5G : L’espoir d’un nouveau saut technologique

Les pays africains peuvent déjà se doter de la 5G, à condition d’y consentir les investissements nécessaires et de jouer le jeu de la coopération intra-africaine. Des professionnels du secteur apportent leur sentiment sur ce « leapfrog » africain.
Par Paule Fax
En matière de nouvelles technologies, comme elle le tente dans d’autres domaines comme l’agriculture, l’Afrique peut-elle réaliser un « leapfrog », c’est-à-dire sauter une étape du développement et se retrouver d’emblée à la pointe ? Tel est le pari de ceux qui veulent que le continent se lance déjà dans la 5G, technologie pourtant très coûteuse et dont les populations peuvent parfois se méfier.
Interrogé par la plateforme I-Conférences, Chakib Achour, de Huawei Maroc, fait le point sur la situation de l’Afrique, où 80% de la population possède une couverture sans fil. « Le réseau continue de s’étendre. » À son sens, la transformation numérique est bien « une révolution en marche ».
La transformation numérique est bien « une révolution en marche». Il reste des défis, comme garantir une bonne connectivité à travers le continent, un accès facile pour tous. Pour y répondre, il faudrait 100 milliards de dollars d’investissements d’ici 2030.
Il reste des défis, comme garantir une bonne connectivité à travers le continent, un accès facile pour tous. Pour y répondre, calcule-t-il, il faudrait 100 milliards de dollars d’investissements d’ici 2030.
L’Afrique peut atteindre le « leapfrog », mais il faut réaliser les nécessaires changements d’approche, au niveau des organismes responsables, de l’organisation, du business model, etc. Il faut que les « objets » (terminaux, centres de stock, etc.) soient capables de collecter des données, préalable indispensable à leur analyse, leur retraitement.
Connectivité, Data Center, cloud, cloud computing (serveurs distants), big data, IA. Tels sont les six piliers de l’infrastructure nécessaire, selon le représentant de Huawei. Bien entendu, un environnement doit être adapté aux besoins de chaque pays africain. Pour autant, le revenu engendré par le digital va dépasser 23 000 milliards de dollars ; ce sont des montants colossaux. Une hausse de 20% des TIC entraîne un point de croissance du PIB.
En Afrique, le mobile prend de l’ampleur, au détriment de l’usage de la fibre. Cette spécificité a permis au continent de réaliser, déjà, un premier saut technologique. On le voit avec le développement sans égal du transfert de monnaie, par exemple.
La situation de la 5G dans le monde
D’autre part, les pays africains sont soucieux de leur souveraineté, par rapport aux données et par rapport aux compétences. « Ils ne veulent pas d’externalisation. C’est un point que les groupes privés doivent prendre en compte », reconnaît Chakib Achour. C’est pourquoi Huawei participe, par exemple, aux programmes de formation, aux centres universitaires, etc.
Les entreprises sont au rendez-vous
Cheik Sidi Mohamed Nimiga dirige le régulateur des télécoms, l’AMRTP, au Mali. Selon lui, la priorité pour les pays subsahariens réside dans l’installation des infrastructures, qui est l’obstacle premier au « saut technologique ». Dans des pays en grande partie désertiques comme le Mali, ce n’est pas une mince affaire ! Déjà, quelque 9000 km de fibre sont installés, notamment au sud du pays. Deux entreprises développent les solutions mobiles, jusqu’à la 4G.
La volonté politique est là : les chefs d’État ont à cœur de créer la base qui constitue les infrastructures numériques de l’Afrique : c’est le projet Smart Africa, lancé en 2014. La collaboration entre les États et les groupes privés est essentielle, « d’ailleurs les entreprises sont au rendez-vous ».
Au Mali, il existe 22 millions de lignes et les services à valeur ajoutée peuvent venir se connecter. « Il faut poursuivre l’effort car l’ensemble des citoyens doit y accéder, ce qui n’est pas aisé dans les zones rurales », insiste-t-il. Mais les populations font part de leur engouement pour les nouvelles technologies, les citoyens s’adaptent, les start-up développent de nouveaux produits.
En ce qui concerne la 5G, les investissements sont très lourds, ils nécessitent des Data Center, des centres de big data. « Tout le monde est-il prêt ? », s’interroge le régulateur qui observe que les opérateurs privés, eux-mêmes, font de la résistance, face aux coûts des licences, notamment.
