x
Close
African Business

Logement : les promoteurs cherchent des solutions à plus grande échelle

Logement : les promoteurs cherchent des solutions à plus grande échelle
  • Publiéjuillet 31, 2023

L’énorme pénurie de logements en Afrique n’a pas de réponses faciles. Les méthodes de construction innovantes peuvent-elles aider, ou tout revient-il au financement ?

 

Chaque jour, plus de 1 000 personnes s’ajoutent à la population de Kinshasa. La capitale congolaise est la grande ville d’Afrique qui a connu la plus forte croissance au cours de ce siècle. Elle est passée d’un peu plus de 6 millions d’habitants en 2000 à plus de 14 millions en 2020, soit une augmentation moyenne de 410 000 personnes par an.

Cette croissance rapide – et souvent non planifiée – met les villes africaines à rude épreuve. Les logements décents et abordables manquent cruellement. Les Nations unies estiment que 230 millions de personnes en Afrique subsaharienne vivent dans ce qu’elles définissent comme des « bidonvilles », soit environ la moitié de la population urbaine du continent.

Les grands projets sont certainement nécessaires, mais il y aura toujours une place pour des projets beaucoup plus modestes menés par des particuliers ou des groupes communautaires.

Pour un problème d’une telle ampleur, la crise du logement en Afrique reçoit peu d’attention. « Tout le monde parle d’infrastructures, mais nous avons l’impression que personne ne parle de logement », déplore Kecia Rust, directrice exécutive du Centre for Affordable Housing Finance in Africa (CAHF), un groupe de réflexion basé à Johannesbourg.

Thithi Kuhlase-Maseko, qui dirige le bureau de Johannesburg de British International Investment (BII), l’institution britannique de financement du développement, explique que le logement « est un domaine difficile pour les acteurs du secteur privé », en partie à cause de leurs difficultés d’accès au financement. Cependant, elle note que la crise représente également une opportunité pour les promoteurs et leurs investisseurs de bénéficier de l’urbanisation du continent. « La croissance démographique entraînera le développement d’un plus grand nombre de grandes villes en Afrique et donc la demande de logements plus abordables, plus durables et plus sûrs. »

 

La course au logement

L’un des objectifs de développement durable des Nations unies est de parvenir à un accès universel à un logement adéquat et à l’assainissement des bidonvilles d’ici à 2030. Pourtant, l’idée que des centaines de millions de logements décents puissent être construits en Afrique dans les sept années qui restent pour atteindre l’objectif semble follement optimiste.

« Les défis viennent à la fois de l’offre et de la demande », explique Abhinav Sinha, responsable de la technologie et des télécommunications chez BII. « La question de la demande n’est pas facile à résoudre, car elle se résume à l’amélioration des niveaux de revenus et à l’amélioration de la disponibilité des produits hypothécaires. » BII a investi 36 millions de dollars dans une plateforme de logements abordables basée en Afrique du Sud, Divercity, qui développe un certain nombre de projets destinés aux ménages à faibles et moyens revenus dans le pays.

Il ne fait aucun doute que l’augmentation de la disponibilité des prêts pour les propriétaires et les constructeurs de logements est une priorité essentielle. « Notre activité pourrait être dix fois plus importante, très, très rapidement si les clients pouvaient accéder à des financements à des taux d’intérêt raisonnables », juge Jason Horsey, directeur exécutif du promoteur immobilier Unity Homes, basé au Kenya. Qui admet que le problème du financement reflète le manque général d’épargne dans un pays comme le Kenya.

 

Le financement est un énorme défi

Kecia Rust rappelle que le défi du financement est « énorme ». Tout d’abord, les marchés hypothécaires africains sont gravement sous-développés. La valeur des prêts hypothécaires représente moins de 3 % du PIB dans la grande majorité des pays africains, contre plus de 50 % du PIB dans presque tous les marchés développés.

De plus, le financement des propriétaires n’est qu’une partie du puzzle. « Vous avez besoin d’un financement pour la construction, d’un financement pour l’utilisateur final et probablement d’un financement pour l’infrastructure. Et la disponibilité de chacun dépend de celle des autres », explique Kecia Rust.

Il n’est pas facile de mettre toutes ces pièces en place. « Notre secteur a une très mauvaise réputation », confie Jason Horsey. Les promoteurs immobiliers ont souvent du mal à rembourser leurs emprunts. Selon les données de la Banque centrale du Kenya, 24 % des prêts accordés dans les secteurs du bâtiment et de la construction au Kenya étaient considérés comme non productifs en mars 2023, ce qui est alarmant. Le ratio de prêts non productifs dans le secteur de l’immobilier s’élevait à 18 %.

Un nombre croissant d’entreprises expérimentent des méthodes de construction alternatives et des matériaux de construction non conventionnels ; d’autres travaillent sur des solutions technologiques conçues pour améliorer la transparence et accroître la disponibilité des prêts immobiliers. Le défi consistera à étendre les nouvelles approches assez rapidement pour qu’elles puissent suivre le rythme de la croissance rapide de la population urbaine du continent.

