
Comment investissez-vous les bénéfices en Afrique ? Beaucoup s’interrogent : restent-ils en Afrique ou non ?
Orange Middle East & Africa n’a pas encore payé de dividendes importants à Orange S.A. Pour l’instant, on investit un peu plus d’un milliard d’euros chaque année pour étendre les réseaux et les réseaux haut débit en particulier, sur des technologies 4G ou fixes. Nous comptons tout de même 44 millions de clients 4G, un million de clients en fixed broadband dont un peu moins de la moitié sont raccordés en fibre optique.
Nous investissons massivement pour développer la connectivité, fournir de nouveaux services et, en même temps, nous développons aussi de nouveaux services qui sont pour nous des relais de croissance et le sont eux-mêmes pour l’énergie, la santé ou l’éducation.
Votre choix de vous implanter à Casablanca vous a-t-il permis d’avoir un nouveau mode opératoire avec vos filiales, pour que vos décisions soient rapides et efficaces ?
C’est un des points clés du programme de transformation lancé en 2017. En fait, nous avions auparavant des filiales qui opéraient de manière isolée. Nous avons créé une entité qui permette un pilotage plus coordonné et un ensemble que l’on a consolidé pour une vue d’ensemble sur les 18 pays. C’était la première étape : fonctionner comme une entité à part entière, dotée d’un conseil d’administration qui pilote les 18 opérations en les consolidant.
Ensuite, on développe ensemble les outils et les process qui permettent de tirer profit de toutes les synergies possibles entre les pays. C’est pour cela qu’on a constaté que, sur la décennie 2008-2019, la croissance moyenne annuelle de OMEA était de 4,2%. Elle s’est accélérée en 2019 où elle a atteint 6,2%. En 2020, malgré la crise sanitaire, nous avons enregistré une croissance de 4,3%. Et en 2021, de 10% ! La croissance s’est accélérée grâce à la transformation mise en œuvre non seulement au niveau global mais aussi dans chacun des pays.
Pour avoir une idée claire de votre taille et de vos activités : présence dans 18 pays, 18 000 salariés, 130 millions de clients mobile, 2 millions de clients en ligne fixe, etc. Ces chiffres ont-ils évolué ?
Ils n’ont pas changé. Ces chiffres sont l’aboutissement de tous les investissements qu’on a faits et la résultante d’une croissance exceptionnelle. La croissance de 2020 est sans précédent pour la zone Afrique et Moyen-Orient d’Orange, comme le sont la rentabilité ainsi que le nombre de clients. On a, avec cette transformation, accéléré la croissance tout en la rendant un peu plus rentable, de manière à poursuivre nos actions d’investissement pour préparer le futur et, en même temps, contribuer un peu plus au développement économique et social des pays grâce à notre politique de RSE.
Pourquoi l’Afrique est-elle un des lieux où la data n’est pas entièrement sanctuarisée ?
Les Nations unies considèrent que les tarifs de la data pour 1Go de données devraient être inférieurs à 2% du revenu mensuel pour être accessibles aux populations. Dans sept de nos pays africains sur 17, on y est, si on ramène ce prix au revenu par tête. Dans les autres pays, nous constatons une amélioration très sensible. Il y a quatre ou cinq ans, le coût du Go représentait 13,2 % du revenu par tête et, aujourd’hui, on est autour de 4% en moyenne.
Votre africanisation est pleinement réalisée par votre nomination. Quel est votre challenge pour les mois à venir ?
Nous avons beaucoup de défis. Les plus importants sont malheureusement liés à l’actualité. Aujourd’hui, nous devons affronter des questions de stabilité politique dans certains de nos pays, avec tout de même trois coups d’État en Afrique de l’Ouest. Cela ne signifie pas que notre business se porte mal mais qu’il faut garantir la sécurité de nos salariés. Et on ne sait pas jusqu’où cela peut aller.
Tous les opérateurs télécoms ont compris que, dans les années qui viennent, la fourniture aux clients de la connectivité, des services de voix et d’Internet constitueront le cœur de notre métier. Or ces services de base, bien qu’ils soient essentiels, seront demain des commodités comme le sont aujourd’hui la fourniture d’eau ou d’électricité.
Deuxièmement, il y a la guerre en Ukraine, même si elle paraît lointaine. Elle a des impacts d’augmentation des prix alimentaires, des engrais, du pétrole et du gaz. Parce que le dollar va s’apprécier, les monnaies de nos pays vont se déprécier. Ce qui représente des risques budgétaires pour les États dans les semaines et les mois qui viennent. Certains le vivent déjà. Et nous prenons le risque d’une pression fiscale et réglementaire plus forte de la part des États, notamment sur le secteur des télécoms. On entend parler de sommes importantes. C’est normal car il s’agit d’un secteur hautement capitalistique où il faut gagner beaucoup d’argent pour beaucoup investir et préparer l’avenir et les réseaux du futur.
Pour terminer sur une note optimiste, comment recrutez-vous vos talents ? On le voit, le numérique est en train de tout transformer.
Absolument. Je l’ai dit, les compétences numériques seront essentielles pour le futur de l’Afrique. Au niveau des pays où nous avons nos opérations, nous essayons de recruter les meilleurs talents des meilleures écoles internationales. Au niveau du corporate d’OMEA, nous avons aussi lancé un programme de recrutement des jeunes talents qui sortent de ces établissements. Nous en avons une trentaine ces dernières années dont plus de la moitié sont des femmes. Ce sont des jeunes d’un excellent niveau qui ont vocation, demain, à garantir le succès d’Orange sur le continent africain.
@HBY