Bara Mbaye dirige l’Autorité de régulation des télécoms et des postes (ARTP) au Sénégal. Il rappelle que le pays s’est doté d’une stratégie numérique qui vise le numérique pour tous en 2025, dans un système dynamique et performant.
Les objectifs sont de porter la contribution du numérique de 6 à 10% du PIB, soit 500 millions $ de plus de PIB et 35 000 emplois directs. « Nous visons au moins le 4e rang en Afrique dans ce domaine, selon les classements internationaux », explique le responsable, qui reconnaît certains défis, comme la digitalisation de l’industrie.
Aruna Handem représente l’Agence capverdienne pour la promotion de la société de l’information (NOSI). Face aux réticences, il insiste sur le fait que l’Internet, aujourd’hui, « n’est pas qu’un outil agréable, mais un outil essentiel, en matière de santé, d’éducation, de transferts d’argent ; bref, de bien-être ».
Il faut donc à l’Afrique les infrastructures nécessaires pour le développer. Bien sûr, les pays ont des défis comme ceux liés à la pauvreté à certaines populations, au chômage. Beaucoup n’ont pas accès à l’Internet et la fracture risque de se creuser.
L’Afrique doit se doter des outils de la connaissance
Au Cap-Vert, « nous considérons que la connexion est un intérêt public ». Incontestablement, poursuit-il, « c’est par le mobile que nous franchirons les plus grands pas, parce que le mobile peut toucher toutes les populations ». C’est un préalable, avant de parler des étapes suivantes (5G, IA, etc.). Les infrastructures sont un outil, un accélérateur de croissance et de développement, d’où la nécessité d’investir. Elles sont aussi un outil d’intégration global.
Concernant la 5G, il y voit « une avancée importante », mais prévient : « La technologie n’appartient pas aux Africains ! » Comment l’utiliser face au monopole des grandes puissances comme les États-Unis ? Il faudra des outils de connaissances africains pour résoudre cette difficulté. Et il manque encore des politiques ambitieuses de renforcement des capacités. « L’Afrique sera toujours utilisatrice, acheteuse, si elle ne se dote pas des outils de la connaissance. »
De son côté, le Cap-Vert, pays sans grandes ressources naturelles, développe une industrie de la connaissance et des services, par des partenariats avec des entreprises privées. Sa géographie lui permet de déployer des câbles sous-marins, prolongés vers le Sénégal. « Les deux pays, et la région, sont complémentaires de ce point de vue. » En effet, le Cap-Vert profite indirectement du Plan Sénégal émergent. « Nous devons, en Afrique, ce type de modèles convergents, de type gagnant gagnant. »
Le deuxième axe est le renforcement des capacités. Cela passe par des académies, des hubs de connaissances, que nos pays voisins et amis pourraient utiliser. Le Cap-Vert intéresse aussi bien Microsoft que le MIT, de ce point de vue…
Cheick Nimaga confirme : Ce « saut » devra être effectué en toute maîtrise des connaissances. Tant des avantages que des contraintes, notamment en matière de financement. Ce qui suppose que les pays africains se serrent les coudes pour avancer ensemble en la matière. « Cela n’a pas été le cas de la 3G et de la 4G. »
Interrogé sur la faiblesse de l’industrie en Afrique subsaharienne, Chakib Achour, de Huawei, rappelle le concept venu d’Allemagne « Industrie 4 0 », souvent cité. Ce concept, qui entend combiner toutes les technologies innovantes, doit être adapté aux réalités africaines.
Dans l’élevage, par exemple, les « cas d’usage » existent dans des pays européens, mais sont adaptables en Afrique. Il en est de même pour l’irrigation. Au Maroc, Huawei participe à la création d’un centre d’innovations, afin d’avoir une plateforme et de monter un écosystème purement africain et répondre aux problèmes de transport, d’éducation, etc.
Des usages adaptables à l’Afrique
De son côté, poursuit l’expert, la 5G n’est pas là pour remplacer la 4G ; elle constitue une étape qui vient au-dessus de la 4G, qu’il faut continuer à développer, afin de répondre à des besoins spécifiques. La 5G permet un temps de latence très faible, ce qui permet d’offrir de nouveaux services. Elle permettra aussi d’apporter le confort de la fibre, dans les zones où la fibre ne peut pas être installée. Ce, tant pour les particuliers que pour les entreprises.
Il prend l’exemple du projet Smart Fishing, en Norvège, un pays très éclaté en de nombreux fjords. La connectivité y est très difficile. La 5G permet, à distance, de développer des algorithmes de qualité de l’eau, de vérifier la qualité des ressources. « Nous pouvons, à distance, distinguer un saumon malade ! » Selon l’expert, il est tout à fait possible d’adapter cet exemple norvégien aux réalités africaines, et de dégager d’imposants gains de productivité, comme en témoigne le Cap-Vert.
En matière de télémédecine, les progrès pourraient être extraordinaires. À Casablanca, des équipes ont déjà réalisé des protocoles de diagnostics à distance. « Les médecins comprennent que l’IA est un outil à leur disposition, non pas un outil qui vient les remplacer ! » Aussi, considère Chakib Achour, la 5G « native », est un outil dont l’Afrique peut profiter dans de nombreux domaines.
Les technologies utilisées par Airbus en Europe sont adaptables à l’automobile, en Afrique du Nord, par exemple. Ainsi que dans les mines, dangereuses, difficiles d’accès. Des engins téléguidés à distance peuvent réaliser les procédures en plein confort. Un acteur comme OCP est très intéressé. Dans l’automobile, les robots existent déjà, il s’agirait de les relier au « cloud » et à l’IA, ce que la 4G ne peut pas réaliser correctement, aujourd’hui.
Cheick Nimaga (AMRTP) revient sur les problèmes de souveraineté. En effet, de nombreuses données ne sont pas conservées en Afrique. Le continent doit développer des Data Center pour rapatrier les données chez lui. « Il subsiste le risque de devoir acheter les données que nous avons nous-mêmes produites ! »
D’autant plus que la 5G, nous venons de l’évoquer, « permet d’entrer en profondeur dans la connaissance de chaque être humain » (santé, etc.) ; ces données ne doivent pas être externalisées. Cela suppose de former des gens capables d’identifier les besoins et de créer les outils adaptés.
Des textes législatifs existent, dans nos pays au niveau sous-régional ou régional, « mais il faut les harmoniser car nous ne pouvons pas faire l’impasse de cette question ». Selon le responsable, « il faut suivre l’exemple du Mobile Money, pour que les besoins des citoyens soient satisfaits par les citoyens eux-mêmes ». Quand nous aurons maîtrisé ces technologies, la jeunesse pourra s’en emparer.
En matière de cybersécurité, Bara Mbaye, de l’ARTP Sénégal rappelle que le préalable est d’établir « la confiance numérique ». C’est le rôle de l’État que les données produites au pays restent dans le pays. Le capital humain est essentiel, il ne s’agit pas que d’importer des technologies, il s’agît de faire en sorte que les populations aient confiance en elles.
La coopération entre pays est indispensable
Enfin, Aruna Handem rappelle, par rapport à la vitesse croissante des avancées technologiques, que l’Afrique ne peut pas tout faire, qu’il lui faudra opérer des choix. Si elle veut franchir le « saut » attendu, elle ne peut pas se fixer les objectifs du passé, par exemple en matière d’agriculture, de pêche, etc. « Faut-il continuer d’investir des milliards dans les technologies du passé ? »
« Il faudra aux Africains devenir progressivement des fournisseurs de contenu, là sera le grand saut dont nous parlons. Cette chance est à notre portée. Ne nous cherchons pas d’excuses, cette révolution peut être réussie !»
Cette question rejoint celle de la confiance numérique, qui va au-delà des questions de sécurité. « Il faut que les citoyens aient conscience de l’importance du numérique et des nouvelles technologies. Et il faut commencer à se faire confiance entre nous, les Africains ! » En matière de sécurité, nous pouvons créer des paramètres de sécurité à l’échelon national ou sous-régional.
Un Cloud organisé, bien maîtrisé, améliore la sécurité des données. Il faudra aux Africains devenir progressivement des fournisseurs de contenu, là sera le grand « saut » dont nous parlons. « Cette chance est à notre portée. Ne nous cherchons pas d’excuses, cette révolution peut être réussie ! »
Cheick Nimaga confirme : Ce « saut » devra être effectué en toute maîtrise des connaissances. Tant des avantages que des contraintes, notamment en matière de financement. Ce qui suppose que les pays africains se serrent les coudes pour avancer ensemble en la matière. « Cela n’a pas été le cas de la 3G et de la 4G. » Visiblement, la nature même de la 5G impose de procéder autrement.
PF