Une maison en bois en cours de construction. (photo : Easy Housing).
Une maison en bois en cours de construction. (photo : Easy Housing).

 

Un bâtiment en bois, contrairement à ceux construits à base de ciment ou d’acier, agit comme un réservoir de carbone. « Le dioxyde de carbone qui a été extrait de l’atmosphère et stocké dans le bois par l’arbre pendant sa croissance est en fait stocké à long terme dans les maisons », explique Wolf Bierens.

Cet ingénieur néerlandais a cofondé Easy Housing, une entreprise basée en Ouganda qui cherche à construire des maisons préfabriquées en utilisant du bois d’origine durable. Il s’agit de l’une des nombreuses entreprises proposant des logements « modulaires » ou « préfabriqués », dans lesquels les éléments d’une maison sont construits dans un atelier puis assemblés sur place. Easy Housing a reçu une subvention au début de l’année pour l’aider à concevoir un « cadre de monétisation du carbone stocké dans la construction », qui pourrait permettre aux propriétaires qui stockent du CO2 dans leurs maisons en bois de recevoir des crédits de carbone.

« L’industrie traditionnelle de la construction a un impact négatif considérable sur l’environnement. La mission d’Easy Housing est de parvenir à la « décarbonisation de l’industrie de la construction en Afrique subsaharienne. » L’entreprise affirme que ces crédits pourraient valoir 2 500 dollars pour l’une de ses maisons, ce qui réduirait de 16 % le coût d’une unité de 15 000 $.

 

Pourquoi ne pas imprimer les maisons ?

Easy Housing en est encore à ses débuts. Elle n’a réalisé qu’une poignée de logements jusqu’à présent. Pourtant, ses ambitions en Afrique sont presque illimitées.

« Nous avons l’objectif ambitieux de construire un million de logements d’ici à 2030 », clame Wolf Bierens. Qui prévoit qu’une fois que les maisons en bois seront acceptées dans des pays tels que l’Ouganda, la demande augmentera rapidement. Easy Housing pourra alors concéder des licences sur sa technologie à des partenaires qui produiront des maisons à partir de ses plans.

En juin 2021, les enfants du village de Kalonga, dans le centre du Malawi, ont souri aux caméras en célébrant l’ouverture d’une nouvelle école. Celle-ci était spéciale : la première au monde à être construite à l’aide d’une imprimante 3D. La construction a duré 18 heures, tandis qu’une buse orientable commandée par ordinateur pulvérisait du béton sur le sommet de la structure émergente.

L’installation a été construite par 14Trees, une coentreprise entre BII et le géant du ciment Holcim. La même société a livré le projet Mvule Gardens de 52 logements sur la côte kenyane, l’un des plus grands quartiers abordables imprimés en 3D au monde.

François Perrot, directeur général de 14Trees, estime que l’impression 3D « peut jouer un rôle clé » dans la lutte contre la pénurie de logements et d’autres installations essentielles en Afrique. L’entreprise a récemment lancé une nouvelle imprimante fabriquée en Afrique, qui devrait devenir le cheval de bataille de son activité de construction. L’imprimante utilise des systèmes laser pour contrôler la qualité et est conçue avec un cadre léger pour faciliter le transport et l’assemblage.

Les toits de Kibera un quartier pauvre de Nairobi.
Les toits de Kibera, un quartier pauvre de Nairobi.

 

François Perrot indique que 14Trees fait désormais appel à des équipes de production locales et à des fournisseurs locaux pour les matériaux de construction. Il affirme que les coûts de construction sont déjà compétitifs par rapport aux méthodes conventionnelles et qu’ils seront bientôt 20 % moins chers.

Cela dit, l’impression 3D, qui n’en est encore qu’à ses balbutiements, peut-elle vraiment être mise à l’échelle rapidement ? François Perrot assure que cela est possible, soulignant que d’énormes progrès technologiques ont déjà été réalisés dans un court laps de temps. « Il faudra moins de dix ans pour que l’impression 3D ait un impact significatif sur la pénurie de logements en Afrique. Nous avons étudié le nombre de salles de classe nécessaires dans un pays comme le Malawi et nous avons estimé que même avec un financement illimité, avec les technologies de construction conventionnelles, il faudrait plus de 70 ans pour combler le retard. » La seule technologie qui pourrait aider à combler ce retard en moins de dix ans est l’impression 3D.

 

Tout est dans l’aménagement

14Trees prévoit d’accélérer le développement du marché de l’impression 3D en concédant des licences d’utilisation de sa technologie à des entrepreneurs. « Ce qui nous motive, c’est que nous voulons montrer le retour sur investissement pour les entrepreneurs », confie François Perrot. « Dès que le retour sur investissement pour un entrepreneur qui investit dans une imprimante 3D sera établi, de plus en plus d’entrepreneurs utiliseront cette technologie. »

Cependant, tout le monde n’est pas convaincu que l’impression 3D est la bonne approche. « Se concentrer sur l’impression 3D comme solution au problème du logement, c’est passer complètement à côté de l’essentiel », considère Jason Horsey. Selon lui, la construction de l’enveloppe d’un bâtiment est relativement facile pour les promoteurs qui utilisent des méthodes plus conventionnelles ; ce sont les étapes suivantes qui prennent du temps. « Il faut encore venir sur place et faire la peinture, le carrelage, le câblage et la plomberie. C’est là que les gens devraient porter leur attention, plutôt que sur la structure. »

Unity Homes a adopté une approche différente, se concentrant plutôt sur la réduction des coûts et l’amélioration de la qualité en s’intégrant verticalement. Cela permet à l’entreprise d’atténuer les « fuites d’honoraires » que la plupart des promoteurs subissent en confiant à des entrepreneurs des parties essentielles des processus de conception et de construction.

 

L’innovation au service de la finance

L’une des principales raisons pour lesquelles les partisans des maisons modulaires et imprimées en 3D pensent qu’elles ont un rôle crucial à jouer sur le marché du logement africain est que les institutions financières peuvent être plus à l’aise pour proposer des prêts pour ce type de propriétés.

Selon François Perrot, les techniques d’assurance qualité utilisées dans l’impression 3D contribuent à rassurer les banques sur le fait que « ce qu’elles financent est sûr et durable ».

Image : Jason Venkatasamy
Image : Jason Venkatasamy

 

D’autre part, les promoteurs qui peuvent démontrer leurs compétences écologiques ont potentiellement un avantage auprès des prêteurs, en particulier des sources de financement internationales. « Des organisations comme la Banque mondiale sont très intéressées par le financement de solutions de logement innovantes qui peuvent décarboniser le secteur du bâtiment. Ce sont des partenaires qui seront en mesure de fournir des financements à un niveau modulable », explique Wolf Bierens.

Kecia Rust reconnaît que les promoteurs qui utilisent des méthodes de construction alternatives peuvent bénéficier de certains avantages auprès des institutions financières. Mais elle a encore besoin d’être convaincue que ces promoteurs peuvent fournir la clé pour débloquer le financement du logement en Afrique, étant donné l’ampleur du défi financier global et le fait que le financement de la construction dépend de la conviction des prêteurs qu’il y a une demande suffisante du marché pour des maisons construites avec des méthodes alternatives.

 

Transparence numérique

« Les gens doivent commencer à comprendre que les solutions de logement abordable qui sont efficaces en Europe ou en Amérique du Nord ne fonctionneront pas nécessairement de la même manière en Afrique », observe Ronald Omyonga, architecte et consultant, qui rappelle que le marché du logement en Afrique reste « très informel ».

Dès lors, « les gens construisent essentiellement pour eux-mêmes ou supervisent eux-mêmes la construction. Il s’agit d’une construction gérée par le propriétaire ».

Malgré cela, l’architecte juge que la technologie peut changer la donne. En 2016, il a co-fondé iBUILD Global, une plateforme technologique qu’il décrit comme une « intervention douce » pour aider à améliorer le marché du logement en Afrique, tout en travaillant avec les réalités qui existent aujourd’hui.

Cette société est conçue pour assurer la transparence. Les propriétaires peuvent utiliser la plateforme pour vérifier les références des artisans, par exemple. « En bref, iBUILD tente de numériser cet espace, de combler certaines lacunes dans la chaîne de valeur et d’assurer la transparence du système. »

Plus important encore, les plateformes qui offrent ce type de transparence peuvent rassurer les prêteurs ; BUILD travaille actuellement avec une institution financière kenyane, qui prévoit d’utiliser la plateforme pour vérifier que les prêts à la construction sont utilisés aux fins prévues. Les propriétaires devront envoyer aux prêteurs, par l’intermédiaire de la plateforme, des images géolocalisées et horodatées des travaux de construction.

 

Des logements pour les gens, par les gens

La crise du logement en Afrique pourrait bien s’aggraver avant de s’améliorer, étant donné la croissance frénétique des villes du continent dans un contexte où les droits fonciers sont souvent flous et où les processus de planification sont lents.

Les grands projets – qu’ils fassent appel à des méthodes de construction traditionnelles ou à des techniques plus innovantes –, sont nécessaires, mais il y aura toujours une place pour des projets beaucoup plus modestes menés par des particuliers ou des groupes communautaires. « Il subsiste une réelle opportunité à s’engager avec les petits entrepreneurs et à faire ce que nous appelons du « massive small », c’est-à-dire promouvoir des milliers de petits projets plutôt qu’un seul projet de mille unités », explique Kecia Rust.

Il est clair qu’un mélange de solutions à différentes échelles est nécessaire pour accélérer les progrès dans la résolution d’un problème vaste et vertigineusement complexe. « Nous nous faisons des illusions si nous voulons trouver des réponses simples », conclut la directrice du CAHF.

L’école de Kalonga, au Malawi, construite grâce à la technologie 3D (photo : 14Trees).
L’école de Kalonga, au Malawi, construite grâce à la technologie 3D (photo : 14Trees).

@AB

Écrit par
Ben Payton

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *